« Les martyrs du golfe d’Aden », reportage au bout de l’enfer
Si par malheur vous avez raté le dernier Thalassa (France 3) et la re-diffusion d’un très grand reportage (après la première en mars 2007), je n’y pourrai que peu, soit ces quelques lignes. « Les martyrs du golfe d’Aden » est un document vraiment exceptionnel. Son auteur, Daniel Grandclément, a eu le courage d’embarquer avec quelque 130 migrants éthiopiens et somaliens tentant de fuir la misère pour une autre, teintée d’une maigre espérance. Un autre reportage (diffusé il y a quelques mois dans Envoyé spécial) partait d'une semblable démarche, entre la Mauritanie et les Canaries, sans toutefois atteindre une telle intensité humaine.
C’est un voyage au bout de la détresse, commencé déjà, pour la plupart, sur des centaines de kilomètres depuis les fin fonds de l’Éthiopie et de la Somalie, en cette corne de l’Afrique et jusqu’à sa pointe extrême, comme tendue vers un grain d’espoir, on n’ose dire un Eldorado, s’agissant des côtes de ce Yémen à peine mieux loti.
Bosaso, port de rechange de Mogadiscio, la capitale anéantie. C’est là que les passeurs s'affairent, sortes de tour opérateurs pour l’enfer. La place à quelques dizaines de dollars. Une fortune locale. Les candidats au voyage attendent par centaines (il en meurt aussi dans les 1.700 par an, selon l’ONU). En les « pliant », en les emboîtant les uns dans et sur les autres – ils sont si maigres–, on pourra en entasser une grosse centaine.
Daniel Grandclément sera du lot, sur ce canot d'une dizaine de mètres, pas mieux traité, ou à peine, c'est-à-dire pas frappé comme les autres à coups de sangles… Pas le droit de filmer au départ, il y parviendra peu à peu, par bribes, à la volée. Ses plans atteignent une vérité imprégnée de pudeur et de respect. Je me retiens pour en parler, tentant de garder un recul minimum… Impossible. Je revois, par antithèse, la célèbre (à son corps défendant) « mater dolorosa » photographiée après un attentat en Algérie : la douleur comme prétexte esthétisant. Un déni journalistique. Ici, de cette détresse, ressortent à la fois l’horreur de la situation, celle des passeurs infra-humains, et la soumission de leurs victimes liée à une espérance éperdue.
« La voilà donc, cette vision incroyable, que le monde se refuse à connaître ! » lâche Daniel Grandclément sur ses images accablantes. On vomit, on suffoque ; l’eau manque ; les coups pleuvent, paroles et cris mêlés, promiscuité, faute d’un mot plus juste ; sadisme des dominants ; émergence du kapo… Le journaliste est à bout : « J’éprouve un profond sentiment d’écoeurement et de dégoût ; j’ai même envie de sauter à l’eau pour échapper au supplice auquel j’assiste » Le calvaire s’achève en pleine nuit ; il est bel et bien jeté par dessus bord avec tous les passagers. Le rivage est proche, il n’y aura pas de noyé. La suite est racontée par deux journalistes, une Anglaise et une Suisse, en "planque" à cet endroit-là et qui n'en attendaient pas tant. Témoignages et regards hallucinés, filmés en mode nocturne, en un vert d’outre-tombe et là encore hallucinant, telle l’apparition de cette fillette au visage de porcelaine et dont les yeux semblent contenir l'entier drame humain.
La force de ce document, travaillé dans la profondeur et la durée, est évidemment d’exprimer l’indescriptible – c’est pourquoi il faut le voir pour le croire, comme on dit. On pourrait bien le montrer, aussi, dans les écoles… Écoles primaires, collèges, lycées. Sans oublier les écoles de journalisme ! Et, pendant qu’on y est, l'envoyer en recommandé avec accusé de réception, à un certain ministre de l’immigration.
>>> Les photos sont extraites du film de Daniel Grandclément [ci-dessus], que l'on peut revoir ou télécharger sur france tvod.fr
>>> A voir aussi, sur le site du Nouvel Observateur, un entretien avec Daniel Grandclément à propos de son reportage et des conditions de réalisation.
Je mets un lien sur mon blog si il n’y a qu’un visiteur ce sera déjà ça.
Pour tous les français qui n’ont pas la chance de voyager. L’immigration est un phénomène naturel et mondial. Il n’y a pas que les pays riches qui attirent les pauvres. Il y a des flux de migration entre pays pauvres.
Nous les riches accepterons nous longtemps que nos gouvernants ferment nos coeurs et nos frontières.
Les riches ne peuvent accueillir toutes la misère du monde. Laissons les pauvres accueillir la misère d’autres pauvres.