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Biodiversité. Les hirondelles de Michel Simon (1965)

Temps de lecture ± 4 mn 30 avec vidéo.

[dropcap]Le[/dropcap] Sommet de la biodiversité prend fin à Paris ce 5 mai 2019. Des représentants de 132 pays vont tenter d’enrayer la disparition désormais avérée des espèces et par voie de conséquence de la Sixième extinction. Il serait temps ! Des alertes avaient sonné dès les années soixante, notamment à partir de la réunion du Club de Rome en avril 1968, suivie  en 1972 par son premier rapport, The Limits to Growth (littéralement Les limites à la croissance), connu sous le nom de « rapport Meadows » et traduit en français par l'interrogation « Halte à la croissance ? ».  Plus d'un demi-siècle après, l'ardeur croissantiste est au plus haut, pompeusement teintée de vert – couleur de l'hypocrisie politique mondialisée. Tandis que les spécialistes de la spécialité tirent leurs clochettes d'alarme (équivalent des alertes du Giec), en 1965, l'acteur Michel Simon prédisait déjà la fin du règne animal et de l'homme. C'était lors d'un entretien télévisé  avec Claude Santelli. [document Ina ©][ref]Émission La nuit écoute, ORTF - Réalisateur Jean de Nesle ; Producteur Claude Santelli.Excusez le format, l'Ina ne livre pas mieux…[/ref]

Propos d'un homme profond, inquiet de l'évolution du monde industriel et de ses conséquences nocives sur la nature. Loin d'être hermétique à la société, le comédien discret dévoile ici un sens aiguisé de l'observation qui le mène déjà à un constat sans appel. Celui de la fin proche des animaux et par voie de conséquence, de la nature et de l'homme. En termes crus et sensibles, ce Cassandre délivre un message quasi prophétique sur l'avenir de l'humanité. Visionnaire, hélas !

Dans ma rue, humour désespéré. [Ph. gp]
Extraits : "La prolifération de l’être humain, c’est pire que celle du rat. C’est effroyable. Les bêtes sont merveilleuses car elles sont en contact direct avec la nature. Ce qui aurait pu sauver l’humanité ça aurait pu être la femme, parce qu’elle est encore en contact avec la nature. Elle échappe aux lois, aux imbécillités émises par les anormaux. Elle est encore en contact avec la nature mais elle n’a pas droit au chapitre."

Claude Santelli interroge cet oiseau de mauvais augure : "Et les animaux alors ?" Pour l'artiste, tout est malheureusement déjà joué : "Les animaux vont disparaître. Il n’en restera plus bientôt. En Afrique, c’est l’hécatombe permanente. Quand je suis venu ici, j’avais une trentaine de nids d’hirondelles. L’année passée, j’ai eu deux nids d’hirondelles et pour la première fois j’ai ramassé une hirondelle qui était tombée de son nid qui était si pauvrement alimentée..."

Ce qui trouble dans la suite de son propos, c'est sa lucidité quant aux dangers d'une science débridée au service d'un productivisme sans limite. Michel Simon décrit en quelques mots percutants ce qui provoquera selon lui la fin de la vie sur Terre et que les scientifiques nomment aujourd'hui la "Sixième extinction". Avec une ironie désabusée, il conclut :

 "Grâce" aux progrès de la science, la science chimique qui assassine la Terre, qui assassine l’oiseau, qui tue toute vie ! Qui assassine l’homme ! On s’en apercevra peut-être trop tard. "Grâce" à cela, il n’y a plus d’oiseaux. Ce parc, quand je suis arrivé en 1933, c’était merveilleux ! Le printemps c’était une orgie de chants d’oiseaux. C’était quelque chose de merveilleux. Aujourd’hui il n’y en a plus. Je ramasse chaque printemps des oiseaux morts tombés du nid ou des oiseaux adultes qui ont mangé des insectes empoisonnés et qui meurent !"

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

19 réflexions sur “Biodiversité. Les hirondelles de Michel Simon (<span class="numbers">1965</span>)

  • Lire « L’humanité dis­pa­raî­tra, bon débar­ras ! », d’Yves Paccalet (2006) : l’i­ro­nie n’est-elle qu’a­mer­tume, ou bien un ultime remède eupho­ri­sant, à l’i­mage de l’or­chestre du Titanic qui, comble iro­nique pour les athées en ins­tance de bar­bo­ter, jouait « Plus près de toi, mon dieu ».

