Climat. Encore un peu de « durable », Monsieur le Bourreau !
[dropcap]Les[/dropcap] plus attentifs, voire fidèles lecteurs, de « C’est pour dire s'en seront aperçu. Le panneau ci-contre le confirme : les travaux d'été battent leur plein à tous les étages de l'édifice blogueur, y compris au P'tit coin– ce qui peut se comprendre… La température caniculaire n'annonce rien de bon quant à une éventuelle éclaircie. Les climatologues sont catégoriques : « On va pas vers le beau ». D’autant que le fameux « Que tout change pour que rien ne change » y va à fond lui aussi dans sa nouvelle version : le du-ra-ble. M’sieur le bourreau, encore un moment svp ! Et que je te repeigne tout le tableau en verdâtre avec, au centre, la madone de la Croissance et ses adorateurs financiers, « économistes », politiciens, footeux, cultivateurs, ouvriers, chômeurs, intellos, Jaunes, badauds, etc. Alors que faire ? comme disait l’autre, pareillement embarrassé… On les voit s’agiter les faux-culs, les éco-tartuffe – ou seulement les abusés, assourdis par les parlottes, aveuglés par les promesses technologiques, le transhumanisme et les techno-sciences. Quand d’autres s’en foutent carrément, soudés à leurs grosses berlines, admirateurs des Trump et autres malfaisants. Que faire ? en attendant le déluge…
Par exemple se précipiter sur le dernier numéro (double) de La Décroissance – « 1er journal d’écologie politique » (puisque le seul…)[ref]N°161, juillet-août, 5 € chez les marchands.[/ref] – et son dossier consacré aux grandes confusions qui sévissent dans notre époque désemparée. Confusions entre les genres, les statuts, les valeurs (non marchandes) : homme/femme – adulte/enfant – individu/collectif – mort/vivant - objectif/subjectif, etc. Remarquable travail d’analyse et de réflexion, même s’il ne fournit pas les recettes salvatrices ! À ce stade, soit-dit en passant, après avoir liquidé la pieuse espérance, qui peut encore prétendre au simple espoir ? Qui, sauf les imposteurs ?
Et c’est pas tout… Article “réjouissant” ce jour dans The Monde M ce jour : L’effondrement, que j’te dis. Encore 10 ou 20 ans à tirer et zou. Effondrés qu’on sera. Trois penseurs nous disent tout, circuits courts, déplacements réduits… Pour qui ? Vu qu’on sera plus là ? Pour les mouches. Effectivement. Inutile de se prendre le chou, poursuivre des études longues ou investir dans les panneaux voltaïques. Reste à buller au bord de la piscine et attendre le déluge. La pluie pourrait même suffire. Bonne fin à tous, donc. Ah, aussi ! Entendu dans le poste : une autre fin du monde est possible. Tant qu’on a de l’humour…
Pour couronner le tout, cette photo que tu m’as envoyée !l y a peu :
Entre dégradations, pannes et accidents, durée de vie d’une trottinette électrique à Paris, trois mois ; empreinte carbone pour les importer de Chine ; composition et recyclage de la batterie ! Vive nos centres-villes écologiquement de plus en plus purs !
À Marseille, les trottinettes, on les retrouve à la mer, par dizaines !
Mais la petite allumette suédoise va nous sauver du désastre !-)
La Justin Biber de l’écologie !!!!
