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Gilets Jaunes. Et c’est ainsi que Jupiter devint Roi-des-cons

Temps de lecture ± 4 mn

Ou comment un prince trop vite poussé, un start-upiste du libéralisme politicien, s’est pris les pieds dans le tapis moelleux de sa propre suffisance. C’est ainsi : le pouvoir rend con. Ses effluves montent à la tête, en ligne directe. Une drogue. Une drogue qu’on se passe comme un joint, dans le petit cénacle de ses barons et marquis, lèche-bottes, suceurs de bonne soupe. Ils se croyaient en marche, tous derrière-tous derrière, comme chantait Brassens, avec Paul Fort. Mais ce petit cheval là n’avait pas si grand courage, juste du panache, un peu, et de la bravade surtout. Ils marchaient, croyaient-ils, sans savoir qu’ils suivaient un convoi funèbre.
Mais un jour, dans le mauvais temps, un jour qu'il était si sage,
Il est mort par un éclair blanc, tous derrière et lui devant
.

Une autre ? Celle-là, si connue aussi, est de Raymond Devos : Plaisir des sens, titre de son sketch de jeunesse (éternelle).

 

 

[dropcap]Cette[/dropcap] affaire de ronds-points est vraiment étonnante. Des ronds-points pour les point-de ronds. Ils n’avaient plus de sortie digne. Sens interdits, de tous côtés. Ce pouvoir auto-aveuglé, lui aussi s’est enfermé dans son « rond », son cercle fermé des certitudes. Les « Moi-je-sais ». Je sais surtout ce qui est bon pour le peuple. Oui, même si je ne le fréquente pas, je devine ses besoins – petits comme ses rêves de beauf « qui fume, roule en diésel ». Hier une députée marcheuse au nom et au ton de marquise, dans le poste, vantait les bienfaits à venir d’une évaluation de l’ISF, dans les six mois, et qu’alors il faudrait « flécher »… Le baratin technocrate, les mots tueurs de fraternité.

C’est bien, finalement, les ronds-points. La seule invention à la noix rentabilisée sur l’air de la Carmagnole. Ingénieux ingénieurs des Ronds-points & chaussées ; ils ont ainsi ensemencé le territoire entier : bien plus que seulement utiles, rentables pour les Bouygues, les adjoints aux finances locales, départementales, régionales, nationales, européennes, mondiales. Oui, le monde comme un vaste rond-point. La terre n’est plus si ronde, elle ne tourne plus rond, au secours Galileo !

La fable de Raymond Devos : qui eut cru en sa force prédictive ? Cernés par le non-sens de leurs vies rétrécies, les Peuples se sont évadés par le haut, aspirés par leurs aspirations à la justice, non à ses représentations enfarinées et enfarineuses. Au moins s’élèvent-ils pour un temps, celui des conquêtes immédiates, immédiatement victorieuses. Une ivresse, c’est toujours ça de pris. Même si on connaît les lendemains de cuite, la gueule de bois.

Gérald Darmanin ISF
Gérald Darmanin, hier encore sur France inter  : « Nous ne reviendrons pas sur la suppression de l'ISF ». Parole de marquis.

Et c’est ainsi que le Pouvoir, son gouvernement, ses ministres, conseillers, « plumes », Benalla et autres valets se sont retrouvés dans la nasse des sens-interdits : plus d’issue ! Ni à droite, ni à gauche, au centre. Tout sens dessus-dessous ! Les voilà dans leurs ronds-points, comme des cons. Des instruits-cons, comme aimait dire mon père.