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    • Et ce docu­men­taire for­mi­dable dif­fu­sé sur Arte la semaine der­nière : « L’homme a man­gé la Terre », qui désigne le capi­ta­lisme indus­triel qui s’est goin­fré notam­ment à par­tir de la 1re guerre mondiale.

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  • Très bel inter­view de Michel Simon…
    Tant qu’il me reste un Geai, je serai optimiste…

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  • On sait tout ça depuis plu­sieurs dizaines d’an­nées. Mais la reli­gion du capi­tal n’en a que faire. L’une des pires dis­pa­ri­tions est celle des insectes. Insectes indis­pen­sables à la Biodiversité. Les rôles des insectes sont innom­brables quant à l’é­qui­libre : de la pol­li­ni­sa­tions au recy­clage des déchets orga­niques. Sans insecte peu de chance de survie.

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    • Oui. Quand on repense aux pare-brise des bagnoles cou­verts d’in­sectes écra­sés ! Aux prai­ries « fleu­ries«  de papillons…

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  • …depuis que les hiron­delles ne font plus le prin­temps… Pas besoin des experts pour dénon­cer l’é­vi­dence. Mais com­battre la cause pre­mière, oui : l’ex­ploi­ta­tion for­ce­née de la nature.

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  • Gérard Bérilley

    Merci pour le petit film. Ce Michel Simon : quel homme, quel visage ! J’ai tou­jours aimé cet homme, bien avant de savoir qu’il était un grand défen­seur des animaux.
    Pour aller dans le sens des pré­cé­dents com­men­taires : le grand pro­blème est que le pro­fit se fait sur l’ex­ploi­ta­tion et la des­truc­tion de la Nature (et des hommes !) alors que la pro­tec­tion de la Nature (et des hommes !) ne rap­porte rien (ou pas grand chose com­pa­ra­ti­ve­ment). Les luttes de classes de l’a­ve­nir auront lieu de plus en plus à l’in­té­rieur même de la ques­tion de la pro­tec­tion de la Nature, et c’est déjà le cas dès à pré­sent. Le capi­ta­lisme est par nature un sys­tème expan­sif, qui ne peut se pas­ser de l’ex­pan­sion, de l’ex­ploi­ta­tion à outrance de tout ce qui fai­sait la beau­té du Monde. La lutte de classe pre­mière est celle des riches CONTRE les pauvres, des riches CONTRE la sau­va­ge­rie de la Nature, la Nature sau­vage. Tant qu’il y aura du pro­fit à faire en tuant les élé­phants (ou toute autre espèce vivante) ils tue­ront le der­nier élé­phant, le der­nier ani­mal sau­vage, fut-il la der­nière hiron­delle par les pes­ti­cides. Le capi­ta­lisme est contre la pro­tec­tion de la Nature, car la pro­tec­tion de la Nature s’op­pose au pro­fit pos­sible. C’est pour­quoi la ques­tion éco­lo­gique et la ques­tion sociale sont liées, indissolubles.

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    • Entièrement d’ac­cord sur le diag­nos­tic. Mais com­ment en finir avec le capi­ta­lisme régnant ? On revient sans cesse à ce point de départ qui, pour d’au­cuns (les plus nom­breux – je pense en par­ti­cu­lier à la Chine, l’Inde, le Brésil, les émer­gents en géné­ral…) consti­tue LE point d’ar­ri­vée. Pour ma part, c’est-à-dire en tant que réa­liste-pes­si­miste (ou l’in­verse), je pense que nous (la pauvre huma­ni­té de consom­ma­teurs avides en sur­nombre) n’é­vi­te­rons pas le chaos qui signi­fie­rait alors une pos­sible renais­sance. En somme, comme la fin des dino­saures a mar­qué une ère nou­velle dans l’é­vo­lu­tion écologique.

