Chronique d’un été (le mien). 5) À Lodève, l’éblouissant Paul Dardé, tailleur de pierre
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C’est là que survient Mimile, deus ex machina. Baskets, casquette, musette, chemisette à carreaux, le petit père se met à dansotter face à scène et à la danseuse, tentant de la singer – sans la moindre malice… Patatras pour la danseuse et son spectacle, Mimile pratique sans le savoir l’art du détournement : il détourne l’attention du public et, par ses gesticulations naïves ravit la vedette, remet le Spectacle, grand S, à sa plus juste place, sans majuscule.
Lodève, dont le nom vient du gaulois[ref]La langue des « réfractaires au changement », selon le manager de la start up France.[/ref] Luteva, composé de lut-, marais, boue + suffixe -eva, soit « la ville bourbeuse ou marécageuse », une boue argileuse utilisée dès l'Antiquité pour fabriquer des poteries. De l’argile à la pierre, j’en viens à l’enfant du pays, né non loin de là, à Olmet en 1888, Paul Dardé est mort à Lodève en 1963, dans la misère et l'oubli.Trop terrien, pas assez parisien pour atteindre la notoriété – même s’il connut quelque gloire avec des œuvres exposées en 1920 au Grand Palais à Paris et aux Etats-Unis, où un journal vit en lui un nouveau Rodin, dont il fréquenta brièvement l’atelier. Trop indépendant pour marcher dans d’autres pas que les siens. Sculpteur, certes, mais pas modeleur. Pioche, pic, piolet, burin sont ses outils qu’il lance à l’assaut de la roche, la dure, celle qui résiste et fait suer. Il le dit crument :
La grandeur, oui, monumentale : on la prend plein cadre dès l’entrée de ce musée de Lodève qui honore ainsi, et pleinement, son génial sculpteur. Dès l’entrée donc ce Faune vous toise du haut de ses quatre mètres, de ses quatorze tonnes de taille directe, de sa posture et de son rictus sardoniques.Un choc. Vous voilà jeté dans un univers inattendu qui occupe tout le rez-de-chaussée de cet ancien musée Fleury, agrandi et entièrement rénové, inauguré cet été : une merveille du genre. Pas seulement pour la remise en lumière de Paul Dardé, mais pour ses deux autres niveaux, tout aussi somptueux en matière de muséologie[ref]Niveaux consacrés à la paléontologie et à la préhistoire, selon des éléments prélevés localement, couvrant quelque 540 millions d’années…[/ref]
Brancardier dès 1914, hospitalisé, marqué par les horreurs de la guerre, de fibre pacifiste, Paul Dardé recevra des commandes pour des monuments aux morts dans plusieurs communes de la région. C’est notamment le cas de celui de Saint-Maurice, une esquisse de poilu particulièrement dépouillée, taillée comme un menhir dans le calcaire du Larzac.[Ph. gp] Mais c’est le Monument aux morts de Lodève qui est sans doute la plus connue des œuvres de Paul Dardé. Rompant avec les canons traditionnels du soldat vainqueur, il représente un poilu, non pas victorieux mais étendu, mort, tandis qu'un groupe de femmes et d'enfants habillés en costume des années vingt assistent debout, les visages graves, à la douleur d'une femme.Le monument, en pierre de Lens (Gard), a été récemment ravalé. Il rayonne de finesse, tranchant avec les autres œuvres, plus brutes, de celui qui se voulait d’abord un tailleur de pierre.
En prime, une galerie de photos pour honorer – mieux vaut tard que jamais – cet artiste de haut-vol. Il y a peu, je parlais ici d’altitude, de hauteur de vue, et même de vision ; autant de manière de décoller tout en restant bien ancré dans le monde, comme le fut Dardé à sa terre natale.