Chronique d’un été (le mien). 6) À la fin, nous voilà bien avancés
[dropcap]L'ouvrage[/dropcap] : format carte Michelin. Normal, puisque le support dudit ouvrage n’est ni plus ni moins qu’une carte Michelin. Mon exemplaire (édition originale, premier tirage sérigraphié, numéroté 113/333) porte le n° 61 : « Paris – Troyes – Chaumont » au 1/200 000. L’intérêt, surtout si on n’est pas de ladite région, se trouve au verso. C’est là que les voyageurs voyagent. Un avant-goût avec la quatrième de couverture :
« Improvisation et débrouillardise, anecdotes burlesques, petites et grosses contrariétés, mais aussi splendeur et poésie émaillent le récit de leur voyage. Au-delà de l’exploit sportif d’un tour du jardin à bicyclette, les aventures surprenantes de deux ami-e-s qui racontent ces trois jours à la découverte d’un monde, à savoir leur jardin. »
Pour accompagner le voyage, une fois la Michelin déployée, on est amené à suivre un parcours tout au long de cartes qui, une fois retournées, dévoilent les dessous de l’Aventure : haletant !
L’exploit est remarquable ! Tant sportif, certes, qu’éditorial. Je le mets sur le même plan que Le Tour du monde en 80 jours (toutes proportions gardées) ou, plus sûrement, d’Un Tour du monde en sept jours avec un âne en Provence, déjà évoqué ici, à maintes reprises, à se demander pourquoi… [ref]Les auteurs : Richard Forget et Marine Ponthieu. Illustration de Camille Martin. Ouvrage sérigraphié sur carte Michelin. Pas d'éditeur. On peut le commander par l’intermédiaire de « C’est pour dire », via un commentaire ou par courriel à contact@ponthieu.net [/ref]
Retour au bercail, mais avec remontée dans le temps. Les Beaux dimanches d’Édouard Cornet est un superbe livre de photographies montrant le Marseille et des Marseillais du début du XXe siècle.[ref] Les Beaux dimanches d’Édouard Cornet, Photographies 1900-1928, Éd. Arnaud Bizalion. Partenariat avec les Archives de Marseille. 28 € [/ref] Ces photos proviennent du fonds photographique (environ 2000 plaques de verre) entré aux Archives de Marseille en 2004 par la volonté des descendants de « l’oncle Édouard », prospère entrepreneur verrier, passionné de photographie – une technique toute récente avant de devenir un art.
Édouard Cornet photographie surtout ses proches, famille et amis, dans leurs cadres familiers avec un soin particulier, non pas « à la sauvette », car la technique ne le permet pas encore. D’où le caractère composé des images, voire leurs mises en scène étudiées, soignées. On pose pour la pause. J’aime beaucoup ce genre de photo où l’on montre le meilleur de soi-même, le « mieux »… Du coup, le photographe nous fait partager son monde heureux d’un début du XXe siècle. Même la (Grande) guerre en cours peut sembler « jolie » : on met en scène le retour du soldat, on montre « la toilette » des prisonniers allemands dans l’étang de Berre.[ref]Voir Chronique d’un été (le mien). 1) Tout en étant dans le temps de l’étang…[/ref]
Des textes d’historiens et sémiologues accompagnent ces images, en analysent le sens avec la distance temporelle. Laurence Américi, par exemple, décrypte « des rituels de constitution de la famille, avec pour fonction de solenniser les moments forts de la vie collective ». Dans cet album de famille, l’amitié aussi se trouve valorisée. Ici, « Chez Spinelli à Malmousque »[ref]Quartier de Marseille en bord de mer. (Ndlr).[/ref], l’historienne relève « l’intimité qui réunit l’homme vieillissant à sa mère et à leur domestique », qui trône au centre de l’image, les jumelles évoquant la mer faisant face à ces mines réjouies, dans « la simplicité de l’intimité familière qui efface les frontières ancillaires ».
D’autres photos, plus bourgeoises, évoquent des saynètes d’époque alors en vogue sur les cartes postales ou les partitions de chansons illustrées. D’autres encore montrent des « excursionnistes de Marseille » s’aventurant jusque dans l’Allier ou dans le Cantal, sur les bords de la Marne et même en Alsace. Mais c’est leur ville et ses alentours qu’on voit le mieux avec ces beaux dimanches d’il y a un siècle, pas si loin des Manet et même Fragonard. Des dimanches d’insouciance, vision sans questions, probablement comme la vie d’Édouard Cornet, patron, pratiquant en dilettante avisé l’art naissant de la photo. [ref]Un presque voisin et contemporain, Émile Zola, se lançait aussi dans cette nouvelle capture du monde. Quelque 7000 photos, peut-être plus variées que celles d’Édouard Cornet, mais bien moins esthétiques – et loin de refléter les préoccupations sociales de l’écrivain. Voir ici.[/ref]
Comme le temps passe ! Les chroniques de même. L’été s’achève… Souvenir de cette Cerisaie, de Tchékhov, quand retentit le bruit sourd des haches sur les arbres qu’on abat…
Tout de même, ne pas se laisser abattre. Tiens, qu’apprends-je ? Le célèbre Musée Van Gogh d’Amsterdam vient de dévoiler une collaboration dite « créative » avec la marque Vans ! Ces vils marchands de godasses vont capturer les plus célèbres œuvres de Van Gogh pour les afficher sur des baskets, casquettes et autres Tshirts.
Mais tout va bien dans l’Ordre du Spectacle marchand : une partie des bénéfices sera reversée au musée.
Ulysse aussi est de retour. On s'était un peu égaré, au départ de ces chroniques de « mon » été avec Homère et Tesson. Les odyssées modernes ont perdu leurs majuscules. Elles finissent dans des boutiques. Le monde marche à côté de ses pompes.