J’ai lu le dossier de ce numéro double du journal La Décroissance. Le moins que je puisse dire c’est que cette lecture ne va pas me laisser un souvenir impérissable. Je me demande toujours à la lecture occasionnelle de ce journal ce qui sous-tend, motive, les propos qu’il contient, ou pour parler plus pompeusement : quelle libido ou quelle volonté de puissance (selon l’enseignement de Nietzsche) est à l’œuvre ici ? Que veulent vraiment ces partisans là de la décroissance ? c’est une question qui se pose véritablement. J’y vois à l’œuvre des forces réactives, très en évidence dans ce dossier. Déjà son titre, en une, pose problème et trahit la réactivité : Contre la grande confusion. J’aurais préféré que le thème en soit : Pour une nouvelle clarté !, car c’est cela qu’il faudrait essayer de fonder. Être contre la confusion actuelle participe de la confusion, ce n’est pas sortir du problème, c’est s’y complaire (la jouissance de la critique, de la criticomanie qui est quand même une des marques de fabrique de ce journal). Certes, certaines grandes confusions modernes sont rappelées ici et là, le plus souvent avec justesse, mais les propos et les réponses de la quasi-totalité des intervenants sont empreints d’idées vraiment réactionnaires, dans les deux sens du mot. Un retour à : « c’était mieux avant ».
Le dossier s’intitule : Grande confusion ou altérité ? C’est déjà biaiser la question. Le clivage n’est pas là, le problème, la crise du monde moderne, ne se pose pas de cette façon là. En la posant ainsi tous les retours au réactionnaire sont possibles, et c’est ce qui se passe effectivement, et je me demande bien quel est le rapport avec l’écologie, la pensée écologique.
Il est à remarquer que deux seuls précurseurs de l’écologie sont cités (à l’envi) dans ce dossier : Bernard Charbonneau et Jacques Ellul, les deux d’obédience chrétienne. On est loin de l’approche libertaire d’un Elisée Reclus, d’un Pierre Kropotkine, d’un Murray Bookckin par exemple. Il y a dans ce dossier une volonté masquée d’un retour à l’autoritarisme, avec sa critique de l’horizontalité (prétendue dominante actuellement, bien à tort) et l’apologie d’une nécessaire verticalité (prétendue aussi à tort disparue, mal en point actuellement).
Le summum du retour de la réaction, des trucs curés, est atteint avec l’interview/entretien de Jacqueline Kelen en pages 21 et 22. Je n’en cite que quelques extraits, mais cela vaut son pesant de cacahouètes :
« Or, en ce début de XXIème siècle où sévissent encore guerres, crimes et horreurs, l’homme se proclame libéré de toute contrainte, agissant selon son seul plaisir, puisqu’il n’aurait plus aucun compte à rendre à un Dieu (déchu ou inexistant) et serait dégrisé de l’opium de la religion. » Quel homme se proclame ainsi, sinon la projection psychologique même de Jacqueline Kelen ? C’est drôle, mais dans tous les gens que je connais je n’en connais aucun qui se proclame ainsi, j’en vois bien plutôt qui subissent de sacrées contraintes ! Je pense que les décroissants idéologiques ne vivent pas dans le même monde que moi ! (Remarquez aussi les conditionnels dans la phrase de Jacqueline Kelen, ils en disent très long pour qui sait lire !)
Elle continue plus loin :
« Sans référence à une instance supérieure (qu’on l’appelle Dieu, Absolu, Être, Principe suprême, Un), tout devient relatif et s’éparpille dans la multiplicité mouvante : la vérité, le bien, le beau varient selon les uns et les autres, les pays et les époques, au grand dam de Platon et des Idées immuables et éternelles ». Eh bien, nous y voilà, le retour de l’autoritarisme, de ceux qui disent ce qui est vrai, bien et beau, en fait leur vrai, leur bien, leur beau qu’ils veulent imposer aux autres, le retour de la religion et des idées suspendues, préexistantes à tout penser de l’homme. Et tout cela en mentant effrontément, car le vrai, le bien, le beau n’ont jamais été des idées éternelles, universelles ! Comme si les critères du beau étaient les mêmes dans tous les pays et toutes les époques ! La Renaissance par exemple détestait le Gothique, mais toutes ces différentes, ces enjeux esthétiques, libidinaux au fond, sont évacués sans aucun problème de conscience, sans aucun souci de probité intellectuelle. Voilà ce qu’elle nous propose : le retour à Platon, à l’idéalisme philosophique, c’est-à-dire de revenir quatre siècles en arrière, avant Montaigne, Les Lumières, Feuerbach, Marx, Nietzsche, toute la sociologie et la philosophie modernes. On croit rêver, mais non… malheureusement. Cette femme, je pense, au vu de ses dires, doit détester Montaigne, les Essais qui sont pour moi le plus grand livre de l’Occident. Et l’on nous vend (5 euros) tout ce fatras idéologique comme étant lié à l’écologie comme école de pensée !
