Malaise dans l’éducation. Entre hébétude et morale hypocrite
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Par Gian Laurens
Des profs se font braquer, dont certains dans un tel état d’hébétude qu’ils ne réagissent même pas, résignés qu’ils sont à une fatalité morbide. La caméra floute le noir visage du flingueur, histoire de rester politiquement correct. Le ministre tempête, comme d’habitude, « il faut que ça cesse ! », car voilà 30 ans que ça continue.
[dropcap]Pendant[/dropcap] que la gauche regarde le bout de ses souliers, la droite vitupère et réclame la police à l’école, la suppression des allocations pour les familles – assez certainement monoparentales – des gamins flingueurs de troisième génération. Et elle note accessoirement dans ses commentaires acerbes en forme de disque rayé du Figaro ou du Monde que c’est la faute à Mai 68 et son interdit-d’interdire – ce qui peut être partiellement vrai dans la mesure où il y a eu dans l’après-68 un laxisme gauchiste : il ne fallait pas interdire aux asociaux débiles de pourrir la vie collective qui avait pu être jusque là plutôt harmonieuse, sans qu’il y ait eu besoin d’un règlement.
Eh bien la droite n’a pas plus raison que la gauche qui se tait, cette gauche embrouillée dans des contradictions dont elle est traditionnellement sujette. C’est la gauche du Front Populaire qui a désarmé par son pacifisme bêlant la France vaincue en 5 semaines par la Wehrmacht ; c’est la gauche qui a amorcé et poursuivi la guerre d’Algérie ; ce ne sont pas des députés de gauche qui ont fait voter les lois de la contraception et de l’avortement mais des députés de droite, etc.
La droite dénonce le manque d’autorité, de respect, de morale, chose que la gauche a évidemment beaucoup plus de peine à dénoncer. Et la droite voudrait rétablir l’instruction civique et la morale et pourquoi pas le catéchisme obligatoire à l’école. Elle pense que c’est par une réforme réactionnaire de l’éducation que l’on retrouverait les vertus républicaines voire monarchistes ; elle pense que par l’apprentissage rigoureux des préceptes moraux de politesse, de civisme, de respect des anciens et du code de la route, les jeunes générations deviendraient polies, civiques, respectueuses et par là même obéissantes et travailleuses, productives et grandement consommatrices des biens et services multipliés par une croissance sans cesse en expansion et fatalement biocidaire.
Eh bien la droite se trompe tout autant que la gauche s’illusionne. Car la droite raisonne comme un tambour, et le bruit l’assourdit au point qu’elle n’entend ni ne voit qu’une bonne partie de ces écoliers, lycéens et autres étudiants ne peut pas croire à cette instruction civique et à cette morale officielle que contredit chaque jour davantage le comportement de ceux qui ont réussi : ces figures d’un capitalisme triomphant, ces ténors du spectaculaire-marchand qui transgressent allègrement ces règles de l’instruction civique et de la morale pour toujours plus de profit, pour une compétition biaisée en leur faveur à force d’intimidation, de pression, de corruption, d’optimisation fiscale. Ces jeunes voient bien que l’enrichissement ne profite qu’à ceux qui osent s’affranchir des règles, ceux qui bluffent, qui mentent, qui truandent, qui mystifient, qui méprisent les autres, les petits, ces sans-grades qui se contentent de rouspéter en reproduisant sans cesse les mêmes errements, jusqu'à revoter pour un nouvel espoir, déçu la veille même.
La droite clame sur fond de silence de la gauche qu’il faut redonner de l’autorité aux maîtres et professeurs, qui sont généralement de gauche et gauchement allergiques à l’autorité. Ce sont majoritairement de mous bien-pensants rousseauistes qui tenteront de dire à une racaille beur en train de violer leur fille qu’elle devrait arrêter, sinon ça risque de discréditer les musulmans… La droite oublie que l’éducation se propose de former accessoirement des citoyens, mais surtout des agents du système capitaliste, producteurs et consommateurs de biens plus ou moins inutiles et polluants.
Les lois d’airain de la production sont le profit et la compétition, choses grandement antithétiques de l’instruction civique et de la morale : les liberté, égalité, fraternité font place aux coercition, hiérarchie, combativité. Et le jeune Noir qui pointe son pistolet factice sur la prof plongée dans un état stuporeux prend en quelque sorte l’initiative de travaux pratiques parfaitement adaptés au monde du travail qui l’attend – si l’on veut bien admettre que ce monde-là du travail comprend trafic de stupéfiants et autres tournantes dans les caves, après les phases probatoires du stage Mac Do ou de la livraison Uber Eats.
Le capitalisme est profondément immoral, puisqu’il repose sur les principes de la domination du pauvre par le riche, du leurre par la publicité, de la compétition au profit de privilégiés, de l’exploitation exhaustive des ressources, du primat de l’avoir sur l’être et finalement de l’anéantissement du vivant. Il a atteint avec la mondialisation le stade suprême de la normalité, qui n’est qu’inversion d’une vie sereine : comment peut-on espérer que des gamins de 15 ans ne pointent plus de faux flingues alors que l’infox est partout ?
Quant à l’autorité des enseignants, elle se retrouvera quand elle sera débarrassée des oripeaux de l’instruction civique artificielle et de la morale hypocrite, ce qui ne peut advenir qu’avec la fin du capitalisme. Ce ne sera plus une autorité crainte sinon factice, mais une autorité recherchée et acceptée. Ce sera l’autorité d’un savoir honnête et passionnant qui apportera aux apprenants ce dont le productivisme et la compétititititivité les ont privés : l’excitation de la curiosité, l’émerveillement de la découverte, le partage confraternel, l’entraide joyeuse.
En cherchant à démontrer les diverses causes extérieures (sociétales et/ou dirigistes), je crois, Gérard, qu’il est omit en cet article, le point de vue sur (désormais), la non-éducation parentale, d’ailleurs tout autant irresponsable que (tous) leurs petits « génies ».
La conclusion, je suppose, est une blagounette de « Bizounours »…
Tous les dérèglements quotidiens, en exemples vers nos chérubins, ne sont pas que colorations politiques.
Je suis d’accord évidemment. mais quelle mouche t’a pris Gian d’incriminer Rousseau, spectateur anachronique quasi complice d’un viol de crainte d’être taxé d’islamophobie. Hors contexte ! L’allusion à l’auteur d” « Emile ou de l’éducation » pourrait être interprétée comme un soutien aux sempiternels critiques des pédagogues-laxistes-soixante-huitards. Le pauvre Jean-Jacques ne méritait pas ça. Ce qui ne va pas arranger sa paranoïa outre-tombe (ah zut, là c’est Chateaubriand !).
Amicalement
Euh… étant moi-même abandonnique, j’ai une dent (de lait) à l’encontre de Jean-Jacques qui pond Emile mais a largué ses 5 enfants aux Enfants-Trouvés… Un précurseur de la non-éducation parentale, dirait Martial… Cela dit, ne jetons pas le Genevois avec l’eau du Lac, il y a de très bonnes choses chez lui, dont le Contrat !