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Grèce, carnet de voyage. 5) Paros. Conversation résinée avec Épicure

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Iles des Cyclades, 13 juin 2016. Voilà ce qui m’amène ce soir, ayant vidé une demi-bouteille de retsina [Voir encadré ci-dessous] sous la tonnelle d’une chouette taverne sur le port de Parikia, île cycladique de Paros, entre Santorin et le Pirée. Je m’y suis régalé de sardines grillées tout en devisant et papotant en “globish”. Puis…

…Puis je me suis permis de converser avec Épicure, vieux pote à la jeunesse éternelle. Non pas tant parce que je me tapais la cloche ; ou alors, si, justement. Parce que voilà bien un philosophe grec de l’Antiquité qui demeure parmi les plus mal connus, voire mécompris. « On » en a fait le chantre de l’hédonisme, le pape des jouisseurs, voués aux plaisirs insatiables. Contre-sens !

Le vin résiné est un vin blanc ou rosé léger auquel est ajoutée de la résine de pin au cours de la fermentation. La résine stabilise le vin, lui permettant de mieux résister à la chaleur. Elle lui donne aussi son goût si particulier. Cette pratique remonterait à l’Antiquité lorsque l’étanchéité des amphores à vin était assurée par un badigeonnage interne de résine. Ce goût  a été gardé comme une valeur gustative. Dionysos s’est chargé du reste…

Pour Épicure, en effet, il ne s’agit nullement de se goinfrer des plaisirs à la manière du Gargantua de Rabelais, et autres hédonistes. L’important, pour lui, est de parvenir à une autosuffisance dans la gouverne de sa vie, autrement dit de ne pas devenir dépendant en quoi que ce soit – on parlerait de nos jours d’addiction – à la bouffe notamment. La mesure des plaisirs, dit-il, par l’exercice d’un « raisonnement sobre », est la marque de cette autonomie ; elle s’oppose à la recherche permanente et sans fin des jouissances immédiates. En quoi notre époque, du point de vue « occidental », n’est nullement épicurienne ! En quoi un Pierre Rahbi et sa « sobriété heureuse » le serait autrement plus qu’un Jean-Pierre Coffe (lequel, d’ailleurs, est mort…)

Le plaisir, selon Épicure, est principe et but de la « vie heureuse », ce qui suppose une délimitation réciproque des plaisirs et des peines ; à cet égard, la douleur est le marqueur déterminant : il faut privilégier les seuls désirs naturels et nécessaires ; le plaisir qui en résulte implique l’exclusion de la douleur. On peut, dés lors, connaître l’ataraxie, état de quiétude sans troubles ni douleurs.

L’usage des drogues s’oppose à cette conception épicurienne puisqu’elle conduit à l’insatisfaction et même à la douleur liée au manque, tout en créant une dépendance physique, matérielle et morale – le contraire de l’autonomie.

« Quand nous disons que le plaisir est notre but, nous n’entendons pas par là les plaisirs des débauchés ni ceux qui se rattachent à la jouissance matérielle, ainsi que le disent ceux qui ignorent notre doctrine, ou qui sont en désaccord avec elle, ou qui l’interprètent dans un mauvais sens. Le plaisir que nous avons en vue est caractérisé par l’absence de souffrance corporelle et de troubles de l’âme. » (Épicure, Lettre à Ménécée)

« Il n’est pas possible de vivre de façon bonne et juste, sans vivre avec plaisir. » (Ibid.)

Telle était l’état de ma réflexion, hier soir dans ma taverne à Paros… Vous me direz : tout le monde ne peut s’offrir des sardines grillés arrosées de retsina face à la mer Égée ; pas « tout le monde » en effet, mais « du monde », s’agissant de ces milliers, voire millions d’homos touristicus, qui, sur toutes les mers, errent de port en port à bord d’hôtels flottants ?

J’en étais là, en pensant aussi à ce qu’on appelle la « sagesse populaire » (déclinaison relative de la philosophie) qui, au travers d’une chanson pourtant très conne exprime un bon sens somme toute assez épicurien (mais transgressé à l’occasion de noces et beuveries !) :

Boire un petit coup c’est agréable
Boire un petit coup c’est doux
Mais il ne faut pas rouler dessous la table
Boire un petit coup c’est agréable
Boire un petit coup c’est doux
 

Ne pas rouler dessous la table, serait le zeste (ou le reste) d’épicurisme mêlé au bon sens populo…

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

Une réflexion sur “Grèce, carnet de voyage. 5) Paros. Conversation résinée avec Épicure

  • L’Épicure de rappel très bon ça pour la santé ( mentale ? ) …
    Là encore, il y a bu boulot !!!
    Certains, peut-être, comprendront le message.
    J’adore le Résiné!!! Frais l’été le soir les vagues aidant…
    Une épicerie en bas de chez moi a le bon gout d’en proposer.
    Un Ouzo fait bien l’affaire d’un apéro vu sur la mer à Santorin !

    Passe du bon temps !!!

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