J’arrête là, car il en est du texte de Jacqueline Kelen comme des écrits des Témoins de Jéhovah ou de cette horreur qu’est « L’existentialisme est un humanisme » de Sartre, livre qui comme les thèses de Jacqueline Kelen part du principe que le libre-arbitre est la réalité première de la psyché humaine. A chaque phrase il faudrait dire et écrire : « non ce n’est pas cela », car tout est biaisé dans ce genre d’écriture, le rapport au réel, à une véritable volonté de connaître le réel de façon multiple, ayant disparu.
Le journal La Décroissance, c’était ma dernière tentative de lecture, c’en est fini pour moi.
Deux revues, d’un tout autre niveau, existent sur l’écologie. L’Ecologiste, traduction française de The Ecologist, trimestriel, trouvable en kiosque
http://www.ecologiste.org/
et la très sympathique revue Silence, mensuelle, fabriquée à Lyon
https://www.revuesilence.net/
Disputons-nous, surtout si « c’est bon pour la planète ! » Ce slogan se répand comme la peste, et sévit comme telle. C’est le comble de la séparation : entre ladite planète et ses habitants, entre les effets et la cause, en prenant les uns pour l’autre. Je m’égare à peine : nous devons bien nous disputer, et si possible nous disputer bien – sinon, à quoi bon ?
Ta critique ici exprimée du journal <…>La Décroissance me semble relever, moins d’une mauvaise foi que d’une subjectivite aiguë alimentée par quelques procès d’intention et, surtout, par tes propres inférences qui contredisent tes critiques. Ainsi pour le titre général [un titre qui ne soit pas réducteur : un art et surtout une gageure…] « Contre la grande confusion » qui eût été mieux formulé en positif, certes ; mais ta proposition « Pour une nouvelle clarté ! » relève pour le moins d’une inversion tout aussi réactive, qui ne garantirait en rien la pertinence démonstrative de propos attendus. En l’occurence, le journal – en effet très porté sur la critique, parfois même sur la criticaillerie – entend avec ce dossier s’en prendre aux grandes confusions qui, ô combien, marquent notre époque en plein désarroi : incertitudes en tous genres troublant pur le moins une vision de l’avenir – climat, écologie, économie, technologies, genres sexuels, croyances, médias, complots, transhumanisme… autant de questions de fond qui « interpellent » sans guère offrir de réelles visions, marinant dans un flou relativiste dévastateur. Lequel repose surtout sur des oppositions binaires, souvent manichéennes, n’ouvrant que sur de sombres perspectives.
C’est à partir de ces oppositions « confusionnantes » que La Décroissance a bâti son dossier spécial, suivant une série de thèmes binaires : moi/l’autre ; moi/nous ; masculin/féminin ; humain/animal, etc. jusqu’à vie/mort. Pour la plupart, ces thèmes sont traités sous forme d’entretiens avec des penseurs desdites questions. Autant d’éclairages – je pèse le mot, car j’ai en effet été éclairé dans mes propres questionnements et mes pensées. Et cela sur la plupart des sujets abordés et en particulier sur celui que tu torpilles avec, pour le coup, une vraie dose de mauvaise foi. Il s’agit de l’opposition entre le bien et le mal, fondement de la morale humaine et de ses dérivés religieux.
