Centrafrique et Libye : les bégaiements de l’histoire
Au matin du 5 janvier, les habitants de Bangui, la capitale centrafricaine, virent surgir des groupes de combattants sans uniforme, le corps bardé de grigris et d'amulettes protectrices. Brusquement, l'Afrique de la brousse remontait à la surface avec ses traditions et son histoire occultée par la longue parenthèse coloniale et une indépendance mal assumée.
Il faut dire que l'ancien Oubangui-Chari ne nous avait pas habitués à voir s'exprimer tant de haine opposant gens de la brousse, christianisés de fraîche date, et musulmans, éleveurs ou commerçants établis depuis longtemps dans le pays.
Il aura suffi qu'un an auparavant, un ancien ministre, Michel Djotodia, agrège en une coalition (séléka en sango) tout ce que la région comptait de mécontents pour faire vaciller un État rongé par la corruption et le népotisme. La mise en coupe réglée du pays fit remonter à la surface les récits d'une époque où l'esclavage ravageait la région. Les opposants qui avaient fondu sur la capitale centrafricaine rassemblaient en l'occurrence des mercenaires tchadiens et soudanais, flanqués de coupeurs de routes et de braconniers venus épauler les revendications de la minorité musulmane marginalisée,
Des mois de pillages, de destructions et de tueries perpétrés par les membres de la Séléka suscitèrent la formation de groupes d'autodéfense, les anti-balaka (anti-machettes), un surnom qui renvoyait à des temps lointains où la kalachnikov n'équipait pas encore les envahisseurs. L'irruption de milices villageoises dans cette guerre civile de basse intensité s'accompagna d'exactions et de massacres envers les musulmans locaux accusés – souvent à tort – d'avoir pactisé avec les prédateurs.
La guerre civile en Sierra Leone (1991-2001) nous avait déjà montré à quelles dérives meurtrières des milices incontrôlées pouvaient se livrer dans des conflits internes. Issues des associations traditionnelles de chasseurs, ou kamajors, et baptisées en la circonstance Forces de défense civile (CDF), ces milices progouvernementales sierra-léonaises furent à l'origine de nombreuses atrocités.
Disparu récemment, l'historien malien Youssouf Tata Cissé (1935-2013), auteur d'une thèse sur les confréries de chasseurs en Afrique occidentale, a montré l'importance des chasseurs traditionnels dans la vie collective et la défense des villages. Autrefois groupées en confréries initiatiques, elles avaient un rôle dans le maintien de la cohésion sociale, comme au Rwanda où Tutsis, Hutus et Twas pouvaient se retrouver au sein d'un culte rendu au chasseur mythique Ryangombe.
Avant que les compagnies européennes concessionnaires n'exploitent le pays et les populations de façon scandaleuse (début du XXe siècle), les forêts de l'Oubangui-Chari servirent de refuge aux animistes fuyant les razzias esclavagistes destinées à fournir au monde arabe et à l'Empire ottoman la force servile qui leur manquait. Premier des voyageurs du XIXe siècle à visiter la région, le Tunisien Mohamed el Tounsi, qui accompagna une razzia au Darfour voisin (1803-1813), témoigna des pillages et des rafles qui dévastaient des territoires entiers comme le Dar el Ferti dans l'est de la Centrafrique, aujourd'hui déserté.
À cette époque, le pays subit le contrecoup de la déstabilisation du Tchad provoquée par l'arrivée des Ouled Slimane, anciens mercenaires à la solde des pachas de Tripoli contre les nomades Toubous du Fezzan, en Libye. Cette tribu arabe fut chassée vers le Tchad quand l'Empire ottoman reprit en main la régence de Tripoli, jugée trop faible pour s'opposer à la poussée française en Algérie (milieu du XIXe siècle). Dévasté, ses royaumes affaiblis, le Tchad ne put s'opposer aux esclavagistes venus du Soudan. Parmi ceux-ci figure le chef de guerre Rabah dont les armes à feu firent merveille dans la chasse aux animistes qui se réfugièrent dans les forêts centrafricaines.
Or il y a un an, c'est du nord-est, porte d'entrée traditionnelle des anciens chasseurs d'esclaves, qu'a surgi la Séléka, rejouant un scénario bien connu. Aujourd'hui en Libye, l'histoire paraît aussi bégayer. Les affrontements meurtriers, dont Sebha, dans le sud, fut récemment le théâtre (150 morts dans la dernière quinzaine de janvier), mettent de nouveau aux prises les Ouled Slimane, anciens alliés de Kadhafi, avec les Toubous. En effet, ces derniers tentent de récupérer des territoires au Fezzan et des oasis, tel celui de Koufra dont ils furent jadis chassés.
Ainsi, ironie de l'Histoire, en Centrafrique comme en Libye, la mémoire de l'esclavage et de ses razzias se rappelle au souvenir des hommes à travers les événements dramatiques actuels qui, à première vue, pourraient paraître sans aucun lien.
Enfin conscient de leur responsabilité dans les multiples tueries remplissant l’histoire des hommes, les »religieux » de tous poils décidèrent, ensemble, de reconnaître un droit d’exister à toutes formes de pensées ; mais des pensées qui prendraient effectivement en considération un total respect du droit des Autres !
(…)
Mais cela arrivera par la pensée collective ou seulement après une formidable nouvelle destruction d’une grande partie du »genre humain » ?
Difficile de comprendre ce continent.
Les richesses du pays sont convoitées et beaucoup doivent trouver leurs comptes en déstabilisant davantage une politique globale plus que vacillante…