Chronique d’été, avec et sans masque. 1 – De la langue, des cloches et de la Vérité
[dropcap]Voilà[/dropcap] deux ans déjà, ici même, en 2018 donc, je m’étais fait chroniqueur de mon été provençal et au-delà. Ça se trouve toujours là. L’an dernier, je ne sais plus bien, j’avais dû vaquer en douce, sans rien considérer de bloguable à l’horizon. Cette année, tiens, me suis-je dit, non pas redevenir journaleux, mais journalier[ref]On dit aussi diariste, c’est plus chic…[/ref] : ce jardinier du quotidien, loin de l’agitation du « vécu-coco ! », plus près du vécu perso. Ma foi, si ça peut intéresser… Voici une première fournée, avec et sans masque :
Samedi 1er août 2020 – Au resto, l’autre jour à Embrun avec des amis. Sur la place de la Mairie, si belle place, un peu à l’italienne. C’est jour de marché, selon une agitation de bon aloi, avant le démontage des étals, dans la hâte et les décibels agressifs, avant le manège infernal de la moderne balayeuse municipale et son conducteur tout à son joujou. Enfin, le garçon de café prenant le relai en fin de service, traînant les chaises pour les ranger sans le moindre souci acoustique du client – qui ne l’était déjà plus puisqu’en fin de repas, l’addition et cassez-vous !
Mais avant, tout sourire, la serveuse avait pris commande, ne sachant que répondre à notre curiosité sur les patates « dippers »… Finalement si : « Comme chez Mc Do » osa l’ingénue… On y était : pas dans les Hautes-Alpes de France, mais en Amérique lointaine et si invasive, balayant nos cultures comme à la balayeuse d’enfer, mécanique implacable, bientôt « intelligente », c’est-à-dire nous prenant pour de piteux arriérés des provinces minablement patateuses, car non « dippées ».
Avant hier, ayant acheté des radis en sachet (faute de bottes), « on » me les présente comme bons à croquer… ou à « dipper » ! Pèquenauds s’abstenir.
Ça doit être ça, la décadence. Le renoncement à sa culture, à commencer par sa propre langue, celle par laquelle nous interprétons le monde, par laquelle nous affinons notre pensée, et notre mode de vie.
Je suis atterré par cette soumission à des modèles dominants de modes, de comportements, de tics langagiers imbéciles, d’ailleurs non traduits, à quoi bon, c’est tellement mieux à la sauce Mc Do !
Plus fort de café encore : mes deux « podcasts » (!), téléchargements du matin étaient encadrés de pub Coca cola, avec un baratin coloré d’un humanisme faux-cul et con, tout juste insupportable à des oreilles quand même « france-culturées » ! Oui, ça se passe bien sur le service public de la radio, ainsi vendue de plus belle à la marchandise, et laquelle ! De plus, l’outrage encadrait les derniers épisodes de « Répliques », l’émission du samedi de Finkielkraut ! Il ne m’étonnerait pas que, apprenant tel sacrilège, l’académicien se fasse hara-kiri – c’est dangereux une épée.
Mardi 4 août 2020 – Justement, une sortie du Finkielkraut : « Le bac est devenu un droit de l’homme ! On en voit ensuite les effets dévastateurs à l’université. » Oui, ce n’est plus qu’une formalité, un usage dévalorisé. 700 000 candidats à l’université sont ainsi attendus à l’automne. Pendant qu’ils arpenteront les facs, ils ne viendront pas grossir les files d’attente à Pôle emploi. Ce ne sera que partie remise, évidemment.
Jeudi 6 août 2020 – « Ils » veulent juste dire qu’ils « ne sont pas d’accord », sans trop savoir pourquoi, d’abord pour protester. Échantillon : « Bonjour Gérard, dis moi ce qui t’a amené à relayer l’article « On veut respirer » publié sur le site de Michel Onfray ??? » [Il s’agit d’un point de vue opposé à la campagne d’Adama Traoré]. Ma réponse : « Cher L., bien reçu ton message et j’ai passé quelques heures à te répondre, indirectement, avec et autour d’un article de Régis Debray. Tu vas me dire « ça rime avec Onfray » car je pense que ta prévention à l’égard de l’article en question tient peut-être bien d’un a priori idéologique. Si je l’ai publié c’est bien parce que je l’ai trouvé intéressant, argumenté, es qualité en provenance d’une femme, Camerounaise de plus, et comme telle “autorisée”. Je regrette que ses propos appellent plus de rejet que d’argumentation à lui opposer – dans l’intérêt du débat et au-delà s’agissant du fractionnement de notre société, bien moins, je pense, sur des questions raciales que culturelles & politiques, dans une quête d’intégration républicaine – donc laïque. Vois le texte de Debray et, je t’y invite, développe ta position sur l’article qui te gêne et mets donc un commentaire sur le blog ! »
Aucune réaction…
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Tiens, j’entends le glas depuis le clocher voisin : un départ vers l’au-delà – pour qui aura choisi ce mode de transport. Bon voyage !