Dans cet entretien dense, Jacqueline Kelen (écrivaine qui vient de publier Le Jardin des vertus – que je n’ai pas lu) s’insurge contre la vision mécaniste de la condition humaine, vision devenue dominante chez cette partie de l’humanité sous l’emprise du libéralisme croissantiste, capitaliste et ravageur. Je n’y vois rien à redire, y compris à partir des passages que tu reproduis. Passages extraits de l’ensemble, ce qui est souvent dommageable à la compréhension d’une pensée – on ne le sait que trop. Je comprends que l’auteure parle de « l’homme du XXIe siècle » et, de manière restrictive – non pas générique comme tu le fais avec tes reproches – de l’homme « moderne », « occidental » et privilégié – pas les laissés pour compte… –, traversé par l’idéologie dominante de la marchandisation mondialisée, des technosciences, de la technique au sens où Ellul y voyait le lieu du transfert du sacré – et qui seraient la cause de tes « sacrées contraintes », celles imposées par ladite marchandisation et son cortège d’aliénations et d’injustices en tous genres. Pour ma part, je comprends bien les conditionnels de la phrase comme répondant à la prétention de l’homme « qui se proclame » mais, pour autant, se jette dans un nouvel emprisonnement – celui de notre « modernité ».
Quant à ton deuxième extrait de l’article, je le prends comme l’expression du désarroi de ce même homme « moderne » dépouillé de tout idéal sacré, en effet. D’où son grand effroi devant son propre vide intérieur, et ses errements consommatoires dans les allées du supermarché mondialisé et du spectacle médiatique. Et si, certes, le vrai, le bien, le beau ne relèvent pas de l’universel, l’idée de vrai, de beau, de bien, elle, porte son universalité – celle de l’humanité en quête… d’humanité. Sinon, comme l’exprime bien Jacqueline Kelen, on laisse la porte ouverte au relativisme, cause de tous les repliements actuels du « tout à l’égo » (Régis Debray) et ses dérives narcissiques et ses communautarismes.
Hélàs, je trouve que ta critique s’étouffe dans ses excès (« Témoins de Jéhovah »…), ses généralisations et sa condamnation : « … tout est biaisé dans ce genre d’écriture », « La Décroissance, c’est fini pour moi ». Pour toi qui prétends à la confrontation des idées, ce rejet me désole plutôt – mais je ne veux y voir qu’un dépit passager, voire un ressentiment… 😉
Ainsi, je maintiens que ce numéro double de La Décroissance est d’une grande richesse pour qui se questionne autant que l’ami Montaigne et son Que sais-je ? fondamental. Ce que tu résumes d’ailleurs si bien en invoquant la « véritable volonté de connaître le réel de façon multiple ».
Gérard,
Je vais essayer de répondre sur quelques points sans m’appesantir.
Ma proposition « Pour une nouvelle clarté » est évidemment un genre de clin d’œil ! Il y a vraiment moyen de trouver mieux que cette proposition de titre, de projet, trouvée dans le feu de l’action de l’écriture d’un commentaire en urgence !
Tu parles à mon sujet, quant à ma critique, « d’une vraie dose de mauvaise foi ». Comme tu ne la comprends pas tu penses qu’elle est de mauvaise foi, or je l’ai argumentée, en ne prenant que l’article/entretien de Jacqueline Kelen (car j’ai vraiment autre chose à faire que passer mon temps à tout argumenter en décortiquant tout, un commentaire est toujours succinct).