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      • Gérard Bérilley

        Je crois, Gérard, que pour évi­ter la catas­trophe, c’est-à-dire pour com­men­cer à dépas­ser sérieu­se­ment le capi­ta­lisme, pour lui cou­per son res­sort essen­tiel qui est l’o­bli­ga­tion pour tous ceux, qui sont et ont été pri­vés de tout (les pro­lé­taires donc), d’en­trer pour pou­voir sur­vivre dans un tra­vail sala­rié abru­tis­sant, des­truc­teur le plus sou­vent car pro­dui­sant n’im­porte quoi au détri­ment de la Nature, je crois donc qu’il faut ins­tau­rer un Revenu de Base, incon­di­tion­nel, indi­vi­duel, inalié­nable, qui per­met­trait à cha­cun d’as­sou­vir ses besoins essen­tiels, au moins nour­ri­ture suf­fi­sante, loge­ment, vête­ments, plus une cer­taine marge pour la liber­té indi­vi­duelle, pour ses choix propres. A par­tir de là, et à par­tir de là seule­ment, chaque per­sonne pour­rait refu­ser tout tra­vail des­truc­teur, orien­ter sa Vie sur d’autres bases que la com­pé­ti­tion, la consom­ma­tion à outrance de n’im­porte quoi, etc. Une des clefs du dépas­se­ment du capi­ta­lisme est là. Ensuite, à par­tir de ce Revenu de Base, orien­ter la pro­duc­tion d’une manière ration­nelle, à la Kropotkine ou à la Jacques Duboin, et éco­lo­gique bien évi­dem­ment, et assu­rer pour tous la baisse du temps de tra­vail néces­saire, le par­tage de ce temps de tra­vail néces­saire. Je crois que les solu­tions sont for­cé­ment dans celles qui sont actuelles, qui s’im­posent logi­que­ment, et que le capi­ta­lisme et ses idéo­logues com­battent. Ce n’est pas un hasard si la ques­tion d’un véri­table Revenu de Base se pose actuel­le­ment et qu’elle est refu­sée par « nos« politiques.

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  • Joël DECARSIN

    Je sou­mets à la réflexion ces quelques lignes écrites en jan­vier 1972, soit deux ans avant que, pour la pre­mière fois, l’é­lec­tion pré­si­den­tielle en France ne s’ouvre à un can­di­dat éco­lo­giste. Ces pro­pos viennent clore un article de Jacques Ellul, au titre à des­sein pro­vo­ca­teur : « Plaidoyer contre la “défense de l’environnement” ».
    « Si l’on agite si fort les affaires de pol­lu­tion et la néces­si­té de pro­tec­tion éco­lo­gique, cela cor­res­pond au besoin de tra­gique de l’opinion et à une manœuvre de diver­sion. (…) Le public se pas­sionne et s’inquiète de la pol­lu­tion. Cela fait par­tie du spec­ta­cu­laire (de notre socié­té du spec­tacle), de l’actualité, du scoop d’information. Et cela ne va pas plus loin. (…) En fixant l’affaire au niveau du spec­tacle et de l’information, on pro­cède à une remar­quable opé­ra­tion de satis­fac­tion du public, sans avoir à rien faire de sérieux. (…) S’intéresser à la pro­tec­tion de l’environnement et à l’écologie sans mettre en ques­tion le pro­grès tech­nique, la socié­té tech­ni­cienne, la pas­sion de l’efficacité, c’est enga­ger une opé­ra­tion non seule­ment inutile, mais fon­da­men­ta­le­ment nocive. Car elle n’aboutira fina­le­ment à rien, mais on aura eu l’impression d’avoir fait quelque chose, elle per­met­tra de cal­mer faus­se­ment des inquié­tudes légi­times en jetant un nou­veau voile de pro­pa­gande sur le réel menaçant. »

    On trou­ve­ra l’in­té­gra­li­té de l’ar­ticle sur le site des Amis de Bartleby : https://​lesa​mis​de​bart​le​by​.word​press​.com/​2017​/​10​/​07​/​j​a​c​q​u​e​s​-​e​l​l​u​l​-​p​l​a​i​d​o​y​e​r​-​c​o​n​t​r​e​-​l​a​-​d​e​f​e​n​s​e​-​d​e​-​l​e​n​v​i​r​o​n​n​e​m​e​nt/

