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Attentats de Paris. La mort contre l’Art de vivre

attentats_parisLes atrocités de ces jours funestes, comme à chacun sans doute, m’inspirent des flots de réflexions, entraînent mes pensées vers les profondeurs. L’une d’elles tourne autour d’une expression forte remontée avec les événements : l’art de vivre.

Les terroristes, à travers leur rage mortifère, ont voulu s’en prendre à notre mode de vie, à ce que nous vivons au quotidien. La morbidité assassine, comme souvent par les drames et la mort, vient nous rappeler que la vie est en effet un art, ou qu’elle devrait l’être en tout cas, autant que possible. Cette vérité profonde, essentielle, existentielle nous échappe pourtant trop souvent. Comme si elle s’usait « quand on ne s’en sert pas » – comme bien d’autres choses ! Comme si le fait de vivre s’écornait bêtement au fil des jours, gangrené par la banalité. Or, il s’agit d’un art qui, comme tel, demande attention de chaque jour, de chaque instant. Cet art, le plus vieux sans doute, est pourtant le plus galvaudé et aussi, l’actualité nous le montre, hélas, le plus menacé. Un art aussi vieux que l’homo sapiens. – catégorie abusive s’agissant de ces « fous d’Allah » qui n’ont que la mort pour horizon indépassable.

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© André Faber 2015

Au bistrot, à une terrasse ; au ciné, au théâtre ou à un concert ; flâner dans les rues ou dans une expo ; dans un stade ou à la messe… Faire la cour, et l’amour, avec qui et comme on veut. Manger un steak-frites, un couscous, une saucisse ou une salade (bio ou non). Boire un rouge, blanc ou rosé ; un whisky (même à la cannelle, ou au coca) ; ou un thé (à la menthe ou autre). Lire un journal ou un autre ; un polar, un roman coquin ou non, un essai, un pamphlet ; rire d’une blague, d’un dessin, d’une caricature. Savourer la vie, l’honorer dans chaque instant, sans grandiloquence, voilà l’art de vivre – du moins « à la française », qui n’est heureusement pas le seul ! Car il se décline partout où la vie lutte pour elle-même et non pour son contraire, la mort.

L’idée est si ancienne ! Elle remonte notamment (sans parler ici de la Chine antique) aux civilisations égyptienne et sumérienne – là où, précisément, les « choses » se tordent et se nouent de nos jours ; c'est-à-dire tout autour de cette Mésopotamie qui a vu naître l’écriture et, par delà, la pensée élaborée. Plus tard, vinrent les philosophes grecs et latins, dont la modernité demeure éblouissante. Ils inventèrent littéralement – à la lettre – l’amour de la sagesse, après lesquels nous courrons toujours aujourd’hui, en nous essoufflant ! Pythagore, Socrate et leurs foisonnantes lignées de penseurs et de viveurs. Ceux qui en effet, précisément, posèrent la philosophie comme un art de vivre, condensé plus tard par le fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Oui, urgence quotidienne : « cueillir le jour » sans dilapider son temps.

On est évidemment là aux antipodes de Daesh et de ses arrière-mondes !

J’y opposerai encore ce cher vieux Montaigne et la jeunesse de sa pensée ; ainsi, par exemple, quand au fil de ses Essais il passe à deux états philosophiques successifs : l’un sur le thème « Vivre c’est apprendre à mou­rir » –  dangereux slogan trop actuel… ; l’autre, plus heureusement tour­né vers la vie : « La mort est bien le bout, non pas le but de la vie ; la vie doit être pour elle-même son but, son des­sein. »

Autre réflexion, abordée ici dans un commentaire récent :

« Je vou­lais « seule­ment » dire qu’il n’y a pas de « pul­sion de mort » inhé­rente à la nature humaine, et cela il me semble que Wil­helm Reich l’a mon­tré magni­fi­que­ment, et que cette démons­tra­tion, par exemples cli­niques, est au cœur de son ensei­gne­ment, et de tout ce qu’il a apporté ensuite au Monde. Pour moi cela n’a rien à voir avec une croyance ou non, Wil­helm Reich a rai­son ou il a tort. La « peste émo­tion­nelle » dont il parle, équi­va­lente à peu de chose près au res­sen­ti­ment mis au jour et génia­le­ment ana­lysé par Nietzsche, ne touche pas l’ensemble de l’humanité. […] » (Gérard Bérilley, 14/11/15)

