Attentats de Paris. La mort contre l’Art de vivre
Les atrocités de ces jours funestes, comme à chacun sans doute, m’inspirent des flots de réflexions, entraînent mes pensées vers les profondeurs. L’une d’elles tourne autour d’une expression forte remontée avec les événements : l’art de vivre.
Les terroristes, à travers leur rage mortifère, ont voulu s’en prendre à notre mode de vie, à ce que nous vivons au quotidien. La morbidité assassine, comme souvent par les drames et la mort, vient nous rappeler que la vie est en effet un art, ou qu’elle devrait l’être en tout cas, autant que possible. Cette vérité profonde, essentielle, existentielle nous échappe pourtant trop souvent. Comme si elle s’usait « quand on ne s’en sert pas » – comme bien d’autres choses ! Comme si le fait de vivre s’écornait bêtement au fil des jours, gangrené par la banalité. Or, il s’agit d’un art qui, comme tel, demande attention de chaque jour, de chaque instant. Cet art, le plus vieux sans doute, est pourtant le plus galvaudé et aussi, l’actualité nous le montre, hélas, le plus menacé. Un art aussi vieux que l’homo sapiens. – catégorie abusive s’agissant de ces « fous d’Allah » qui n’ont que la mort pour horizon indépassable.Au bistrot, à une terrasse ; au ciné, au théâtre ou à un concert ; flâner dans les rues ou dans une expo ; dans un stade ou à la messe… Faire la cour, et l’amour, avec qui et comme on veut. Manger un steak-frites, un couscous, une saucisse ou une salade (bio ou non). Boire un rouge, blanc ou rosé ; un whisky (même à la cannelle, ou au coca) ; ou un thé (à la menthe ou autre). Lire un journal ou un autre ; un polar, un roman coquin ou non, un essai, un pamphlet ; rire d’une blague, d’un dessin, d’une caricature. Savourer la vie, l’honorer dans chaque instant, sans grandiloquence, voilà l’art de vivre – du moins « à la française », qui n’est heureusement pas le seul ! Car il se décline partout où la vie lutte pour elle-même et non pour son contraire, la mort.
L’idée est si ancienne ! Elle remonte notamment (sans parler ici de la Chine antique) aux civilisations égyptienne et sumérienne – là où, précisément, les « choses » se tordent et se nouent de nos jours ; c'est-à-dire tout autour de cette Mésopotamie qui a vu naître l’écriture et, par delà, la pensée élaborée. Plus tard, vinrent les philosophes grecs et latins, dont la modernité demeure éblouissante. Ils inventèrent littéralement – à la lettre – l’amour de la sagesse, après lesquels nous courrons toujours aujourd’hui, en nous essoufflant ! Pythagore, Socrate et leurs foisonnantes lignées de penseurs et de viveurs. Ceux qui en effet, précisément, posèrent la philosophie comme un art de vivre, condensé plus tard par le fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Oui, urgence quotidienne : « cueillir le jour » sans dilapider son temps.
On est évidemment là aux antipodes de Daesh et de ses arrière-mondes !
J’y opposerai encore ce cher vieux Montaigne et la jeunesse de sa pensée ; ainsi, par exemple, quand au fil de ses Essais il passe à deux états philosophiques successifs : l’un sur le thème « Vivre c’est apprendre à mourir » – dangereux slogan trop actuel… ; l’autre, plus heureusement tourné vers la vie : « La mort est bien le bout, non pas le but de la vie ; la vie doit être pour elle-même son but, son dessein. »
Autre réflexion, abordée ici dans un commentaire récent :
« Je voulais « seulement » dire qu’il n’y a pas de « pulsion de mort » inhérente à la nature humaine, et cela il me semble que Wilhelm Reich l’a montré magnifiquement, et que cette démonstration, par exemples cliniques, est au cœur de son enseignement, et de tout ce qu’il a apporté ensuite au Monde. Pour moi cela n’a rien à voir avec une croyance ou non, Wilhelm Reich a raison ou il a tort. La « peste émotionnelle » dont il parle, équivalente à peu de chose près au ressentiment mis au jour et génialement analysé par Nietzsche, ne touche pas l’ensemble de l’humanité. […] » (Gérard Bérilley, 14/11/15)
C’est là un des grands points de clivage dans le mouvement psychanalytique, celui autour de la freudienne « pulsion de mort » que Reich, en effet, fut parmi les premiers à rejeter. Appliquée à l’actualité, son objection pourrait s’exprimer ainsi : tout mortifères qu’ils soient, ces djihadistes ne sont nullement mus par une hypothétique « pulsion de mort » ; c’est leur incapacité à vivre qui les mène vers la mort ; c'est-à-dire leur impuissance à l’abandon au flux du vivant.
On dira que cela ne change en rien l’atrocité de leurs actes. Certes. Mais une telle analyse (ici sommairement résumée) évite l’impasse de la fatalité devant la Mort pulsionnelle, conduisant à des analyses autrement compréhensives de la réalité. Notamment s’agissant de la haine de la femme, créature impure, qu’on ne rêve donc qu’en vierge fantasmatique et « paradisiaque ».
