Tchernobyl. L’inavouable bilan humain et économique
Chronique de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl - 5
Le bilan humain et économique de la catastrophe de Tchernobyl est quasi impossible à réaliser. L’accident résulte en grande partie de la faillite d’un régime basé sur le secret ; un système à l’agonie qui s’est prolongé cinq ans après l’accident, puis qui a traversé une période des plus troublées, pour aboutir finalement à des système de gouvernement plus ou moins para-maffieux – qu’il s’agisse de l’Ukraine, de la Biélorussie ou de la Russie. Dans de tels systèmes corrompus, les lobbies nucléaires ont eu beau jeu de maintenir leur emprise sur ce secteur militaro-industriel – comme au « bon vieux temps » de l’URSS.
Les victimes n’ont pas été comptabilisées, elles ne figurent sur aucun registre officiel. Établir un bilan non truqué des victimes directes et indirectes, des malades et de leur degré d’affection demeure donc impossible. De même pour ce qui est du coût social lié à l’abandon de domiciles et de territoires, aux familles physiquement, psychologiquement, émotionnellement anéanties. À jamais. Car rien de tels drames n’est réparable. Seules des estimations peuvent être tentées, plus ou moins fondées, plus ou moins catastrophistes ou, au contraire, sciemment minimisées.Concernant le nombre de morts, les chiffres de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) sont plus que douteux ; cet organisme, rattaché à l’ONU, est en effet lié au lobby nucléaire international qu’il finance notoirement.[ref] En particulier au Japon depuis la catastrophe de 2011. À noter que le Saint-Siège (Vatican) est membre de l’AIEA ! (Liaison directe Enfer-Paradis ?…)[/ref] Il faut aussi savoir que l’OMS (Organisation mondiale de la santé) lui est inféodée, ce qui rend également suspectes toutes ses études sur le domaine nucléaire.…
À défaut d’autres études crédibles, considérons celles de l’AIEA pour ce qu’elles sont : des indications à prendre avec la plus grande prudence. Ainsi, de 2003 à 2005, l'AIEA a réalisé une étude d’où il ressort que sur le millier de travailleurs fortement contaminés lors de leurs interventions durant la catastrophe, « seulement » une trentaine sont morts directement. Quant aux liquidateurs, l'AIEA prétend qu’ils ont été exposés à des doses relativement faibles, "pas beaucoup plus élevées que le niveau naturel de radiation."…
S'agissant des 5 millions d'habitants qui ont été exposés à de « faibles doses », l’étude reconnaît un nombre très élevé des cancers de la tyroïde chez les enfants – 4.000 directement imputables à la catastrophe. L’Agence admet toutefois que la mortalité liée aux cancers pourrait s'accroître de quelques pour-cents et entraîner "plusieurs milliers" de décès parmi les liquidateurs, les habitants de la zone évacuée et les résidents de la zone la plus touchée,
Ce bilan officiel est fortement contesté par certains chercheurs. En 2010, l'Académie des sciences de New York a publié un dossier à partir de travaux menés par des chercheurs de la région de Tchernobyl. Ils contestent fortement l'étude de l'AIEA, aussi bien s'agissant du nombre de personnes affectées que de l'importance des retombées radioactives. Ainsi, il y aurait eu en réalité 830.000 liquidateurs et 125.000 d'entre eux seraient morts. Quant aux décès dus à la dispersion des éléments radioactifs, il pourrait s'élever au niveau mondial à près d'un million au cours des 20 ans ayant suivi la catastrophe. Cette estimation semble cependant invraisemblable – on l'espère.Greenpeace a aussi publié un rapport réalisé par 60 scientifiques de Biélorussie, d'Ukraine et de Russie. Le document précise que "les données les plus récentes indiquent que [dans ces trois pays] l'accident a causé une surmortalité estimée à 200 000 décès entre 1990 et 2004."
On le voit, les écarts évaluatifs sont à l’image des enjeux qui s’affrontent autour de ce type de catastrophes. Des divergences semblables apparaissent également au Japon entre opposants (la majorité de la population) et partisans du nucléaire (gouvernants et industriels).
Quant au coût économique, il est plus objectivable que le coût humain à proprement parler ; même si l’un et l’autre ne devraient pas être dissociés.
Plusieurs estimations ont été réalisées, aboutissant à des montants situés entre 700 et 1 000 milliards de dollars US – entre 600 et 900 millions d’euros. [ref]Le directeur de Greenpeace France, Pascal Husting, chiffre le coût total de la catastrophe à 1 000 milliards de dollars US.[/ref]
Un des derniers rapports émane de Green Cross International.[ref] Croix verte internationale, est une organisation non gouvernementale internationale à but environnemental, fondée en 1993 à Kyōto. Mikhaïl Gorbatchev, dernier dirigeant de l'URSS, en est le fondateur et l'actuel président.[/ref] Il prend en compte :
– les coûts directs : dégâts causés à la centrale elle-même et dans ses environs, perte de marchandises et effets immédiats sur la santé ;
– les coûts indirects : retrait de la population de la zone contaminée et conséquences sociétales liées à la vie des personnes exposées aux radiations ainsi que leurs enfants.
La Biélorussie estime à 235 milliards d’USD les coûts engendrés par les dommages subis pour les années 1986 à 2015 et à 240 milliards d’USD pour l’Ukraine. Ces montants n’incluent pas les coûts liés à la sécurité, l’assainissement et la maintenance de la centrale désormais arrêtée ainsi que les coûts actuels pour la mise en place du nouveau sarcophage ; ceux-ci sont pris en charge par les gouvernements des nations concernées, soutenus par l’Union Européenne, les États-Unis et d’autres pays. Pour les habitants ayant dû quitter leur maison, des fonds (dont le montant n’est pas connu) ont été débloqués, des programmes sociaux et des aides médicales mis en place. Mais chacun a sans doute essuyé bien plus de pertes dues à l’effondrement de l’économie et subi des séquelles sanitaires et psychologiques impossibles à chiffrer.
