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Élections européennes. « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu » pour mériter le Front national ?

Ainsi, le vote français aux élections européennes se distingue comme une exception. Chacun y va de ses explications, les plus causants n’étant pas les électeurs FN… Mais des enquêtes sociologiques font ressortir que, pour ces derniers, la question des immigrés reste la plus déterminante. D’où les réflexions suivantes tricotées à partir d’un film, que je n’ai cependant pas vu !… En effet, je n’ai pas vu le film à fort succès Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? mais j’aurais dû, et je devrais, pour m’autoriser à en parler. J’enfreins la règle après avoir lu à son sujet un très intéressant et profond article trouvé dans le dernier Marianne (n° 891 du 16 mai), signé d’Éric Conan et Périco Légasse.

Sous le titre « Les trucages d’une bluette identitaire », les auteurs dénoncent une manœuvre « artistique », « intellectuelle » et à coup sûr commerciale par laquelle se trouve défendue la thèse du multiculturalisme en train de saper notre modèle démocratique et républicain « à la française », c’est-à-dire celui de l’intégration par l’assimilation. Le tout sous couvert de dérision comique, et néanmoins à base de clichés pour le coup bien racistes : juifs grippe-sous, Chinois fourbes à petites bites, Noirs lubriques à grande queue et pas futés, Arabes « muslims » et voleurs…

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Légende fournie avec l’image officielle : « Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu, dont Europe 1 est partenaire, a dépassé la barre des 7.5 millions de spectateurs. Un score que l’équipe du film a célébré dignement à Cannes jeudi soir, après avoir monté les marches du Palais des festivals. » Tout est dit !

L’entourloupe du film semble s’entortiller autour d’un postulat : nous sommes tous racistes, et c’est justement pour ça qu’on va bien s’entendre… « Car, commentent les auteurs de l’article, il y aurait un équilibre des racismes comme il y a une équilibre de la terreur dans la dissuasion nucléaire : la généralisation de l’agressivité déboucherait sur la paix »…

Le procédé se double alors d’une autre faute morale consistant à inverser la réalité d’aujourd’hui en méprisant ceux qui la subissent. Il faut en effet préciser que le film se passe en milieu bourgeois où les gendres en question sont banquier, comédien, avocat, chef d’entreprise… « Ils parlent français aussi bien que Finkielkraut, sont de grands laïcs très cool… » Pas exactement la sociologie du « 9-3 » ou des quartiers nord de Marseille.

C’est là qu’il y a lieu d’affiner l’analyse – ce que font en effet les auteurs de l’article en invoquant Pierre Bourdieu (La Misère du monde, 1993) et aussi Emmanuel Todd à propos de la question de l’échange matrimonial, essentielle dans tout processus d’intégration. [Voir aussi, bien sûr, Claude Lévi-Strauss sur ces questions anthropologiques.] Or, cet échange, s’enrichissant de la « diversité des peuples » achoppe notamment sur le statut de la femme que le film évacue totalement et comme par magie : on n’y voit aucune femme voilée ! En occultant ainsi cette question du voile, se trouve aussi évacuée la question du métissage et, avec elle, celle de l’intégration. Comment, en effet dénier au voile imposé à la femme (ou même « librement consenti ») la fonction de l’interdit opposé au jeu exogame : « Touche pas à la femme voilée ! »

Cette attitude s’oppose en effet à toute tentative d’intégration et vient ainsi renforcer un rejet qu’on aurait tort d’assimiler au seul racisme, bien qu’il puisse aussi s’en nourrir, y compris dans le sens d’un racisme “anti-Blanc”. Et de noter, avec Todd, que « le taux de mariages mixtes (se réalisant principalement dans les catégories populaires), s’est effondré ces trente dernières années à cause du renfermement endogamique d’une immigration récente encouragée à valoriser et préserver sa culture d’origine. On repart se marier au bled. »

Ces questions – le fameux débat sarkozien sur l’« identité » ; l’éternel autre débat lepenien sur « droit du sol/droit du sang », entre autres – et cette analyse autour d’un film à succès populaire, sont évidemment à replacer dans notre contexte politique français et européen, avec les développements électoraux de ce 25 mai 2014. Il est probable que l’électorat du Front national – un électeur sur quatre votants ; un électeur sur huit ou neuf inscrits, c’est relativement peu et beaucoup trop – cumule le fond résiduel des racistes et xénophobes « ordinaires » (disons 10 % de l’électorat) et un surplus – une « variable d’ajustement » –  de « braves gens » se sentant menacés dans leur intégrité culturelle, et parfois physique.

