Gilets Jaunes. Et c’est ainsi que Jupiter devint Roi-des-cons
Il est mort par un éclair blanc, tous derrière et lui devant.
Une autre ? Celle-là, si connue aussi, est de Raymond Devos : Plaisir des sens, titre de son sketch de jeunesse (éternelle).
[dropcap]Cette[/dropcap] affaire de ronds-points est vraiment étonnante. Des ronds-points pour les point-de ronds. Ils n’avaient plus de sortie digne. Sens interdits, de tous côtés. Ce pouvoir auto-aveuglé, lui aussi s’est enfermé dans son « rond », son cercle fermé des certitudes. Les « Moi-je-sais ». Je sais surtout ce qui est bon pour le peuple. Oui, même si je ne le fréquente pas, je devine ses besoins – petits comme ses rêves de beauf « qui fume, roule en diésel ». Hier une députée marcheuse au nom et au ton de marquise, dans le poste, vantait les bienfaits à venir d’une évaluation de l’ISF, dans les six mois, et qu’alors il faudrait « flécher »… Le baratin technocrate, les mots tueurs de fraternité.
C’est bien, finalement, les ronds-points. La seule invention à la noix rentabilisée sur l’air de la Carmagnole. Ingénieux ingénieurs des Ronds-points & chaussées ; ils ont ainsi ensemencé le territoire entier : bien plus que seulement utiles, rentables pour les Bouygues, les adjoints aux finances locales, départementales, régionales, nationales, européennes, mondiales. Oui, le monde comme un vaste rond-point. La terre n’est plus si ronde, elle ne tourne plus rond, au secours Galileo !
La fable de Raymond Devos : qui eut cru en sa force prédictive ? Cernés par le non-sens de leurs vies rétrécies, les Peuples se sont évadés par le haut, aspirés par leurs aspirations à la justice, non à ses représentations enfarinées et enfarineuses. Au moins s’élèvent-ils pour un temps, celui des conquêtes immédiates, immédiatement victorieuses. Une ivresse, c’est toujours ça de pris. Même si on connaît les lendemains de cuite, la gueule de bois.
Et c’est ainsi que le Pouvoir, son gouvernement, ses ministres, conseillers, « plumes », Benalla et autres valets se sont retrouvés dans la nasse des sens-interdits : plus d’issue ! Ni à droite, ni à gauche, au centre. Tout sens dessus-dessous ! Les voilà dans leurs ronds-points, comme des cons. Des instruits-cons, comme aimait dire mon père.
La facture est salée. Ça revient cher de jouer les Jupiter, quand on n’a pas le souffle divin. Transposition du « Faut pas jouer les riches, quand on n’a pas le sou » (Brel). Il faudra payer. Les riches renâclent déjà, la main sur le portefeuille. Les pauvres sont sur leurs gardes. Comment résister, pour de vrai ? Ne pas se faire entuber une fois de plus, échaudés qu’ils sont de tous ces « représentants du peuple », députés, délégués, mandatés, tous ces « élus de mes couilles » – car il faut aussi faire donner la langue vulgaire, celle qui tranche, qui dénote dans les assemblées, les salons dorés, les « tables-rondes », ces autres ronds-points piégeux. Comme la télé, par exemple, en ses débats tout aussi piégeux, dont des Gilets jaunes savent souvent se sortir par leurs cris du cœur, face à la gente journaleuse
Ainsi ce Xavier Mathieu, ex-syndicaliste de la CGT devenu acteur, lançant sur BFM : « Oui, Macron va dégager. Il va falloir qu'il vire cette Assemblée nationale, qu'il ne respecte même pas. Il ne respecte même pas ses élus ». Une sortie qui lui vaut un commentaire ironique de Ruth Elkrief : « On voit bien que vous êtes comédien aujourd'hui ». L'ancien “Conti" accuse alors la journaliste d'exprimer son « mépris de classe ». « Quel rapport avec le comédien ? Ça fait dix ans que je fais des débats télé ! », s'est étonné Xavier Mathieu, avant d'ajouter : « Madame Elkrief, vous ne me prendrez pas de haut. Vous l'avez fait pendant deux heures avec les gens qui étaient en face de vous (...). Des huit, je suis le seul à avoir vécu ce que ces gens vivent. Je sais ce qu'ils vivent ». « Vous êtes méprisante envers moi »
Ce pouvoir aura validé la violence comme force politique
En bas de ladite facture, ne pas oublier les taxes, les fameuses taxes – la goutte d’eau qui a mis le feu aux poudres, pour parodier Monsieur Prudhomme, ce grand pourfendeur à coups de non-sens. D’ores et déjà, le plus lourd dans l’addition, en fin de compte, ce sera d’avoir reconnu et validé la force politique de la violence. Les casseurs des Champs-Élysées auront bel et bien eu gain de cause. Ils ont été les alliés objectifs de Gilets jaunes dont ils auront servi la lutte. C’est en cela surtout que ce Pouvoir est le plus grand perdant. Il a, par ses mépris affichés, ses tergiversations, ses marchandages, son baratin, son obstination hautaine, sa surdité et son aveuglement nourri la violence, consacrée comme accoucheuse de l’Histoire.