Tu ne réponds aucunement à la critique que j’ai faite de deux extraits extrêmement significatifs, parlants, des propos tenus par Jacqueline Kelen. Tu escamotes mes arguments. Ce que dit cette Jacqueline Kelen est la négation même de tout l’apport d’un Montaigne, d’un Nietzsche pour ne citer qu’eux. Que Jacqueline Kelen ait besoin d’un absolu, de la soumission à un absolu, pour avoir une morale, c’est son problème, et c’est, soit dit en passant, ce que disent tous les réactionnaires, les intégristes : « sans Dieu, sans soumission à un dieu, à un absolu, il n’y a plus de morale ». Un Montaigne, un Nietzsche, n’avaient nul besoin d’un absolu pour avoir une morale (peut-être pas la même d’ailleurs, mais ce n’est pas le sujet ici). Un Kropotkine a montré que l’Entr’aide est au cœur même de l’humanité sans qu’il y ait besoin d’une sanction pour cela. Ma « mauvaise foi », ce ne sont que ces références là, chevillées à mon âme, avec celles de Max Stirner et de Michel Bakounine, de Robert Hainard, etc. Montaigne s’est fait une morale à partir de son expérience de la Vie, une morale relative en dehors de toute religion, même si officiellement il était chrétien, et Jacqueline Kelen nie tout cela parce qu’elle voudrait que le monde, les gens, soient à son image comme elle le voudrait elle. C’est gros comme le nez au milieu de la figure ! C’est cela qui me révolte, de voir le retour de la réaction, des thèmes les plus éculés, sous couvert de pensée écologique !
Je crois que dans la pensée de cette femme il y a un grand mépris pour les gens, pour les gens du peuple en particulier. Le « vide intérieur » des autres, de ses contemporains, mais qu’est-ce qu’elle en sait ?????? C’est cela le mépris de classe, des intellos envers les gens du peuple dont je suis. C’est effarant. C’est tout cela que je ne supporte pas Gérard. Ce n’est pas de la mauvaise foi, c’est de la révolte, car je vois le danger dans ces propos qui se veulent évolués.
Les autres articles contenaient tous des aspects réactionnaires (moi aussi je déplore les confusions susdites, mais pas de cette manière là). Dans l’un par exemple, la revendication d’un retour à une coupure entre l’homme et l’animal, alors même que les sciences„ depuis trois ou quatre décennies, battent en brèche cette coupure radicale, et reviennent aux intuitions géniales de Montaigne (dans L’apologie de Raymond Sebond).
Non vraiment, c’est sûr que le journal « La Décroissance » c’est fini pour moi. Il y a vraiment d’autres richesses à lire, la Vie est trop courte pour ne pas aller directement à l’essentiel, en l’occurrence aux meilleurs livres.
J’aimerai bien savoir malgré tout ce qu’ont pensé d’autres lecteurs de ce dossier, s’il y en a…
Je rajoute ceci :
Si l’on est contre la « porte ouverte au relativisme, cause de tous les repliements actuels du « tout à l’ego » (Régis Debray) », alors il faut brûler les Essais de Montaigne que l’on peut aisément, quand on a un esprit de volonté totalitaire, accuser de relativisme et de « tout à l’ego ». C’est bizarre : comme si Regis Debray, lui, n’avait pas d’égo !!!!!!! Montaigne avait un ego libertaire, Debray et Kelen ont chacun un égo autoritaire (ils pensent pour les autres), mais dans tous les cas il y a de l’égo, et certainement plus encore chez Debray et Kelen que chez Montaigne. Seulement l’égo de Debray et celui de Kelen se masquent sous des morales, c’est toujours le tour de passe-passe de tous les curés.
Gérard,
Quoique je ne le souhaitais pas, je reviens sur le sujet, parce que cela m’énerve.
Tu m’as accusé de « mauvaise foi », accusation que je ne ferai à personne. Certes, j’ai une mauvaise foi chrétienne ou religieuse en général, ce que j’assume totalement, mais l’on ne peut m’accuser de manque de probité intellectuelle.
