C de coeur, C de gueulejazz

Mort d’Abbey Lincoln. Voix du jazz et des droits de l’homme

Abbey Lincoln en concert (1992) Ph. Wikipedia

Abbey Lincoln est morte samedi (14 août), mais la France des « JT » n’en aura rien su – si j’en crois mes [télé]visions. Cette France aura été gavée des prodiges d’une Américaine de dix ans désormais promue Callas en herbe. Ou bien, le lendemain, d’un gamin de huit ans, un Anglais, surnommé le « petit Monet » parce qu’il peint comme un dieu… Ne cherchez pas l’arnaque (enfin si !, s’il y en a une, toujours possible), c’est le Spectacle qui exige de tels sacrifices.

Donc la chanteuse de jazz a trépassé à 80 ans, dans sa maison de retraite de New York. On peut bien concevoir que l’info ne soulève guère les rédactions télévisées et qu’il valait mieux, certes, traiter des rafles de Roms et autres réprouvés de la démente politique sarkozyenne. Sauf que lien il y a entre la mort de la dame étatsunienne et cette déshonorante actualité française. Abbey Lincoln, en effet, fut une ardente militante pour les droits civiques aux Etats-Unis, c'est-à-dire contre cette ségrégation qui renvoyait les Noirs au rayon des sous-hommes.

Noire elle-même, peut-être aussi métissée de sang indien, Anna Marie Wooldridge s’était unie en 1962, à la ville comme au combat politique, avec le batteur Max Roach (mort en 2007), pionnier du bebop et militant des droits de l'homme. Ce n’est évidemment pas par hasard qu’elle choisit alors de s’appeler Lincoln. En 1960, en effet, elle et Roach avaient été invités à contribuer aux commémorations du centième anniversaire de la proclamation d'émancipation de Abraham Lincoln prévues en 1963.

Voilà pourquoi l’ « actu » aurait pu réserver même seulement une brève à cette grande dame à la voix « engagée », c'est-à-dire une voix non pas jolie, surtout pas enjôleuse ; une voix si indéfinissable et forte à la fois. Le mieux est de la donner à entendre. Par exemple dans cet extrait de « Tender as a Rose », un chant a capella, pas militant, pas fleur bleue non plus.

Pour en savoir plus sur Abbey Lincoln, ne vous privez pas non plus de lire le très bon article de Diane Gastellu sur Citizen Jazz.

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2 réflexions sur “Mort d’Abbey Lincoln. Voix du jazz et des droits de l’homme

  • Dominique Dréan

    Merci de me révé­ler ce que cachaient à peine les titres vus ici et là sur les petits pro­diges, je n’a­vais pas jugé utile d’ou­vrir les textes. En France, aujourd’­hui, on essaie, autant que faire se peut, de vivre en apnée…

    Merci de m’a­voir fait res­pi­rer le par­fum pro­fond de cette rose avant qu’elle ne dis­pa­raisse tout à fait.

    Dans quelques semaines, je vais par­tir revoir des amis ber­bères dans leur mon­tagne. Ils n’ont jamais enten­du par­ler des droits de l’homme et me diront des choses que je ne com­pren­drai pas sur un ton très doux. Ils ne savent pas que je n’ai pas le droit de les invi­ter dans ma cam­pagne ou que ça serait très dif­fi­cile et qu’ils n’y seraient pas bienvenus…On res­pire bien chez eux.

    En atten­dant, apnée vous dis-je !

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  • Chaize

    Dans son édi­to­rial « Un bien curieux mys­tère » de Books (numé­ro spé­cial musique), Olivier Postel-Vinay note comme troi­sième mys­tère le rap­port entre la poli­tique et la musique.
    Le pre­mier étant les 96 % des humains qui se disent sen­sibles à la musique et le deuxième inter­roge sur le pou­voir de la musique.
    On peut y lire ce pro­pos : « Dans les vieilles démo­cra­ties, la musique entre­tient une rela­tion ambi­guë avec le pou­voir poli­tique, comme en témoignent les vél­léi­tés de cen­sure, sans cesse résur­gentes, mais aus­si la mise en oeuvre d’une « poli­tique de la musique ». Comme ce numé­ro de Books publie aus­si un bel article sur le chan­teur nigé­rian Fela Kuti et que Lincoln et démo­cra­tie sont des étoiles à la lumière fra­giles, j’ai vu là une cor­res­pon­dance avec ce C’est pour dire jazzy.

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