Ce sont ceux-là qui constituent ce nouveau « marais » politique, désormais déplacé à l’extrême droite selon la nouvelle sociologie provoquée par « la crise ». Laquelle ne peut plus être présentée comme un aléa conjoncturel et passager : depuis qu’elle a pris le temps de s’installer dans la durée, les plus conscients de nos contemporains ont fini par comprendre que la finance mondiale avait pris les commandes. Les autres aussi peuvent le constater, mais y ont ajouté une cause « étrangère », c’est le cas de le dire : ils accusent l’Autre, le Métèque et, plus globalement, l’Immigré – ce bouc émissaire chargé de tous les maux de la terre. Or, comme disait Coluche, il y a de plus en plus étrangers dans le monde… Et en Europe notamment…

« La crise », bien réelle, a aussi « bon dos » ; elle génère des « solutions » à l’emporte-pièce, de l’« anti-système », du renfermement protectionniste derrière les lignes Maginot du chacun chez soi, du populisme, du frontisme, du fascisme même. Et des communautarismes.

Les contextes changent, la géopolitique aussi ; tandis que les comportements des humains résistent, se figent, et finissent aussi par reproduire « du même ». Entre autres, un certain Wilhelm Reich  (mort en 19957) avait notamment tenté de comprendre le monstrueux dérèglement de l’Histoire culminant avec le nazisme et le stalinisme. Il avait ainsi décelé chez les humains non pas tant les conséquences d’un aléa conjoncturel qu’une pathologie profonde.

Il pointait ainsi cette propension à détourner la jouissance biologique, orgastique, celle de la satisfaction des besoins vitaux, vers la puissance technique – au sens d’un Jacques Ellul (mort en 1994) – englobant l’économie et le pouvoir, l’exploitation et la domination, l’addiction au profit et, finalement, la névrotique accumulation du capital. Ce déplacement se traduit de nos jours par le culte de la richesse ostentatoire des hyper-riches opposée à la frustration résignée des laissés pour compte dans les bas-fonds de la croissance sans fin, de la consommation morbide et du suicide écologique. Notons bien, comme nécessité moderne, cette fonction d’ostentation qui n’appelle plus seulement le cumul, plus ou moins caché, de la richesse mais son exhibition dans le Spectacle généralisé dont les médias, dans leur quasi totalité, forment la  principale courroie de transmission. Ce qui explique pourquoi des groupes de l’industrie du luxe (comme LVMH, par exemple) investissent autant dans les médias – qui sont pourtant financièrement peu profitables !

Face à quoi, comme vivant sur une autre planète, les politiciens n’apportent pas de réponses autres, pas de propositions qui ne se soumettent au diktat de la finance triomphante, pas de projets capables de soulever les espérances – pas des mirages –, de porter l’humanité, non pas vers « le bonheur », cette autre illusion, mais vers un avenir de partage, de solidarité, d’harmonie sociale – que rêver de mieux ?

Au lieu de quoi, les petits humains se disputent leurs bouts de territoires de plus en plus rétrécis, dans lesquels les murs et barbelés importent plus que les ponts et passerelles, des murs entre lesquels il s’agit d’enfermer les minorités culturelles, repliées sur elles-mêmes en « communautés » anxieuses de la menace extérieure, réelle ou imaginaire. Un monde dangereux, de guerres éparses, chargé de conflits réels et potentiels, d’antagonismes à causes multiples entremêlées : économie, religions, races, égocentrisme… autant de données croisées, superposées, qui ont d’autant rendu obsolète le concept de lutte des classes.