Voilà la grande défaite due à ce Pouvoir : celle par laquelle aura régressé encore cette Démocratie de fond, réelle, opposée à celle de façade, des faux semblants, des « éléments de langage », de la com’, de cette « pédagogie » qui prend le peuple pour des attardés infantiles.
Magnifique article, Gérard. Vraiment magnifique. A méditer – à penser surtout – chaque phrase.
Moi aussi, j’ai regardé l’émission d’hier dont tu parles. Le mépris de classe : des « instruits-cons », des imbéciles je dirais, sans sentiments pour leurs prochains, des virtuoses du langage vide, tels les De Rugy, Schiappa, leur suffisance… « Y’en a marre » comme le chantait Léo Ferré. Leur façon d’occuper le terrain de la parole afin que rien ne se dise, leur inébranlable croyance d’imbéciles à affirmer qu’ils savent ce qui est bon pour autrui, au besoin contre autrui. Qu’ils dégagent tous ! Je n’en peux plus de ces gens là, et je comprends ceux qui n’écoutent même plus une seule émission politique tellement cela donne la nausée, tellement c’est écœurant. Je n’en peux plus, et je ne suis pas le seul, de tous ces curés de la bien-pensance, de ceux qui « savent », de cette morale qui s’abat toujours sur les pauvres, de toutes ces morales de procureurs qui ne sont que des manières, des tentatives de mettre des muselières sur tous ceux qui voudraient – au moins une fois dans leur vie – ouvrir leur gueule pour dire, pour crier leurs souffrances.
J’ai vu, ce midi encore, à la télévision, ces visages des Gilets Jaunes filmés lors de l’une de leur réunion pour déterminer l’avenir de leur mouvement. Quelle noblesse, quelle gravité. Des visages magnifiques, d’hommes et de femmes qui savent ce qu’est la dureté du travail manuel, du travail véritable, producteur de richesses, des visages marqués par la vie et que pour une fois l’on filme, l’on voit. Des visages de prolétaires. L’un, en retraite, les larmes aux yeux, dit qu’il a travaillé 43 ans ou 46 ans (il me semble), et qu’il n’a, une fois tout payé, que 150 euros pour vivre ! Des visages magnifiques de ce qu’est l’humanité réelle, des visages comme je les aime, à la John Ford, les visages des « Raisins de la Colère ». Qui peut dire que leur révolte, envers leurs conditions de vie et envers le mépris de classe qui sans cesse s’abat sur eux, n’est point légitime ?!
A‑t-on déjà vu des revendications aboutir sans (un minimum de) violence ? Sans aller jusqu’à la louer, faut-il vraiment s’en plaindre, alors qu’elle accouche de l’Histoire que la non-violence se contente de subir ? Le reproche que l’on peut faire aux violents obstétriciens, c’est de laisser tomber ceux qui ont été blessés sur le champ de bataille et embarqués par les CRS, et accessoirement, de ne pas être plus tactiquement efficaces : pourquoi perdre du temps à taguer l’Arc de Triomphe de la Mort et ne pas se concentrer sur l’Elysée ? C’est possible, voyez du côté du Puy-du-Fou-en-Velay…
Pour moi, la violence est une faiblesse, elle n’accouche que d’elle-même, à terme. C’est le bégaiement de l’Histoire. Elle exprime l’impuissance à faire valoir le primat de la vie vivante. La non-violence ne saurait se réduire à une soumission, si du moins elle parvient à produire à mobiliser l’imaginaire créateur : une poésie politique comme il en a émergé jadis, par bribes et flammes vite éteintes sous la répression – la Commune de 1871 notamment ; Mai 68 en partie. Donc des moments rares. Les Gilets jaunes n’en sont pas si loin, à entendre certaines de leurs fulgurances expressives. C’est même pourquoi, je pense, qu’ils redoutent le clapet qui se refermera avec des « représentants » assis, quand les tables-rondes succéderont aux ronds-points. Il nous faudra repenser « les luttes », surtout les penser autrement. Vaste chantier, puisqu’il s’agit de sortir l’humanité non seulement du Vieux monde, mais surtout des Âges anciens.