Ainsi, j’entends encore des cloches. Mais comme un glas, peut-être. Pourquoi une telle interrogation ? Je me la suis pas posée ainsi durant de nombreuses années à cause du moule idéologique auquel j’avais pu me conformer, non sans résistances d’ailleurs, au fur et à mesure que la pensée parvient (ou non) à sortir de ses ornières. En gros, il s’agit de l’héritage reçu dès la naissance, somme des déterminismes – biologiques, sexuels, géographiques, sociaux, politiques, religieux, scolaires, bref : culturels au sens profond. Autrement dit en luttant contre le flot puissant des idées reçues.
Pour en revenir à la question sur les cloches, voilà : je ne voudrais pas ne plus les entendre. Pourquoi donc ? Parce que je les sens menacées, tout comme les statues, reflets de notre histoire, qu’il s’agirait de renverser. « Nous appartenons à la civilisation judéo-chrétienne », tel est l’actuel credo de Michel Onfray. Un credo argumenté, certes, à sa façon – de notre souveraineté dépend ladite civilisation –, mais un credo quand même auquel viennent se confronter quantité de pseudo-incrédules – empreints eux-mêmes de leurs propres croyances, elles aussi argumentées, bien sûr…
Mais la question de fond n’est-elle pas celle de la Vérité ? Notez la majuscule qui l’habille en absolu, alors qu’elle n’est jamais qu’évolutive, provisoire, partielle, relative. Ce qu’avaient bien relevé nos anciens philosophes grecs, repris en abondance par toute la philosophie, c’est-à-dire la plus universelle, dégageant les valeurs par-delà les croyances, laissant ainsi ouverte la quête de l’universalisme. Même si toutes les civilisations ne se valent pas, ni leurs cultures, l’accomplissement de l’Homme dans sa plénitude vitale, libre et fraternelle [ref] Fra-soro-ternelle, ou même soro-fra-ternelle, devront dire, écrire et faire entendre les « inclusivistes » ![/ref]] demeure un phare universaliste. Or, nos sociétés semblent plus que jamais tourner le dos à ces lumières, leur préférant les obscurités aveuglantes (sic). Plus près des Grecs anciens, mais il y a déjà bien longtemps, d’autres penseurs avaient identifié l’écueil ; je pense à Montaigne, Bossuet, Francis Bacon (tous des XVI et XVIIe s.) et, plus près de nous sur les foules et leur versatilité moutonnière, Taine, Tarde, Le Bon… ainsi que Freud et Reich, soit un passage de la philosophie vers la psycho-sociologie [ref]Lire, de Serge Moscovici, L'âge des foules : Un traité historique de psychologie des masses (Fayard, 1981).[/ref] Y voit-on plus clair pour autant quant aux mouvements et comportement des « masses » ? d’ailleurs diluées de nos jours dans ces réseaux dits « sociaux » par lesquels des foules virtuelles se communautarisent autour de manipulations plus ou moins grossières, sans résistance critique, affectant les principes républicains au profit de multiples populismes et complotismes.
(À suivre…)
Très bel article Geai !
Tes grains de sel dans les airs du temps, font sourire et aussi grincer.
Grains de vie et belles pensées toujours fines et parfois caustiques.
Vis encore pour longtemps et pourquoi pas toujours…
Tu enchantes et parfois heurtes tes lecteurs, mais pensées et réflexions sont les deux moteurs qui voudraient bien faire avancer notre monde.
Réponses à brûle-pourpoint et au second degré parce qu’au premier il fait top chaud, toutefois c’est l’été…
J’espère pour vous que l’a(u)ddition, à Embrun, n’a pas été trop salée et que vous vous êtes cassés pourboire ailleurs…
Du coup, je suis de même atterré par les tics de langages que, du coup, je retrouve à l’université par des gens qui, du coup, ont obtenu leur bac qui, du coup, n’a plus sa raison historiquement culturelle…
Du coup, j’ai un mal fou à lire et traduire les copies qui, du coup, ont l’orthographe qui défie la relativité et ponctuation cavalière !
Quant au reste de ton article, je ne peux que l’apprécier. Nous sommes tous deux, à quelques hertz près, sur la même longueur d’onde !
A bientôt, Frank.
Quelques hertz, c’est bien moins qu’un chouïa, non ? 😉 Merci Frank.
Et la bêtise indigeste se moque des océans. L’Atlantique, en particulier. Le Québec en turlute sa part. Et tu ne veux pas que je te cause de trumpanisation (même étymologie que trépanation)!
Peu nombreuses sont encore les cloches à sonner les mâtines. On les enjoint plutôt à sonner le glas : celui de la mise à mort du coq son concurrent en décibels, sommé devant les tribunaux de se couper le sifflet pour ne pas troubler la quiétude des nouveaux amoureux de la nature en 4 X 4.
« La foule, c’est le mensonge » Kierkegaard
Tu t’appropries et prolonges l’excellent article de Debray ; J’observe qu’avec les années, tu développes en diariste attentif une pensée personnelle, disons d’éthique politique, qui mériterait, après sélection des meilleurs billets, d’être rassemblée dans un petit ouvrage. La titraille existe déjà.
Tu me flattes, Jef ! Quant à l’ouvrage, je te dis « chiche ! »… (Je veux dire : à toi le taffe !…)
J’aime beaucoup ce ton « journal perso », presque intime, sans excès. Ma boîte à lettres est impatiente…
Voilà, voilà !