Tu écris aussi : « Je trouve que ta critique s’étouffe dans ses excès (« Témoins de Jéhovah… ») ». Eh bien, je persiste et signe. Suite à ton commentaire j’ai relu dans ce dossier de « La Décroissance » l’article/entretien d’un certain Dominique Salin sur le thème : LE PSY – LE SPI (entendez le psychologique contre le spirituel). Eh bien, plus encore qu’à ma première lecture je pourrais penser que les propos tenus ont été financés, sponsorisés par le diocèse (d’où un certain rapport tout de même avec les Témoins de Jéhovah, même si je sais la différence apparente entre ces deux confréries !). Dans cet entretien, évidemment, la critique, non totalement affichée, est faite contre la psychologie moderne (en oubliant évidemment l’apport moderne des neurosciences qui expliquent tant de choses comme nous l’apprend par exemple l’émission « Sur les épaules de Darwin » sur France Inter, les samedis, de 11 à 12.), au profit d’une certaine promotion d’une « spiritualité » irréductible à toute analyse, à toute compréhension. Je n’avais encore jamais vu dans un journal écologique (qui plus est qui se prétend le « 1er journal d’écologie politique », excusez du peu) une telle apologie des « analystes de la vie spirituelle et du cœur humain qu’avaient été dans l’Antiquité, les Clément d’Alexandrie, Evagre le Pontique, Augustin ; au Moyen Age, Bernard, Denys le Chartreux ; à la Renaissance, Ignace de Loyola, Jean de la Croix, François de Sales, etc., etc. » (page 22). Quel est le rapport avec la pensée écologique, je me le demande. Le but est d’opposer ces religieux aux découvertes de la psychologie moderne, la fameuse opposition entre psychologie et spiritualité revendiquée comme une question fondamentale par ce dossier. La pensée réactive, la réaction à l’œuvre, ici, sous nos yeux.
Alors l’auteur, par contre, est un finaud : il a compris que le problème arrivait avec Montaigne. Je cite toujours (page 23) : « Cette laïcisation était déjà perceptible chez Montaigne, à la fin de la Renaissance. Les Essais sont la première grande exploration d’une conscience humaine, après saint Augustin et à peu près à la même époque que l’autobiographie de Thérèse d’Avila. Mais l’ « intérieur » de Montaigne, c’est-à-dire sa vie spirituelle au sens large du mot, à la différence de Thérèse d’Avila, est entièrement laïque. Montaigne, certes, se veut bon catholique, mais, à lire les Essais, Dieu et le Saint-Esprit n’interviennent jamais dans sa vie spirituelle personnelle, y compris dans le chapitre intitulé « Des Prières ». Laïcisation de la vie de l’esprit donc. »
Je suis entièrement d’accord avec cette remarque. Cet « intérieur » de Montaigne je l’appelle « intériorité libertaire », terme que je n’ai rencontré chez aucun auteur, nulle part.
La fin de cet article en vient à une apologie d’un auteur que je ne connais pas, mais si j’en crois l’auteur celui-ci défendait une « spiritualité » irréductible à aucune approche psychologique. Certes Michel de Certeau, puisque c’est de lui qu’il s’agit, était prêtre jésuite, nous dit-on, et « était à l’aise avec la pensée de Lacan » ; ces deux aspects ne m’étonnant guère, le lacanisme n’étant rien d’autre pour moi qu’un retour fortement accentué à toute la dimension curé de l’idéologie freudienne. (Les lacaniens sont ceux qui ont le plus combattu ou méprisé Wilhelm Reich, entre autres méfaits, et voir par exemple leur approche délirante de l’autisme, et la souffrance qu’il en a découlé en France pour les autistes et leurs familles.)
Alors, le rapport avec l’écologie comme école de pensée, je le cherche toujours. Un rapport avec les thèmes les plus réactionnaires me semblent plutôt évident, un retour de la curaillerie sous couvert d’écologie, de pensée écologique et contestataire. Je sais, les austères cisterciens, Bernard de Clairvaux, eux aussi étaient décroissants quant à la gabegie et la magnificence de Cluny. Tout cela n’est peut-être pas sans rapport.