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    • Gérard Bérilley

      J’ai lu le texte de Jacques Ellul dont vous recom­man­dez la lec­ture par le biais du lien mis en bas de votre com­men­taire. Il contient beau­coup de choses inté­res­santes, mais plu­sieurs de ses affir­ma­tions me choquent. Jacques Ellul y dit  » Il n’y a pas de nature sans homme qui, vivant en elle, la crée ». Vision pure­ment néo­li­thique, vision pay­sanne de la nature, la nature domes­ti­quée. Il recom­mence plus bas dans le texte : « et ce n’est pas la nature, puisque per­sonne n’y vit ». Vision pure­ment anthro­po­cen­triste, nom­bri­liste, nar­cis­sique : l’homme n’est pas le seul être vivant, il n’y a pas per­sonne qui vit dans la nature ! A cette vision étri­quée j’op­pose celle de Robert Hainard (1906 – 1999, gra­veur, sculp­teur et phi­lo­sophe de la nature), un contem­po­rain de Jacques Ellul donc, qui écri­vait : « La vie est par­tout, le soleil, la pluie. Du tra­vail obs­cur et innom­brable de l’hu­mus, des plantes, des arbres, à l’a­ni­mal fur­tif, cha­cun va à sa tâche, res­pon­sable d’une part du monde » (fin de son livre Images du Jura Sauvage), et « Pour la four­mi, tout est nature, sauf la four­mi­lière », et sur­tout qui a affir­mé sa Vie durant que la Nature était jus­te­ment l’autre que l’on n’a pas fait, l’autre avec laquelle l’on doit être en rela­tion dia­lec­tique. A croire Ellul, comme tant d’autres, la forêt n’exis­te­rait que grâce aux forestiers.
      Une autre chose pose pro­blème dans la vision d’Ellul, du moins dans ce texte, c’est qu’il fait fi des rap­ports sociaux, des rap­ports sociaux de pro­duc­tion pour employer un terme de Marx. Il cri­tique la tech­nique sans abor­der du tout les rap­ports sociaux de domi­na­tion, d’ex­ploi­ta­tion, du capi­ta­lisme. Il fait comme si il y avait une tech­nique en soi, une tech­nique une, décon­nec­tée, sans rap­port avec les rap­ports sociaux, avec le sys­tème capitaliste.
      Quand on me parle de la culture (c’est à la mode depuis long­temps chez ceux que j’ap­pelle les « cultu­reux »), je réponds tou­jours : « De quelle culture vous me par­lez ? » Pour moi, il n’y a pas une culture : la culture bour­geoise par exemple n’est pas la culture ouvrière, etc. Quand on me parle de la tech­nique je ques­tionne de même : « De quelles tech­niques vous me parlez ? »
      J’ai ten­dance à pen­ser comme Robert Hainard : il faut, selon moi, déve­lop­per une tech­nique, des tech­niques, qui laissent le plus de place à la Nature, non pas celle du pay­san seule­ment, mais à la Nature sau­vage. Il y a les tech­niques indus­trielles et les tech­niques agri­coles. L’agrobiologie, la bio­dy­na­mie, la per­ma­cul­ture sont autant tech­niques, des tech­niques, que l’a­gri­cul­ture dite « conven­tion­nelle » avec ses intrants chi­miques, son gly­pho­sate, etc., et cer­tai­ne­ment elles néces­sitent des tech­niques bien plus poin­tues. Il ne faut pas confondre les tech­niques défen­dues par le capi­ta­lisme, parce qu’il en a besoin, avec des tech­niques autres, mises au ser­vice du plus grand nombre, et avec le moins d’im­pacts pos­sible sur la nature domes­ti­quée et la Nature sau­vage et sur la Vie des humains.

      Un autre oubli de taille dans le texte d’Ellul : la ques­tion de la sur­po­pu­la­tion humaine mondiale.

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      • Joël DECARSIN

        Quand on me parle de la tech­nique je ques­tionne : “de quelles tech­niques vous me parlez ?”
        —–
        Précisément : « la tech­nique, ce n’est pas « les » tech­niques (ah, si c’é­tait si simple…)

        Il faut lire les livres du mon­sieur ; prin­ci­pa­le­ment ces deux là :
        – La tech­nique ou l’en­jeu du siècle (1954)
        – Le sys­tème tech­ni­cien (1977)

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        • Gérard Bérilley

          Cela aurait été sym­pa que vous m’ex­pli­quiez en quelques lignes, et au-delà de moi pour tous les lec­teurs de C’est pour dire, ce que Jacques Ellul entend par tech­nique, cela doit être pos­sible. S’il me faut lire les deux livres que vous conseillez avant de pour­suivre notre échange, cela devient très dif­fi­cile, pour ne pas dire impos­sible, alors c’est ain­si qu’au­cune dis­cus­sion, aucun débat ne peuvent avoir lieu sur cette ques­tion, et ce me semble fort dom­mage car les débats sont rares, voire inexis­tants, entre les com­men­ta­teurs sur ce blog. C’était l’oc­ca­sion d’en mener un, de confron­ter nos idées. C’est une bonne chose que d’ar­gu­men­ter per­son­nel­le­ment ses points de vue, et pour ma part je suis qua­si­ment tou­jours par­tant pour le faire.