C’est là un des grands points de clivage dans le mouvement psychanalytique, celui autour de la freudienne « pulsion de mort » que Reich, en effet, fut parmi les premiers à rejeter. Appliquée à l’actualité, son objection pourrait s’exprimer ainsi : tout mortifères qu’ils soient, ces djihadistes ne sont nullement mus par une hypothétique « pulsion de mort » ; c’est leur incapacité à vivre qui les mène vers la mort ; c'est-à-dire leur impuissance à l’abandon au flux du vivant.

On dira que cela ne change en rien l’atrocité de leurs actes. Certes. Mais une telle analyse (ici sommairement résumée) évite l’impasse de la fatalité devant la Mort pulsionnelle, conduisant à des analyses autrement compréhensives de la réalité. Notamment s’agissant de la haine de la femme, créature impure, qu’on ne rêve donc qu’en vierge fantasmatique et « paradisiaque ».

Cette obsession de la « pureté » se retrouve dans les idéologies fascistes et en particulière dans le nazisme et sa « pureté raciale ». Dans Psychologie de masse du fascisme, notamment, Reich avait analysé les comportements anti-vie, rigidifiés sous la cuirasse caractérielle et celle des corps frustrés. Une semblable analyse auprès des djihadistes mettrait au jour, à n’en pas douter, les comportements sexuels de violeurs et d’impuissants orgastiques. Les femmes victimes de ces phallopathes « peine à jouir » – sauf à la secousse des kalach’– auront peut-être un jour à témoigner dans ce sens.

Comprendre, certes, se pose comme une nécessité qui évite les généralisations, simplifications, amalgames de toutes sortes. Expliquer ne fournit aucune solution clé en main.

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

5 réflexions sur “Attentats de Paris. La mort contre l’Art de vivre

  • Binoit

    mer­ci, Gérard, de nous avoir rap­pe­lé toutes ces choses (les phi­lo­sophes grecs, le vin rouge, Babylone — et ses fes­tins – et cette haine des femmes qui cachent une peur inson­dable), et aus­si pour cette Tour Eiffel parais­sant sor­tir du tro­quet du coin après un repas un peu trop arro­sé — à moins qu’elle n’ait été son­née par les hor­reurs de ces der­niers jours.

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  • Joël

    Les assas­sins n’ont pas choi­si leurs cibles au hasard. Ils ne s’en sont pas pris aux Juifs ou aux cari­ca­tu­ristes, qu’ils ont long­temps dési­gné comme leurs enne­mis atti­trés. Ils attaquent effec­ti­ve­ment un art de vivre et la vie elle-même, toute entière, y com­pris la leur.

    J’ai par­cou­ru aujourd’­hui la liste des vic­times dans Le Monde, avec men­tion des âges et des par­cours de cha­cun (elle est plus com­plète dans le Figaro : http://​www​.lefi​ga​ro​.fr/​a​c​t​u​a​l​i​t​e​-​f​r​a​n​c​e​/​2015​/​11​/​16​/​01016 – 20151116ARTFIG00117-matthias-nicolas-elodie-ils-sont-morts-le-13-novembre.php). Beaucoup d’ar­tistes et d’in­tel­lec­tuels, en tout cas des gens don­nant tous l’en­vie d’être ren­con­trés… ne serait-ce qu’une fois autour d’un verre, sur une ter­rasse. Quelle horreur !

    L’un des assas­sins venait de Lucé (dans la ban­lieue de Chartres) où j’ai ensei­gné autre­fois pen­dant dix ans. Il me rap­pe­lait plu­sieurs jeunes magh­ré­bins que j’a­vais eu comme élèves, pau­més d’une cité pour­rie et qu’a­vec quelques col­lègues, à force de téna­ci­té, nous avions réus­si à sor­tir de l’in­cul­ture et du cré­ti­nisme. D’autres, à l’é­vi­dence, n’ont pas eu cette chance et d’autres encore payent au prix le plus éle­vé leur malchance.

