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Chronique d’un été (le mien). 1) Tout en étant dans le temps de l’étang…


Moi d’août en Provence. Ils nous canulent avec cette canicule. Même si elle nous tombe lourdement dessus, nous bassiner avec le thermomètre ne fera pas tomber la fièvre. En été aussi, les marronniers journalistiques s’abattent sur les médias et les apprentis journalistes. Ce n’est pas à eux qu’on demandera d’établir un lien de causalité entre cette canicule et le fameux « chassé-croisé » battant son record en dépassant les 700 km. – Comment va le monde, môssieur ? – Il ne tourne plus bien rond.

Jean Rouch. L'homme à la caméra. [dr] (Cliquer pour agrandir).
[dropcap]J’en[/dropcap] étais là, et puis, feuilletant Télérama, comme ça, je tombe sur un article parlant de Jean Rouch et de son complice nigérien Damouré Zika. L’ethno-cinéaste aurait eu cent ans l’an dernier, d’où les multiples hommages qui lui ont été rendus et qui se poursuivent. J’ai connu Rouch à Niamey, sa base africaine, d’abord autour d’une interview, puis à d’autres occasions car nous avons bien sympathisé. J’aimais son caractère enjoué, son engagement à plein dans la vie et dans l’action. Il était amoureux de l’Afrique et des Africains, qui le lui rendaient bien. Il y est mort en 2004, dans un accident de la route. (Les routes d’Afrique, surtout à la tombée de la nuit, comme c’était le cas, sont effrayantes).

Rouch, je devais le revoir par la suite avec mon ami africaniste Bernard Nantet au Musée de l’Homme, à Paris, où il avait son autre base, le Comité du film ethnographique[ref]Le Comité du film ethnographique a rassemblé des ethnologues et des cinéastes français comme Marc Allégret, Roger Caillois, Germaine Dieterlen, René Clément, Pierre Ichac, André Leroi-Gourhan, Claude Lévi-Strauss, Edgar Morin, Alain Resnais, Jean Rouch…[/ref], hébergé dans ce vénérable lieu… sous un escalier, autant dire à l’étroit. Nous avions rendez-vous à 17 heures, je ne sais plus trop pourquoi au juste. [ref] Bernard, t’en souviens-tu mieux ?[/ref] À 18 heures, pas de Rouch, qui devait venir de chez lui, à Meudon. À 18 h. 30, Françoise Foucault, sa dévouée secrétaire, nous annonce qu’il ne pourra venir, sa Deuche ayant refusé de démarrer…

À quoi tient l’Histoire… Mais pourquoi diable ce détour ? Attendez, je vais encore vous balader un peu. Je vais vous la faire à la Giono-Pagnol, façon Femme du boulanger, lorsque le pêcheur Maillefer alias « Patience », dit qu’il aurait pu avoir peut-être éventuellement vu les amants… Son récit, qui a rameuté tout le village, commence par son départ à la pêche au petit matin. Un faux départ, avec plein de préparatifs, en fonction du temps, donc des mouches à choisir, de la ligne, des hameçons, sans parler du reste… et sous la menace qu’il se taise si on l’interrompt ! Etc. – car j’abrège.

Un paradis… mais si malmené. [Ph. gp] Cliquer pour agrandir).
Adoncques, je me trouvais subséquemment, dans l’avant-midi comme disent les Québécois, sur les rives de l’étang de Berre (Bouches-du-Rhône). Plus précisément « au Jaï », qui est un endroit « secret » réservé aux indigènes de la petite région marseillaise. Autant dire que je parle de toutes sortes d’indigènes, venus dirait-on par tous les ports de tous les continents ou presque. Ainsi, je fuyais bravement la caniculaire touffeur abattue sur l’humanité climatiquement menacée et en voie d’extinction, pour me rendre sur cette plage encore plutôt assez merveilleuse… Je ne vous en dis pas plus, comme pour les coins à champignons.

Une petite Camargue. [Ph. gp] Cliquer pour agrandir).
Le Jaï (prononcer comme paille), c’est tout de même un paradis. Dès lors que vous avec dépassé les premiers abords, avec maîtres-nageurs, tentes à pique-nique, parasols, bouées-canards et crème solaire ; puis la zone d’activité des ramasseurs de palourdes, avides pêcheurs-cueilleurs courbés en deux sous le cagnard, le nez dans l’eau – des sous-espèces lointaines de flamants roses – à choper ces pauvres coquillages sans défense. À propos, les vrais flamants ne sont pas loin, juste là, derrière la bande sableuse, dans cette petite Camargue, d’où on les voit parfois s’envoler en pleine majesté. De ce côté-ci du cordon dunaire si étroit, un tout autre monde se découvre [ci-contre, cliquer dessus], ce que les spécialistes appellent une zone humide, un havre marécageux offert à une flore et à une faune flamboyantes – et aussi aux chasseurs… Ne pas confondre ces superbes volatiles avec ces autres qui, à quelques encablures, avec des grondements de tambours, montent en flèche vers des ailleurs exotiques.