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          • Joël DECARSIN

            Je com­prends bien, mais nous sommes là en pré­sence d’une chose extrê­me­ment com­plexe : ni plus ni moins l’i­déo­lo­gie la plus déter­mi­nante qui soit, avant même le capi­ta­lisme, qui n’en est à mes yeux qu’une décli­nai­son (la plus voyante, il est vrai).
            Avant de vous atta­quer aux bou­quins, peut-être pour­riez vous déjà par­cou­rir les articles « Jacques Ellul » et « Technocritique » sur wikipedia…
            Encore déso­lé mais il m’ap­pa­rait vrai­ment impos­sible de résu­mer le sujet. 🙁
            J.D.

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            • Gérard Bérilley

              Merci pour votre réponse. Je la com­mente bien tar­di­ve­ment et trop rapi­de­ment sans doute.
              J’ai lu l’article Wikipedia sur Jacques Ellul. Je suis en accord avec cer­taines de ses thèses et en désac­cord avec d’autres et beau­coup de ses for­mu­la­tions que je trouve très malheureuses.
              Sur le mar­xisme d’abord. La phrase sui­vante est un bon exemple d’embrouillamini de la pen­sée, il parle de Marx :
              « C’est une erreur d’interpréter sa pen­sée en disant que le capi­ta­liste vole à l’ouvrier une par­tie de la valeur pro­duite ou qu’il garde pour lui une par­tie de son salaire. Au contraire, Marx sou­ligne tou­jours avec force que le capi­ta­liste ne vole rien, que c’est le méca­nisme lui-même qui est ain­si. Sa posi­tion est beau­coup plus forte que celle de l’indigné qui affirme que le capi­ta­liste est un oppres­seur et que l’ouvrier est dépouillé. S’il en était ain­si, nous serions sur le ter­rain de la morale. Un patron qui serait bon, juste, équi­table, pour­rait ne pas voler ses ouvriers, ne pas faire de pro­fit, ni exi­ger un sur-tra­vail. Or c’est exac­te­ment ce que Marx exclut : la qua­li­té morale du patron ne change rien, ce sont des méca­nismes objec­tifs qui pro­duisent le pro­fit et qui engendrent la plus-value18. »
              Comment peut-on dire que Marx dit que le capi­ta­liste ne vole rien ?! Certes c’est un méca­nisme qui dépasse la conscience du patron, mais cela n’en reste pas moins un vol. Ellul fait comme si Marx était en dehors d’une cri­tique morale du capi­ta­lisme : sa cri­tique scien­ti­fique du capi­ta­lisme est aus­si éthique, bien évi­dem­ment. Et ce n’est pas parce qu’un vol n’est pas fait consciem­ment qu’il n’en est pas moins un vol. Je trouve que des phrases comme celle-ci embrouillent la pen­sée, pour rien. C’est déjà assez com­pli­qué comme cela.
              Par contre, je suis en accord avec lui quand il dit « l’URSS a été la seconde étape de créa­tion du pro­lé­ta­riat mon­dial ». Oui, les bol­ché­viques ont ins­tau­ré le capi­ta­lisme en Russie, ils ont été l’agent his­to­rique de cette ins­tau­ra­tion, l’équivalent de ce que Marx décrit comme l’expropriation his­to­rique du pro­duc­teur immé­diat ou accu­mu­la­tion pri­mi­tive du Capital en Angleterre aux 15ème, 16ème et 17ème siècle, et ce par l’industrialisation for­cée, l’exploitation à outrance du nou­veau pro­lé­ta­riat. Aucun doute là-des­sus. Maximilien Rubel, mar­xo­logue et édi­teur de Marx à La Pléiade a défen­du lui aus­si cette thèse, par exemple dans son livre « Marx : cri­tique du marxisme. »
              S’il en a été ain­si, c’est parce que pour Marx le déve­lop­pe­ment des forces pro­duc­tives, donc du Capital, était néces­saire pour et avant l’instauration du com­mu­nisme, comme une condi­tion du socia­lisme et du com­mu­nisme. Cette approche fut selon moi une grave erreur : le socia­lisme n’implique pas une quan­ti­té don­née de pro­duc­tions, par contre il implique un par­tage éga­li­taire de la richesse réelle et du pou­voir, il est donc avant tout une éthique. C’est cette approche qui a tou­jours été défen­due par les « anar­chistes », Proudhon, Bakounine, Kropotkine, Gaston Leval. En ce sens le mar­xisme s’est confor­mé tout à fait à la réa­li­té et à l’idéologie bour­geoise du capi­ta­lisme. Dans les deux : culte de la machine, de la pro­duc­tion, du gran­diose, de l’Etat, etc. Ce n’est pas un hasard si les bol­ché­viques ont employé l’expression « armée de travailleurs ».
              Wikipedia : En 1954, Ellul pose son diag­nos­tic : « il est vain de débla­té­rer contre le capi­ta­lisme : ce n’est pas lui qui crée ce monde, c’est la machine ».
              Alors là, je crois qu’Ellul met les choses cul par-des­sus tête. C’est bien le capi­ta­lisme, de par la loi de la concur­rence, la recherche du pro­fit, etc., qui déve­loppe pour se faire sans arrêt la tech­nique, et par abais­ser les coûts de pro­duc­tion, et pour créer de nou­veaux besoins, de nou­velles pos­si­bi­li­tés. Le capi­ta­lisme révo­lu­tionne sans arrêt les moyens de pro­duc­tion, mais en rien il ne dimi­nue l’écart incroyable, crois­sant, des reve­nus. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, l’écart de richesses entre les riches et les pauvres n’a été aus­si grand. Et ce n’est pas la machine, la tech­nique qui fait cela, mais les rap­ports sociaux inéga­li­taires, et le goût infer­nal des riches qui n’en ont jamais assez, qui en veulent tou­jours plus. Souvent je me dis : mais ces riches, ils n’ont donc pas la télé­vi­sion, ils ne voient rien du monde, pour être à ce point non gênés face à la misère qu’ils créent, dont ils sont la cause !
              Et puis, il n’y a pas seule­ment le Capital, il y a tout autant l’Etat qui déve­loppe la tech­nique, celle que l’on n’aime pas, le nucléaire, les arme­ments divers, la bureau­cra­tie, etc.
              A lire la fin de l’article Wikipedia, j’ai l’impression que pour Ellul la tech­nique est un sujet. Mais non, ce sont les hommes qui font l’histoire, certes dans des condi­tions déterminées.
              Quant à la pen­sée « chré­tienne » d’Ellul, elle me semble bien datée. Nous n’en sommes plus là de toute cette mythologie.
              Voilà quelques unes de mes approches dont je tenais à vous faire part. Cordialement.