La facture est salée. Ça revient cher de jouer les Jupiter, quand on n’a pas le souffle divin. Transposition du « Faut pas jouer les riches, quand on n’a pas le sou » (Brel). Il faudra payer. Les riches renâclent déjà, la main sur le portefeuille. Les pauvres sont sur leurs gardes. Comment résister, pour de vrai ? Ne pas se faire entuber une fois de plus, échaudés qu’ils sont de tous ces « représentants du peuple », députés, délégués, mandatés, tous ces « élus de mes couilles » – car il faut aussi faire donner la langue vulgaire, celle qui tranche, qui dénote dans les assemblées, les salons dorés, les « tables-rondes », ces autres ronds-points piégeux. Comme la télé, par exemple, en ses débats tout aussi piégeux, dont des Gilets jaunes savent souvent se sortir par leurs cris du cœur, face à la gente journaleuse

Ainsi ce Xavier Mathieu, ex-syndicaliste de la CGT devenu acteur, lançant sur BFM : « Oui, Macron va dégager. Il va falloir qu'il vire cette Assemblée nationale, qu'il ne respecte même pas. Il ne respecte même pas ses élus ». Une sortie qui lui vaut un commentaire ironique de Ruth Elkrief : « On voit bien que vous êtes comédien aujourd'hui ». L'ancien “Conti" accuse alors la journaliste d'exprimer son « mépris de classe ». « Quel rapport avec le comédien ? Ça fait dix ans que je fais des débats télé ! », s'est étonné Xavier Mathieu, avant d'ajouter : « Madame Elkrief, vous ne me prendrez pas de haut. Vous l'avez fait pendant deux heures avec les gens qui étaient en face de vous (...). Des huit, je suis le seul à avoir vécu ce que ces gens vivent. Je sais ce qu'ils vivent ». « Vous êtes méprisante envers moi »

Ce pouvoir aura validé la violence comme force politique

En bas de ladite facture, ne pas oublier les taxes, les fameuses taxes la goutte d’eau qui a mis le feu aux poudres, pour parodier Monsieur Prudhomme, ce grand pourfendeur à coups de non-sens. D’ores et déjà, le plus lourd dans l’addition, en fin de compte, ce sera d’avoir reconnu et validé la force politique de la violence. Les casseurs des Champs-Élysées auront bel et bien eu gain de cause. Ils ont été les alliés objectifs de Gilets jaunes dont ils auront servi la lutte. C’est en cela surtout que ce Pouvoir est le plus grand perdant. Il a, par ses mépris affichés, ses tergiversations, ses marchandages, son baratin, son obstination hautaine, sa surdité et son aveuglement nourri la violence, consacrée comme accoucheuse de l’Histoire.

Voilà la grande défaite due à ce Pouvoir : celle par laquelle aura régressé encore cette Démocratie de fond, réelle, opposée à celle de façade, des faux semblants, des « éléments de langage », de la com’, de cette « pédagogie » qui prend le peuple pour des attardés infantiles.

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

8 réflexions sur “Gilets Jaunes. Et c’est ainsi que Jupiter<span class="pt_splitter pt_splitter-1"> devint Roi-des-cons</span>