Cette obsession de la « pureté » se retrouve dans les idéologies fascistes et en particulière dans le nazisme et sa « pureté raciale ». Dans Psychologie de masse du fascisme, notamment, Reich avait analysé les comportements anti-vie, rigidifiés sous la cuirasse caractérielle et celle des corps frustrés. Une semblable analyse auprès des djihadistes mettrait au jour, à n’en pas douter, les comportements sexuels de violeurs et d’impuissants orgastiques. Les femmes victimes de ces phallopathes « peine à jouir » – sauf à la secousse des kalach’– auront peut-être un jour à témoigner dans ce sens.
Comprendre, certes, se pose comme une nécessité qui évite les généralisations, simplifications, amalgames de toutes sortes. Expliquer ne fournit aucune solution clé en main.
merci, Gérard, de nous avoir rappelé toutes ces choses (les philosophes grecs, le vin rouge, Babylone — et ses festins – et cette haine des femmes qui cachent une peur insondable), et aussi pour cette Tour Eiffel paraissant sortir du troquet du coin après un repas un peu trop arrosé — à moins qu’elle n’ait été sonnée par les horreurs de ces derniers jours.
Les assassins n’ont pas choisi leurs cibles au hasard. Ils ne s’en sont pas pris aux Juifs ou aux caricaturistes, qu’ils ont longtemps désigné comme leurs ennemis attitrés. Ils attaquent effectivement un art de vivre et la vie elle-même, toute entière, y compris la leur.
J’ai parcouru aujourd’hui la liste des victimes dans Le Monde, avec mention des âges et des parcours de chacun (elle est plus complète dans le Figaro : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/11/16/01016 – 20151116ARTFIG00117-matthias-nicolas-elodie-ils-sont-morts-le-13-novembre.php). Beaucoup d’artistes et d’intellectuels, en tout cas des gens donnant tous l’envie d’être rencontrés… ne serait-ce qu’une fois autour d’un verre, sur une terrasse. Quelle horreur !
L’un des assassins venait de Lucé (dans la banlieue de Chartres) où j’ai enseigné autrefois pendant dix ans. Il me rappelait plusieurs jeunes maghrébins que j’avais eu comme élèves, paumés d’une cité pourrie et qu’avec quelques collègues, à force de ténacité, nous avions réussi à sortir de l’inculture et du crétinisme. D’autres, à l’évidence, n’ont pas eu cette chance et d’autres encore payent au prix le plus élevé leur malchance.
Or derrière tout cela, aucune fatalité mais des « choix de société » qu’il nous faut tous assumer, dirigeants et dirigés.
C’est toujours pour moi très émouvant et surprenant de me voir cité dans un texte de valeur, dans le texte d’un homme pour qui j’éprouve un profond respect. Et c’est une forme de bonheur, sans narcissisme aucun, de participer, à ma modeste mesure, et depuis quelques temps, par mes commentaires, à un blog de cette qualité. Je ne peux, bien évidemment, qu’être en accord avec tout ce que vous exprimez là, beaucoup mieux que je n’aurais pu le faire. Je crois que vraiment il faut en revenir (ou simplement en venir) à Wilhelm Reich. Tout ce qu’il a pu dire sur la répression sexuelle, sur l’insatisfaction sexuelle, sur la cuirasse musculaire et caractérielle, éclaire, comme nul autre auteur ne le fait à ma connaissance, sur le monde moderne, sur la violence que nous voyons un peu partout ressurgir, revenir en force. L’actualité prouve la valeur des théories et hypothèses de cet homme de génie.
Je voudrais juste rajouter une chose, qui me semble avoir été malheureusement occultée par le discours moderne idéologique « féministe ». Partout où la femme, les femmes sont réprimées, méprisées, haïes, par les hommes, alors se trouve un clivage à l’intérieur des hommes eux-mêmes. La répression sexuelle ne se porte et ne peut jamais se porter sur un seul sexe, sur les femmes uniquement. L’homme qui méprise la femme, une femme en tant que femme, méprise et mutile ce faisant son propre désir d’homme. Car le désir de l’homme le porte vers la femme, et partant quand un homme méprise la femme il se méprise lui-même en tant qu’homme de désirer l’objet même de son mépris, et ce faisant il méprise et réprime son propre désir profond. C’est là que dans un homme la force de Vie, la force fécondante, se transforme, se métamorphose en force de haine, de mépris, de force anti-Vie. Il n’est pas de misogynie chez un homme sans misandrie à son propre égard. Tout cela est évidemment en rapport avec le monothéisme, avec la haine, inhérente au monothéisme, de la Nature, de cette « autre que l’on n’a pas fait » comme la définissait si magnifiquement Robert Hainard. Et le « symbole » de la Nature en l’humanité même, outre le désir, c’est la femme, la femme et sa beauté. Tout ressentiment est ressentiment envers la beauté.
Bien vu bien dit ! J’ai aussi en tête cette vidéo accablante qui monte un jeune abruti réjoui et goguenard au volant de sa grosse bagnole et qui remorque en les trainant au bout d’une corde quatre ou cinq cadavres. Jamais rien vu (enfin si, ça ne manque pas !) d’aussi ignoble : pas digne du genre humain.
@ Lemoine andré – Au volant : Abdelhamid Abaaoud, le « cerveau » des attentats (ou tentatives) de Verviers, du musée juif de Bruxelles, du Thalys, de Villejuif, et dernièrement des Bataclan et annexes. L’objet supposé des assauts de St-Denis du 18 novembre au matin. Note : au début, ce n’était pas encore quatre ou cinq cadavres…