Je partage ce point de vue sur l’Histoire et la violence, ayant moi-même abondé plutôt pour les luttes violentes dans mon jeune temps, m’opposant aux anarchistes non-violents (ANV) que je prenais un peu de haut, pour des doux rêveurs. En fait, ils étaient très en avance sur le cours de l’Histoire qui n’a encore rien produit de mieux en matière d’humanité sortie de la steppe ou des grottes que les combats pacifistes de Gandhi et Mandela. Et aussi Martin Luther, victime de ce qu’il dénonçait. C’est pour cela que je ne me réjouis pas des montées de tension annonçant des affrontements, blessures, souffrances et même pire ! Et après ?
Oui Gérard, les Gilets Jaunes ont compris, je le crois aussi, que « le clapet se refermera avec des « représentants » assis » comme tu le dis si bien. Ce qui est fantastique c’est que ce refus de représentants, de représentation, empêche totalement le pouvoir d’avoir prise sur eux, et ils ont compris cela, redécouvrant d’instinct la vieille tradition libertaire. Le pouvoir a toujours besoin de leaders qui trahissent les causes ouvrières, et là il ne sait quoi faire, il est désemparé.
La macronie est foutue, je le crois, tout part en javelles, de tous les bouts. Mais, mais, mais, un coup d’état est à craindre, comme le craint Emmanuel Todd : en effet certains parlent de faire intervenir l’armée ! comme dans les dictatures ! Macron est tout sauf un démocrate et il doit l’avoir mauvaise comme on dit. C’est pourquoi la violence n’est pas du tout à préconiser, alors que tenir la position sur les ronds-points, encore quelques semaines, cela oui.
Il y en a un qui a eu le nez fin, c’est le moins que l’on puisse dire, c’est le précédent ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, qui a pris soin de rentrer dans son « fief » (ah l’aristocratie !) comme on dit, c’est-à-dire de regagner sa mairie de Lyon. A‑t-il eu vent (avec des renseignements pour lui généreux) que tout allait tourner mal pour la macronie, et du coup pris les devants ? C’est une hypothèse tout à fait envisageable.
Ah oui, bravo le Gérard pour ce billet salutaire. Oui aussi, cette guerre de langage, guerre des langues. C’est fini vos trucs disait Ferré. Fléchage, qu’elle disait cette “marcheuse” dans le poste, et ce malin de Guillaume Erner qui subtilement traduisait ses propos vaseux. La même nana – Amélie de Montchalin – qui vantait les mérites de la suppression de l’ISF tout en affirmant qu’il fallait évaluer cette suppression. Quelle régalade, quelle poilade. Je rêvais d’entendre les vrais mots des vrais gens dans le poste, tous les postes. Yark ! Ça vient et ça ne relève pas de la méthode, ni de la pédagogie. Me revient aussi cette mélodie : ils ont changé ma chanson… Il est temps de la reprendre, cette juste mélodie, paroles et musique.
C’est bien connu, la seule façon de sortir d’un rond-point : tourner à droite !
Toujours très juste, Gérard, et le même plaisir de te lire ! Mais un peu de légèreté ne nuit pas et je ris toujours à ce sketch de Raimond Devos sur ces rond-points dont ton serviteur a commis quelques exemplaires pour de bonnes raisons, avant que les collectivités locales ne s’en servent à outrance comme élément de décoration ; trop de giratoire tue le giratoire 🙂
Pour revenir à l’actualité : pouvons nous espérer une gauche moins stupide lors des prochaines présidentielles, pour, peut-être, s’éviter ça ?