  • Gérard Bérilley

    Magnifique article, Gérard. Vraiment magni­fique. A médi­ter – à pen­ser sur­tout – chaque phrase.
    Moi aus­si, j’ai regar­dé l’é­mis­sion d’hier dont tu parles. Le mépris de classe : des « ins­truits-cons », des imbé­ciles je dirais, sans sen­ti­ments pour leurs pro­chains, des vir­tuoses du lan­gage vide, tels les De Rugy, Schiappa, leur suf­fi­sance… « Y’en a marre » comme le chan­tait Léo Ferré. Leur façon d’oc­cu­per le ter­rain de la parole afin que rien ne se dise, leur inébran­lable croyance d’im­bé­ciles à affir­mer qu’ils savent ce qui est bon pour autrui, au besoin contre autrui. Qu’ils dégagent tous ! Je n’en peux plus de ces gens là, et je com­prends ceux qui n’é­coutent même plus une seule émis­sion poli­tique tel­le­ment cela donne la nau­sée, tel­le­ment c’est écœu­rant. Je n’en peux plus, et je ne suis pas le seul, de tous ces curés de la bien-pen­sance, de ceux qui « savent », de cette morale qui s’a­bat tou­jours sur les pauvres, de toutes ces morales de pro­cu­reurs qui ne sont que des manières, des ten­ta­tives de mettre des muse­lières sur tous ceux qui vou­draient – au moins une fois dans leur vie – ouvrir leur gueule pour dire, pour crier leurs souffrances.
    J’ai vu, ce midi encore, à la télé­vi­sion, ces visages des Gilets Jaunes fil­més lors de l’une de leur réunion pour déter­mi­ner l’a­ve­nir de leur mou­ve­ment. Quelle noblesse, quelle gra­vi­té. Des visages magni­fiques, d’hommes et de femmes qui savent ce qu’est la dure­té du tra­vail manuel, du tra­vail véri­table, pro­duc­teur de richesses, des visages mar­qués par la vie et que pour une fois l’on filme, l’on voit. Des visages de pro­lé­taires. L’un, en retraite, les larmes aux yeux, dit qu’il a tra­vaillé 43 ans ou 46 ans (il me semble), et qu’il n’a, une fois tout payé, que 150 euros pour vivre ! Des visages magni­fiques de ce qu’est l’hu­ma­ni­té réelle, des visages comme je les aime, à la John Ford, les visages des « Raisins de la Colère ». Qui peut dire que leur révolte, envers leurs condi­tions de vie et envers le mépris de classe qui sans cesse s’a­bat sur eux, n’est point légitime ?!

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  • Gian

    A‑t-on déjà vu des reven­di­ca­tions abou­tir sans (un mini­mum de) vio­lence ? Sans aller jus­qu’à la louer, faut-il vrai­ment s’en plaindre, alors qu’elle accouche de l’Histoire que la non-vio­lence se contente de subir ? Le reproche que l’on peut faire aux vio­lents obs­té­tri­ciens, c’est de lais­ser tom­ber ceux qui ont été bles­sés sur le champ de bataille et embar­qués par les CRS, et acces­soi­re­ment, de ne pas être plus tac­ti­que­ment effi­caces : pour­quoi perdre du temps à taguer l’Arc de Triomphe de la Mort et ne pas se concen­trer sur l’Elysée ? C’est pos­sible, voyez du côté du Puy-du-Fou-en-Velay…

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    • Pour moi, la vio­lence est une fai­blesse, elle n’ac­couche que d’elle-même, à terme. C’est le bégaie­ment de l’Histoire. Elle exprime l’im­puis­sance à faire valoir le pri­mat de la vie vivante. La non-vio­lence ne sau­rait se réduire à une sou­mis­sion, si du moins elle par­vient à pro­duire à mobi­li­ser l’i­ma­gi­naire créa­teur : une poé­sie poli­tique comme il en a émer­gé jadis, par bribes et flammes vite éteintes sous la répres­sion – la Commune de 1871 notam­ment ; Mai 68 en par­tie. Donc des moments rares. Les Gilets jaunes n’en sont pas si loin, à entendre cer­taines de leurs ful­gu­rances expres­sives. C’est même pour­quoi, je pense, qu’ils redoutent le cla­pet qui se refer­me­ra avec des « repré­sen­tants » assis, quand les tables-rondes suc­cé­de­ront aux ronds-points. Il nous fau­dra repen­ser « les luttes », sur­tout les pen­ser autre­ment. Vaste chan­tier, puis­qu’il s’a­git de sor­tir l’hu­ma­ni­té non seule­ment du Vieux monde, mais sur­tout des Âges anciens.

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      • Regain

        Je par­tage ce point de vue sur l’Histoire et la vio­lence, ayant moi-même abon­dé plu­tôt pour les luttes vio­lentes dans mon jeune temps, m’op­po­sant aux anar­chistes non-vio­lents (ANV) que je pre­nais un peu de haut, pour des doux rêveurs. En fait, ils étaient très en avance sur le cours de l’Histoire qui n’a encore rien pro­duit de mieux en matière d’hu­ma­ni­té sor­tie de la steppe ou des grottes que les com­bats paci­fistes de Gandhi et Mandela. Et aus­si Martin Luther, vic­time de ce qu’il dénon­çait. C’est pour cela que je ne me réjouis pas des mon­tées de ten­sion annon­çant des affron­te­ments, bles­sures, souf­frances et même pire ! Et après ?