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        • Sacré Jo, tu n en démords pas de tes évan­giles ! Je trouve que tu bottes en touche, sans répondre aux ana­lyses et objec­tions de Gérard Bérilley. Pour ma part, je les trouve des plus per­ti­nentes — jus­qu’ à preuve contraire. 

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          • DECARSIN Joël

            Je suis à nouveau désolé mais j'ai passé ces huit dernières années à démontrer la pertinence des analyses elluliennes, en organisant débats publics sur débats publics : principalement à Paris, Marseille et Aix. Or je l'avoue, j'ai lamentablement échoué : je ne suis pas parvenu à ce qu'on ne dépasse pas le niveau du bar du commerce. Partout, la même obsession du reader digest, la même détermination de tout simplifier face à une réalité complexe. A fortiori n'ai-je aucun espoir d'y parvenir sur une liste de discussion (celle-ci où une autre) et je regrette sincèrement de m'y être aventuré.

            Ellul a passé plus de cinq décennies sur la question de la technique (1935-1988), n'hésitant pas souvent à revenir sur certaines de ses positions passées. Et que lis-je ici encore ? "Ah, moi, je ne l'ai pas lu, mais j'ai lu la fiche wikipedia ! Et ça me suffit pour dire que ce gars s'est planté !". Et à chaque fois, on me ressort la bonne vieille vulgate marxiste - le même sempiternel "évangile", comme dirait Gérard - la même bouillie : " j’ai l’impression que pour Ellul, la technique est (ceci ou cela)"... Qu'y puis-je si je ne peux pas me satisfaire d'impressions et reste en quête de diagnostics affinés ?

            Restons-en là.

            Pour ma part, en tout cas, je jette ici l'éponge.

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