Mais j’aime les avions, je ne leur en veux pas, bien qu’ils dégagent leurs saloperies qui nous valent en partie nos désastres climatiques (les chassés-croisés du ciel !) Mais je maudis ces terriens d’ici-bas, ces culs-merdeux qui profanent le paradis dont ils viennent profiter, vils profiteurs qu’ils sont, infoutus de remballer leurs merdes immondes ; plastiques de toutes origines ; canettes de bière, coca ; cartons à pizzas ; parasols foutus, étuis et filtres de cigarettes, j’en passe. C’est tout le malheur du monde qui se concentre ici et dans de tels comportements. Et c’est notamment ce qui alimente mon pessimisme existentiel. Passons pour aujourd’hui…

Je ne vais tout de même pas me gâcher mon bonheur d’être là, ici & maintenant, vivant, jusqu’à nouvel ordre. Cet optimisme-là s’avère très limité : ponctuel, individuel. Par exemple, il bute sur l’horizon. Celui de l’étang de Berre, précisément. Il s’agit de ne point trop relever la tête, ni de porter le regard trop au loin. Là-bas crachent sidérurgie et pétrochimie, qui enserrent pratiquement toute cette enclave marine. Elle me le fait payer, ainsi qu’à bien d’autres ! en sous et plus encore en pollutions méchantes (le taux de cancers semble anormalement élevé parmi la population de Fos-sur-Mer, sous le vent mauvais) et, oui, je le paie de cette essence par laquelle je me suis propulsé jusque-là. Je suis de ce monde et de son absurdité, y apportant ma part de contradictions.

Photo par satellite montrant le panache des eaux issues de la centrale EDF. [Cnes]

Où donc voulais-je en venir et vous entraîner, amis patients, curieux, intéressés, méritants… ? Oui : soyons un peu myopes, d’un regard pas trop regardant. La petite mer de l’étang (en provençal : estang de Berro ou mar de Berro) peut se vanter d’être le second plus grand étang salé d'Europe après le Mar Menor, en Espagne. Salé, plus ou moins, grâce au canal de Caronte qui le relie à la Méditerranée, étroit passage de 250 mètres entre les mâchoires qui se sont presque refermées il y a environ 10 000 ans. C’est par ce chenal que transitent les navires joignant les sites industriels – ou transitaient car je n’ai pu jusque-là trouver confirmation. Si l’eau de l’étang est moins salée que saumâtre, c’est à cause des usines hydro-électriques qui déversent l’eau canalisée de la Durance et du Verdon. Des quantités d’eau douce telles que les équilibres écologiques ont été rompus. Pétitions, référendum (98% contre les rejets d’EDF). Oui mais, l’économie, le social et, en plus, l’impossible retour en arrière du « progrès ». Mais les choses tendent à s’arranger, chacun mettant moins d’eau dans son sel. Tout cela est fort bien expliqué sur le très intéressant  site du GIPREB (Gestion intégrée, prospective et restauration de l'étang de Berre).

Mais je ne sais trop où je vous emmène…

À suivre

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

8 réflexions sur “Chronique d’un été (le mien). 1) Tout en étant dans le temps de l’étang…

  • Si, si (impé­ra­trice), conti­nue ton délire, Geai, sur l’es­tang de Berro enjeu emblé­ma­tique entre une volon­té consciente de pré­ser­ver des formes de vie rési­duelle et une autre, incons­ciente, de tout détruire jus­qu’à l’élec­troen­cé­pha­lo­gramme plat autant que géné­ra­li­sé. Et puis pour les culs-mer­deux infou­tus de ramas­ser leurs merdes immondes, gar­dons à l’es­prit cette remarque d’Einstein : « je ne connais que deux choses infi­nies, l’es­pace et la conne­rie humaine, et encore pour l’es­pace, je n’en suis pas sûr »). Ce matin, j’ai ramas­sé une canette (à moi­tié vidée) lais­sée par un débile vrai­sem­bla­ble­ment tatoué de par­tout sur un par­king dédié aux beu­ve­ries noc­turnes. Conscient tout de même du déri­soire, j’ai res­sen­ti l’ac­quies­ce­ment du mahat­ma Rahbi qui me sif­flo­tait le chant du coli­bri : si cette micro-ini­tia­tive citoyenne réduit un peu mon endom­ma­ge­ment psy­chique per­son­nel, c’est déjà ça de gagné…