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      • Gérard Bérilley

        Oui Gérard, les Gilets Jaunes ont com­pris, je le crois aus­si, que « le cla­pet se refer­me­ra avec des « repré­sen­tants » assis » comme tu le dis si bien. Ce qui est fan­tas­tique c’est que ce refus de repré­sen­tants, de repré­sen­ta­tion, empêche tota­le­ment le pou­voir d’a­voir prise sur eux, et ils ont com­pris cela, redé­cou­vrant d’ins­tinct la vieille tra­di­tion liber­taire. Le pou­voir a tou­jours besoin de lea­ders qui tra­hissent les causes ouvrières, et là il ne sait quoi faire, il est désemparé.
        La macro­nie est fou­tue, je le crois, tout part en javelles, de tous les bouts. Mais, mais, mais, un coup d’é­tat est à craindre, comme le craint Emmanuel Todd : en effet cer­tains parlent de faire inter­ve­nir l’ar­mée ! comme dans les dic­ta­tures ! Macron est tout sauf un démo­crate et il doit l’a­voir mau­vaise comme on dit. C’est pour­quoi la vio­lence n’est pas du tout à pré­co­ni­ser, alors que tenir la posi­tion sur les ronds-points, encore quelques semaines, cela oui.
        Il y en a un qui a eu le nez fin, c’est le moins que l’on puisse dire, c’est le pré­cé­dent ministre de l’in­té­rieur, Gérard Collomb, qui a pris soin de ren­trer dans son « fief » (ah l’a­ris­to­cra­tie !) comme on dit, c’est-à-dire de rega­gner sa mai­rie de Lyon. A‑t-il eu vent (avec des ren­sei­gne­ments pour lui géné­reux) que tout allait tour­ner mal pour la macro­nie, et du coup pris les devants ? C’est une hypo­thèse tout à fait envisageable.

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  • Faber

    Ah oui, bra­vo le Gérard pour ce billet salu­taire. Oui aus­si, cette guerre de lan­gage, guerre des langues. C’est fini vos trucs disait Ferré. Fléchage, qu’elle disait cette “mar­cheuse” dans le poste, et ce malin de Guillaume Erner qui sub­ti­le­ment tra­dui­sait ses pro­pos vaseux. La même nana – Amélie de Montchalin – qui van­tait les mérites de la sup­pres­sion de l’ISF tout en affir­mant qu’il fal­lait éva­luer cette sup­pres­sion. Quelle réga­lade, quelle poi­lade. Je rêvais d’en­tendre les vrais mots des vrais gens dans le poste, tous les postes. Yark ! Ça vient et ça ne relève pas de la méthode, ni de la péda­go­gie. Me revient aus­si cette mélo­die : ils ont chan­gé ma chan­son… Il est temps de la reprendre, cette juste mélo­die, paroles et musique.

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  • gaby

    C’est bien connu, la seule façon de sor­tir d’un rond-point : tour­ner à droite !

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  • Jean Paul

    Toujours très juste, Gérard, et le même plai­sir de te lire ! Mais un peu de légè­re­té ne nuit pas et je ris tou­jours à ce sketch de Raimond Devos sur ces rond-points dont ton ser­vi­teur a com­mis quelques exem­plaires pour de bonnes rai­sons, avant que les col­lec­ti­vi­tés locales ne s’en servent à outrance comme élé­ment de déco­ra­tion ; trop de gira­toire tue le giratoire 🙂
    Pour reve­nir à l’ac­tua­li­té : pou­vons nous espé­rer une gauche moins stu­pide lors des pro­chaines pré­si­den­tielles, pour, peut-être, s’é­vi­ter ça ?

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