C’est sur un tel terreau qu’un Front national prospère ; et en particulier dans ce pays de France où un gouvernement dit de gauche applique une politique de droite, effaçant les lignes de partage idéologique justifiant la rengaine lepenienne de l’ « UM-PS » et lui ouvrant le boulevard que l’on sait.

Dans ce vieux pays de France dont l’histoire, agitée de flux et de reflux, ne s’est pas moins forgée au fil des siècles – et des trois derniers en particulier – autour de cette croyance dans le Progrès humain. Des mots à peser au trébuchet : croyance comme mélange d’espérances et de convictions, de l’irrationnel dans la raison… Progrès comme pari sur l’humanité agissant contre les éléments et la fatalité.

Autant d’idéaux qu’un film – j’y reviens – comme Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ? semble rejeter dans les poubelles de la vulgarité politique, ou plutôt apolitique. Ce film, en effet, se garde bien d’aborder cette réalité autrement complexe par laquelle, comme le souligne l’article de Marianne, se trouvent « aujourd’hui traités de “raciste” aussi bien le partisan de la maîtrise des flux migratoires, l’employé qui s’inquiète de ne plus entendre parler français dans son train de banlieue ou l’enseignant défendant la laïcité. »

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

7 réflexions sur “Élections européennes. « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu » pour mériter le Front national ?

  • Mon analyse fut beaucoup plus viscérale j’en conviens.
    L’utilisation d’une singulière mathématique te donnera une idée de ma colère face au navrant résultat…
    Le pays du fromage a une spécialité qui contient 25% de matière Crasse 60% de matières inertes et 15% d’emballage!
    Tout est à dire…

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  • Liberté

    Un des problème de tout cela, qui concerne l’électeur, c’est que les élections deviennent biaisées.

    En effet, les gens votent pour l’UMP, fabriqué aux mesures de Sarkozy, avant, c’était le RPR, aux mesures de Chirac, ils votent pour la Droite, ces élus font une politique de Droite, on voit ce que c’est: merci, au revoir!..

    Nous votons dernièrement, pour des gens qui nous promettent une politique de Gauche, une fois au pouvoir, ces gens appliquent une politique de Droite, aussi : chercher l’erreur !? On nous avait fait le coup avec Jospin, voici 15 ans, nous l’avions oublié.
    Pourquoi alors s’étonner, que les électeurs se tournent vers les extrêmes ?

    Si voter à Gauche, maintenant, c’est voter pour élire un Mélenchon… Bof !!!

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  • Certes, Reich et Ellul sont mort(s. Ca peut arriver à tout le monde. Mais nous on est là et on vit, non?
    Donc on fait.
    Et puis après, basta….

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      • Asp Explorer

        Il faudra m’expliquer en quoi la politique du gouvernement actuel est de droite. Et il faudra m’expliquer où se trouve cette austérité qui fait tant de ravages, alors que la première chose qu’ai faite Hollande, c’est de doubler la prime de rentrée scolaire et embaucher 60 000 profs.

        Ce n’est pas l’austérité qui met 3,36 millions de Français au chômage, c’est l’agonie des entreprises. C’est le fait que pour relancer cette croissance qui ne vient jamais, depuis quarante ans, on a dépensé à tour de bras de l’argent qu’on n’avait pas, argent que les classes populaires considèrent comme un dû et dont elles dépendent entièrement. Et pour financer ce trou sans fond qu’on appelle “politique sociale”, on a écrasé les générations futures sous deux mille milliards d’euros de dette, et on étouffé les entreprises et les ménages sous les impôts.

        La politique de gauche, ça fait quarante ans qu’on se la trimballe, et il n’y a jamais eu autant de clodos dans les rues.

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  • Trois jours après ces calamiteuses élections européenne, le gouvernement prend la courageuse et opportuniste mesure de démantèlement des camps de réfugiés de Calais ! Au nom de l’hygiène et de la santé ! Comme Béria qui, sous Staline, réprimait les manifestations d’opposants au nom de la circulation. Où est la gale, la vraie ?

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