Ania, tenant sa mère sans ses bras :
Et voilà la fin de TON été dis tu…
Dans tes chroniques tu as parlé avec brio et talent de beaucoup de sujets passionnants…
Mais de toi ?
De tes ressentis ces beaux matins sous les platanes abritant oiseaux et cigales, bonheur de ce corps vivant profitant du soleil…
Baignades vivifiantes, calanques
Lacs , celui de Salagou aux petites plages sauvages et rouges …
Et tant d’autres joies de l’été!!
Oui je regrette que l’été se finisse..
Mais tes chroniques d’automne dans ton style à toi pourraient si elles existent être délicieuses aussi !
Mais parlerais tu de toi ?
Je crois que c’est grande qualité de ne pas parler de soi, surtout quand on est un homme je dirais, mais de parler de ce que l’on aime, de ce qui a valeur au-delà de soi. Cela nous change du narcissisme ambiant : « mon nombril, ton nombril » qui emplit la plupart des interviews dans les émissions médiatiques (radios, télévisions, etc.) Je n’en admire que plus ces « Chroniques d’un été ». (Mais je comprends aussi que vous vouliez avoir des infos intimes de votre Gérard !)
Notre ami Montaigne disait ne parler que de lui… Je me demande si, quoi qu’on dise, on ne parle jamais que de soi… Ou du moins à partir de soi.
Oui, à partir de soi, c’est certain ! C’est la belle phrase de Nietzsche : « L’homme a beau s’étendre, autant qu’il peut par sa connaissance, il a beau s’apparaître aussi objectivement qu’il le veut, il n’en retire cependant pour finir que sa propre biographie ».
Je ne suis pas sûr du tout que Montaigne ne parlait que de lui ; en tout cas ce qu’il dit va bien au-delà de sa seule personne, et c’est pour cela que les Essais ont tant de résonances en nous.
Ce n’est pas du tout la même chose que ceux qui se répandent sur leurs états d’âme. Non, pour moi, un texte, pour qu’il ait de la valeur, cela suppose de la retenue, du style, et c’est le cas de ces « Chroniques » dans lesquelles bien sûr l’on devine et saisit l’homme à partir de ses amours.
« Le vrai miroir de nos discours est le cours de nos vies ». Montaigne – Essais, I, 26
Et réciproquement. Belle concordance avec Nietzsche. Merci Gérard.
Cher Gérard
Je ne parle pas de « moi je » ni de narcissisme mais d’impression, de ressenti, comme le ferait un peintre ou un Giono, ou un Sylvain Tesson.
Mais je suis d’accord avec vous j’adore les chroniques d’été de Gérard journaliste qui envoie avec plein d’humour et de verve rafraîchissante les anecdotes intéressantes suivies de remarques toujours pleines d’humanité et d’analyses
Courageuses et impartiales…
C’est son été.
Merci pour votre réponse.
Ce qui est narcissique c’est le non renvoi à autre que soi, ce qui n’est pas le cas de notre Gérard ni de Montaigne d’ailleurs. L’un et l’autre renvoient à autres qu’eux en nous faisant connaître, découvrir, ce qui a valeur en dehors d’eux, au-delà d’eux. Gérard avec ce qu’il nous a fait connaître de son été, et Montaigne par exemple avec toutes ses citations latines qui nous ouvrent à une ou des philosophies de la Vie.
Ce qui m’horripile et me révolte c’est tous ces gens établis, reconnus, qui lorsqu’ils ont la chance d’avoir une heure qui leur est consacrée, soit à la radio soit à la télévision, ne font jamais connaître un autre être qu’eux, alors qu’il y a tant de magnifiques œuvres, de magnifiques artistes, philosophes, etc., totalement boycottés par ce système « mon nombril, ton nombril » médiatique.
Si l’on me donnait une telle heure sur France Inter par exemple (je peux rêver) j’en ferais connaître des êtres et choses de valeur, entre autres le blog C’est pour dire !
Comme vous êtes médisant Gérard. Comment dire : « La Kulture » descend, se répand, se dilue, s’étale… vers le « grand public » consumériste, pour se partager à travers les objets (de marque !) du quotidien (pour signifier qu’on est de la tribu X,Y ou Z… sinon « on » n’existe pas.) et vous, vous ricanez. Vous vous moquez. Vous dénoncez « ce monde heureux d’un début du XXIe siècle ! » Franchement, en quoi vous gène » le plaisir des masses de faire le tour du centre commercial, chaque jour et surtout le week-end » ?
Ho là, Martial, comme vous y allez en interprétation ! J’ai beau me relire, je ne vois rien de si médisant venant de moi. Je déplore juste, en le disant bien net, la vile récupération marchande d’un artiste pour le moins hors commerce, lui qui ne vendit qu’un seul tableau de son vivant, et encore, par compassion… Tandis que la moindre de ses oeuvres culmine désormais dans les enchères entre ultra-riches !
1- Gérard, vous avez parfaitement compris que je ne vous trouve absolument pas médisant. Mes écrits sont ironiques. Mais la réalité consommée à vil prix en plaisir immédiat des masses laborieuses, est aussi réelle que le terrible Marché de l’Art entre les rares initiés esthètes richissimes.
2- Je suis absolument contre l’hypocrisie du refus d’admettre qu’on parle de soi. Ce que font tous vos auteurs cités (ou interprétés), ça et là, par là-bas en haut ou ici-bas. C’est votre portrait solennel, qui est dans ma tête quand je vous lis (…souvenir de photographe).
Et oui !
La culture au bout du pied…
Très rigolo !