J’en reviens aussi à Jacqueline Kelen, afin de ne plus être accusé de ne pas argumenter mon point de vue. Page 21, dans l’article LE BIEN / LE MAL, elle dit (c’est écrit) :
« La vulgate thérapeutique qui envahit tous les champs de la pensée et de l’action m’apparaît comme l’ennemi principal de la Morale éternelle. Là où celle-ci donne des repères et des règles de conduite intangibles, et surtout éveille à la responsabilité personnelle et communique le goût du perfectionnement, une certaine psychologie bienveillante et flagorneuse relativise et sème le flou, elle entreprend d’excuser le pauvre et fragile individu, d’invoquer son enfance, son environnement social, bref de le dessaisir de son libre-arbitre et de sa volonté. La morale fortifie et redresse l’être humain, là où le suave discours thérapeutique le débilite. »
Je demande à mes lecteurs de lire et relire ce passage car c’est un sommet de la pensée de l’extrême-droite. Je m’explique, s’il est besoin, mais c’est déjà faire injure aux lecteurs de C’est pour dire. Non seulement cette personne sait ce qu’est la « Morale éternelle » (quelle prétention tout de même !!!) mais elle sait aussi que cette morale ne contient pas l’once d’une compassion, car le « pauvre et fragile individu » est sans excuse, d’après elle. Elle confond d’ailleurs, comme tous ceux qui ne veulent surtout rien comprendre, rien apprendre, compréhension et excuse, voire par exemple ce que disait Manuel Valls à propos des terroristes. Suite à « l’enseignement » de cette dame, je propose donc la suppression dans les tribunaux des avocats qui eux, dans le Droit français, plaident toujours les circonstances atténuantes (une enfance souvent catastrophique, des conditions sociales, de Vie, déplorables, etc.), car l’individu, tout individu d’après Jacqueline Kelen, a toujours son libre-arbitre (tombé du ciel peut-être ?). C’est un retour en arrière terrible avec ces thèmes curés et fascistes les plus éculés. Avec cette dame, M le Maudit, le personnage de ce chef‑d’œuvre de Fritz Lang, serait condamné sans avoir pu bénéficier, ce qui est le droit de tout homme, d’aucune défense, comme s’il avait eu le libre-arbitre de ne pas tuer (voir et revoir ce film qui est l’un des films majeurs du cinéma). Cette dame n’a aucune compassion pour le faible, pour le pauvre, pour le déshérité. « Servir premier celui qui souffre » disait à contrario l’Abbé Pierre, Kropotkine en aurait dit de même. Comme si le fait d’être, de devenir responsable pour un individu, ne nécessitait aucune condition ! Les propos de cette femme sont la négation de tout ce que les sciences humaines nous ont appris depuis un siècle. Et l’on donne la parole à cette femme dans un journal qui se prétend écologique, sans aucune remise en question de pareils propos, je n’avais encore jamais vu cela ! D’où ma question, posée à bon escient dans mon premier commentaire : que veulent au fond ces partisans-là de la décroissance ? Au service de qui ou de quoi sont-ils ?
J’espère cette fois que mon propos est clair et net, qu’il est fondé en argumentation. Je suis stupéfait, voire atterré, que toi, Gérard, tu tombes dans un tel aveuglement. Et tes lecteurs, qu’en pensent-ils ?
C’est déjà leur mérite, à La Décroissance et son numéro spécial, de nous agiter le bonnet… Je ne compte pas reprendre tes arguments à la lettre, ça tournerait trop à un duel qui n’intéresserait que peu nos lecteurs – s’il y en a, et qui ne disent rien de toutes façons.
Comme tu dis, tu es « énervé » et je vois là une certaine véhémence, celle d’un être entier fort de savoir qui il est, ainsi que tu me l’écris par ailleurs. Je n’ai pas cette prétention (ne prends pas le mot de travers : rien de réprobateur ici). Je ne saurais, certes, mettre en doute ta probité intellectuelle.
Quel est le propos de ce dossier de La Décroissance ? Il me semble : questionner l’état du monde et de ses résidents au vu du capitalisme mondialisé et, tout autant, du désarroi des humains dont ce capitalisme est considéré comme en partie responsable – en partie. C’est dans ce « reste » que résident, selon moi (et eux aussi), les questionnements autour de la « grande confusion », et c’est plutôt à cela que mon attention se trouve portée. J’y inclus par conséquent ce que tu exclus : place et rôle des spiritualités dans la spécificité humaine, y compris, et même en premier lieu, celle des religions et, plus généralement, des croyances. En quoi, je trouve Régis Debray très pertinent, venant de lui qui fut ce croyant laïc en la libération révolutionnaire et qui en est revenu (de peu) pour développer une réflexion que je ne saurais qualifier de « curé » comme tu le fais aisément à propos de ceux que tu critiques.