    À pro­pos de tes avions de Marignane : C’était hier, dimanche, et chose raris­sime, un grand ciel bleu déga­gé jus­qu’à 30.000 pieds, où mani­fes­te­ment aucun zéphyr même léger ne venait dis­si­per les traî­nées – les chem­trails – lais­sées par les avions. Un délire. Des dizaines et des dizaines de traces de voyages aériens, la plu­part d’im­pé­ra­tifs Londres-Barcelone et consorts pour aller, grâce à Ryanair et 29 € la place, se bour­rer la gueule sur les Ramblas. Il y avait même un coin du ciel où les traî­nées pre­naient plus de place que le ciel. Cela dit, je pense qu’i­ci à Toulouse, Airbus-City, le spec­tacle devait être jouis­sif pour certains…

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  • L’indispensable outil de tra­vail de JEAN ROUCH ce fut la camé­ra à l’é­paule déve­lop­pée avec Michel Breault à l’ONF, à Montréal (où ROUCH) aimait bien séjourner.

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  • Graille

    Ce fut pour­tant un si bel été !
    Il faut tout de même le dire !
    J’ai vu aus­si un vol magni­fique de fla­mants roses
    Déployant leur majes­té au des­sus de l’étang
    Cette odeur d’herbes sau­vages séchant au soleil, mélan­gées à celle de l’iode marine..
    Et com­bien d’autres mer­veilles per­met­tant de dire :
    IL n’y a pas que le déses­poir des canettes et autres sale­tés humaines..
    Et nous sommes sous le charme de ton bel été..

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  • Claudine

    Voilà une chro­nique en plein dans son temps et sans son actua­li­té. Nicolas Hulot ne sau­rait la désa­vouer, main­te­nant qu’il semble avoir mesu­ré l’i­nac­tion des poli­ti­ciens face aux vrais enjeux éco­lo­giques. Où l’on voit bien que Macron n’a qu’une pra­tique ges­tion­naire, et même finan­cière, de la poli­tique. On est à l’op­po­sé d’une vision au loin ! et de quoi se deman­der si une telle vision pour­rait éma­ner des poli­ti­ciens, à défaut de vrais hommes (et femmes) politiques !

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  • HEROUARD

    Commentaire à pro­pos de Boileau (petit coin) et de la cas­tra­tion (« des corps », évi­dem­ment Mr Gé) . Savez-vous, amis gé(o)philes qu’en­fant Boileau fût cas­tré par un din­don agres­sif ? On dis­pute de savoir si la verge fût endom­ma­gée, ou si l’oi­seau goba une rou­bi­gnolle. Mais je ne m’a­ven­tu­re­rais pas à en tirer une théo­rie uni­ver­selle sur la haine du sexe des calo­tins. Le pre­mier, Origène s’au­to­châ­tra (184 – 253 ap J.C.)

    Sans tran­si­tion, ne ratez pas le for­mi­dable film (1974) de Jean Rouch « Cocorico Monsieur Poulet » et son iné­nar­rable deu­deuche. C’est très drôle, mais plein d’af­fec­tion pour un cer­tain quo­ti­dien nigé­rien. Film inté­gral, ne ratez pas cette rareté :
    https://​www​.you​tube​.com/​w​a​t​c​h​?​v​=​J​T​5​r​5​c​8​P​YWA

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  • « …Je vais vous la faire à la Giono-Pagnol… » Pourquoi pas Mayle-Tesson ?
    Il en est de vos rac­cour­cis quelques étran­ge­tés. Amalgamer ces deux écri­vains ? C’est cer­tai­ne­ment un coup de chaud ou quelques éma­na­tions des gaz de l’é­tang, à la bai­gnade improbable.

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    • Cher Martial : « La Femme du bou­lan­ger », film de Pagnol d’a­près le roman « Jean le Bleu » de Jean Giono.

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      • Oui, là je com­prends la méta­phore. Vous auriez pu donc aus­si asso­cier Homère et Astérix.
        Quant aux lar­moie­ments sur Hulot, mil­lion­naire grâce à Ecologie-Ushuaïa, déçu de l’ap­peau-litique, bof.
        « …Je suis de ce monde et de son absur­di­té, y appor­tant ma part de contradictions… »

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