Le nucléaire pour la bombe Ne pas perdre de vue que le nucléaire dit « civil » est d’origine militaire et le reste d’ailleurs, tant qu’il servira à fournir le plutonium destiné à fabriquer les bombes atomiques. Rappelons aussi que le Commissariat à l'énergie atomique (CEA)[ref] … « et aux énergies alternatives », ainsi que Sarkozy en eut décidé, en 2009.[/ref] fut créé par De Gaulle à la Libération, avec mission de poursuivre des recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie nucléaire dans les domaines de la science (notamment les applications médicales), de l’industrie (électricité) et de la défense nationale. De son côté Mikhaïl Gorbatchev, dernier dirigeant de l'Union soviétique, et aujourd’hui président de la Croix verte internationale (Green Cross) a connu son « chemin de Damas » en 1986 : « C'est la catastrophe de Tchernobyl qui m'a vraiment ouvert les yeux : elle a montré quelles pouvaient être les terribles conséquences du nucléaire, même en dehors d'un usage militaire. Cela permettait d'imaginer plus clairement ce qui pourrait se passer après l'explosion d'une bombe nucléaire. Selon les experts scientifiques, un missile nucléaire tel que le SS-18 représente l'équivalent d'une centaine de Tchernobyl. » (Tchernobyl, le début de la fin de l'Union soviétique, tribune dans Le Figaro, 26/04/2006) Par comparaison, l’accident de Fukushima, comprenant la décontamination et le dédommagement des victimes, pourrait n'atteindre "que" 100 milliards d'euros. Ce montant émane de l’exploitant Tepco et date de 2013 ; il relève de l'hypothèse basse et ne comprend pas les charges liées au démantèlement des quatre réacteurs ravagés. Ces opérations dureront autour de quarante ans et nécessiteront le développement de nouvelles techniques ainsi que la formation de milliers de techniciens. Et en France ? L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a présenté en 2013 à Cadarache (Bouches-du-Rhône), une "étude choc" sur l'impact économique d'un accident nucléaire en France. Un " accident majeur ", du type de ceux de Tchernobyl ou de Fukushima, sur un réacteur standard de 900 mégawatts coûterait au pays la somme astronomique de 430 milliards d'euros. Plus de 20 % de son produit intérieur brut (PIB). La perte du réacteur lui-même ne représente que 2 % de la facture. Près de 40 % sont imputables aux conséquences radiologiques : territoires contaminés sur 1 500 km2, évacuation de 100 000 personnes. Aux conséquences sanitaires s'ajoutent les pertes sèches pour l'agriculture. Dans une même proportion interviennent les " coûts d'image " : chute du tourisme mondial dont la France est la première destination, boycottage des produits alimentaires. Le choc dans l'opinion serait tel que l'hypothèse " la plus probable " est une réduction de dix ans de la durée d'exploitation de toutes les centrales, ce qui obligerait à recourir, à marche forcée, à d'autres énergies : le gaz d'abord, puis les renouvelables. Au-delà des frontières, " l'Europe occidentale serait affectée par une catastrophe d'une telle ampleur ". Les dommages sont d'un tout autre ordre de grandeur que ceux du naufrage de l'Erika en 1999, ou de l'explosion de l'usine AZF de Toulouse en 2001, évalués « seulement » à 2 milliards d'euros. [ref]Au delà des coûts, un accident nucléaire ne saurait être comparé à un accident industriel dont les effets, même ravageurs, cessent avec leur réparation.[/ref]
Ces chiffres pourraient doubler en fonction des conditions météorologiques, des vents poussant plus ou moins loin les panaches radioactifs, ou de la densité de population. Un accident grave à la centrale de Dampierre (Loiret) ne forcerait à évacuer que 34 000 personnes, alors qu'à celle du Bugey (Ain), il ferait 163 000 "réfugiés radiologiques ". Pour tempérer ce tableau apocalyptique, l'IRSN sort la rengaine connue du « risque zéro [qui] n'existe pas » et met en avant « les probabilités très faibles de tels événements. 1 sur 10 000 par an pour un accident grave, 1 sur 100 000 par an pour un accident majeur. " Pour avoir participé, dans les années 1960, au sein du Commissariat à l'énergie atomique, à l'élaboration des premières centrales françaises, Bernard Laponche ne partage pas du tout cet « optimisme ». Pour ce physicien, le nucléaire ne représente pas seulement une menace terrifiante, pour nous et pour les générations qui suivront ; il condamne notre pays à rater le train de l'indispensable révolution énergétique. « Il est urgent, clame Bernard Laponche, de choisir une civilisation énergétique qui ne menace pas la vie »[ref] Entretien, Télérama, 18/06/2011.[/ref]. Selon lui – entre autres spécialistes revenus de leurs illusions – les accidents qui se sont réellement produits (cinq réacteurs déjà détruits : un à Three Miles Island, un à Tchernobyl, et trois à Fukushima) sur quatre cent cinquante réacteurs dans le monde, obligent à revoir cette probabilité théorique des experts. « La réalité de ce qui a été constaté, estime-t-il, est trois cents fois supérieure à ces savants calculs. Il y a donc une forte probabilité d'un accident nucléaire majeur en Europe."
C’est le début de la fin.….…..du monde