Ce qui semble à l’œuvre aujourd’hui dans la « psychologie moderne », selon ton expression, c’est la réduction de l’être à des techniques dites, en particulier, de « développement personnel ». Je sais un peu de quoi je parle en l’occurence, ayant en quelque sorte accompagné ce mouvement avec les derniers numéros de la revue Sexpol, sexualité/politique, que j’ai dirigée pendant six années comme tu le sais. Un numéro double fut même entièrement consacré aux « bio-énergies », sans y porter toute la contrepartie critique qui eût été nécessaire face à cette émanation « californienne », c’est-à-dire néo-capitaliste sous des couverts d’individualisme résistant, de glorification de l’égo comme rempart aux collectivismes – le communisme revendiqué comme tel et le capitalisme glorifiant l’individu pour mieux le laminer comme unité marchande et consommatoire.
Il apparaît désormais – pas seulement à mes yeux – que ce mouvement préfigura ce néo-libéralisme de la marchandise et de la réification généralisée dont sa prolongation actuelle frise la perfection… Où l’on revient à l’écologie politique – en elle-même un pléonasme : il s’agit bien, comme pour l’éco-nomie, de l’organisation de la maison cosmique (oïkos), au cœur même des questionnements du dossier de La Décroissance. Que tu ne partages pas tous les points de vue exprimés, c’est évidemment ton droit, sinon ton devoir. Pour ma part, j’aime qu’un journal comme celui-ci me donne plus à penser, à me remettre en question, qu’à me ré-conforter. D’ailleurs, leur courrier des lecteurs exprime souvent cette fonction, parfois en termes virulents. Ça me ramène encore à Sexpol et à ce numéro intitulé « A poil les militants ! » pour lequel j’ai interviewé Roger Holeindre, alors bras droit de Jean-Marie Le Pen, dans le but de tenter de comprendre comment on devient « facho » [les idées comme miroir de nos vies, toujours selon Montaigne…] Dans le même état d’esprit, à la même époque, j’ai aussi sollicité Alain Geismar (Gauche prolétarienne… puis inspecteur de l’Éducation nationale…) pour tenter de comprendre comme on devient « mao ». Il a refusé. Prétexte : « Je ne parle pas à un canard qui fait parler des fachos ! »… Ainsi se confortent les certitudes de l’entre-soi et du communautarisme. Ainsi également voit-on le Front national s’épanouir en Rassemblement national sous le nez et à la barbe des socialistes devenu sourds aux appels (il est vrai peu audibles…) du peuple. On voit le résultat.
Concernant la morale et la « soumission à un absolu « selon Jacqueline Kelen, à laquelle tu opposes Montaigne, Kropotkine, Nietzsche, etc. en paraissant oublier qu’il s’agit d’exceptions dans ce monde plus que jamais dominé par la religiosité, c’est-à-dire par le besoin de croyances, fussent-elles laïques, autour de « valeurs » comme la primauté de l’égo (relié à un au-delà religieux ou idéologique), à l’économie, aux technologies, au transhumanisme, bref, au « Progrès ». C’est une question par essence philosophique, abordée dès l’antiquité greco-romaine et questionnée par la plupart de nos contemporains, s’agissant notamment du « sentiment océanique » exprimé par Goethe ou de l’énergie vitale selon Bergson et Reich ( l’« orgone »).
J’en reste là de notre dispute qui pourrait ne pas en finir, comme pour l’infini de la connaissance auquel se superpose le flou de nos langages – selon les vécus qui les ont sculptés comme nous-mêmes… (autre sujet !).