    Or der­rière tout cela, aucune fata­li­té mais des « choix de socié­té » qu’il nous faut tous assu­mer, diri­geants et dirigés.

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  • Gérard Bérilley

    C’est tou­jours pour moi très émou­vant et sur­pre­nant de me voir cité dans un texte de valeur, dans le texte d’un homme pour qui j’é­prouve un pro­fond res­pect. Et c’est une forme de bon­heur, sans nar­cis­sisme aucun, de par­ti­ci­per, à ma modeste mesure, et depuis quelques temps, par mes com­men­taires, à un blog de cette qua­li­té. Je ne peux, bien évi­dem­ment, qu’être en accord avec tout ce que vous expri­mez là, beau­coup mieux que je n’au­rais pu le faire. Je crois que vrai­ment il faut en reve­nir (ou sim­ple­ment en venir) à Wilhelm Reich. Tout ce qu’il a pu dire sur la répres­sion sexuelle, sur l’in­sa­tis­fac­tion sexuelle, sur la cui­rasse mus­cu­laire et carac­té­rielle, éclaire, comme nul autre auteur ne le fait à ma connais­sance, sur le monde moderne, sur la vio­lence que nous voyons un peu par­tout res­sur­gir, reve­nir en force. L’actualité prouve la valeur des théo­ries et hypo­thèses de cet homme de génie.
    Je vou­drais juste rajou­ter une chose, qui me semble avoir été mal­heu­reu­se­ment occul­tée par le dis­cours moderne idéo­lo­gique « fémi­niste ». Partout où la femme, les femmes sont répri­mées, mépri­sées, haïes, par les hommes, alors se trouve un cli­vage à l’in­té­rieur des hommes eux-mêmes. La répres­sion sexuelle ne se porte et ne peut jamais se por­ter sur un seul sexe, sur les femmes uni­que­ment. L’homme qui méprise la femme, une femme en tant que femme, méprise et mutile ce fai­sant son propre désir d’homme. Car le désir de l’homme le porte vers la femme, et par­tant quand un homme méprise la femme il se méprise lui-même en tant qu’­homme de dési­rer l’ob­jet même de son mépris, et ce fai­sant il méprise et réprime son propre désir pro­fond. C’est là que dans un homme la force de Vie, la force fécon­dante, se trans­forme, se méta­mor­phose en force de haine, de mépris, de force anti-Vie. Il n’est pas de miso­gy­nie chez un homme sans misan­drie à son propre égard. Tout cela est évi­dem­ment en rap­port avec le mono­théisme, avec la haine, inhé­rente au mono­théisme, de la Nature, de cette « autre que l’on n’a pas fait » comme la défi­nis­sait si magni­fi­que­ment Robert Hainard. Et le « sym­bole » de la Nature en l’hu­ma­ni­té même, outre le désir, c’est la femme, la femme et sa beau­té. Tout res­sen­ti­ment est res­sen­ti­ment envers la beauté.

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  • Lemoine andré

    Bien vu bien dit ! J’ai aus­si en tête cette vidéo acca­blante qui monte un jeune abru­ti réjoui et gogue­nard au volant de sa grosse bagnole et qui remorque en les trai­nant au bout d’une corde quatre ou cinq cadavres. Jamais rien vu (enfin si, ça ne manque pas !) d’aus­si ignoble : pas digne du genre humain.

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    • Gian

      @ Lemoine andré – Au volant : Abdelhamid Abaaoud, le « cer­veau » des atten­tats (ou ten­ta­tives) de Verviers, du musée juif de Bruxelles, du Thalys, de Villejuif, et der­niè­re­ment des Bataclan et annexes. L’objet sup­po­sé des assauts de St-Denis du 18 novembre au matin. Note : au début, ce n’é­tait pas encore quatre ou cinq cadavres…

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