Et vogue l’Aquarius sur la mer des illusions
Cette « note » devait au départ se limiter à un « P’tit coin » (colonne de droite). C’était risquer de trop restreindre un propos qui, vue sa briéveté ici, mérite d’autres développements, notamment à partir du livre de Stephen Smith, sur lequel je reviendrai.
Comme le souligne Stephen Smith dans son remarquable essai La Ruée vers l’Europe, sous-titré La jeune Afrique en route pour le Vieux Continent (Grasset, 2018) : « À l’échelle du continent, selon une enquête de l’Institut Gallup de 2016, 42% des Africains âgés de quinze à vingt-quatre ans, et 32% des diplômés du supérieur, déclarent vouloir émigrer ».
Confrontés à l’accueil des migrants depuis 2015 – et cela dans le trouble géopolitique des guerres et conflits du Moyen Orient, de Libye, Mali, Somalie, Érythrée… –, les Européens se trouvent pris entre l’« éthique de conviction » et l’« éthique de responsabilité ». Ce dilemme vient du sociologue Max Weber. Il oppose le chrétien qui agit selon son devoir, et s’en remet à Dieu pour le résultat de son action, au citoyen qui soupèse chaque décision à l’aune de ses conséquences.
Où l’on voit que le binarisme ordinaire continue à sévir dans ce qui tient lieu de « politique », celle de l’autruche en l’occurrence, qui refuse à prendre en compte les réalités complexes de notre monde en désarroi. Un aveuglement qui, concernant le continent africain, remonte notamment au slogan des années soixante, « La Corrèze avant le Zambèze « par lequel un Raymond Cartier restreignait la question du « tiers-monde » à l’espace post-colonial, qu'il s'agissait de contenir à sa « juste » place. D’une certaine manière, ses héritiers des extrêmes droites actuelles apparaissent moins bornés. Tandis que la gauche (et ses extrêmes) semble toujours s’y référer, par inversion : pour elle l’« humanitaire », parent du « droit-de-l’hommisme », revient à prendre l’effet pour la cause. Ignorant, ou préférant ignorer les racines profondes de la question migratoire, la gauche se drape dans l’antiracisme moral et laisse aux droites le champ ouvert du populisme. L'Aquarius pourra ainsi continuer à naviguer, sans fin, sur la mer des illusions.
Et cette focalisation émotionnelle sur les migrants, dont fait partie la composante terroriste, fait passer au second plan la menace autrement sévère que produit le capitalisme mondialisé donc normalisé (au sens d’inéluctable, de pérenne, de normal quoi), à savoir la destruction du vivant sur Terre.
Dans le P’tit coin, une faute de logique. « Des défenseurs des droits humains, dont Amnesty International, sont contre la mesure [interdisant et sanctionnant le port du voile intégral et assimilés] qui, selon eux, vise à faciliter l’intégration des immigrants musulmans dans la société danoise ».
Ainsi nos droits de l’hommistes seraient contre une mesure qui faciliterait l’intégration ? Ils devraient être POUR, puisqu’on peut penser qu’interdire ces déguisements favorisera l’intégration. Le plus probable est qu’au nom de la liberté de se vêtir comme chacun l’entend, ils sont contre cette « intolérante » interdiction. Angélisme, en effet.
Mais la double négation du post embrouille le lecteur.
Enfin un point de vue courageux, en dehors de la bienpensance habituelle par laquelle une certaine gauche confond charité et prise de conscience des enjeux réels que recouvrent les problèmes de l’immigration. Sans partager toutes ses positions, je reconnais à Renaud Camus le mérite de vraiment poser les questions « qui fâchent ». Elles fâchent parce qu’elle heurtent un sentiment de culpabilité devant la détresse des migrants, sans doute un effet de ce judéo-christianisme qui imprègnent nos moeurs, nos mentalités, tandis qu’on oublie ou on préfère ignorer comment le souk a été mis en Libye quand un Sarkozy, conseillé par BHL, a voulu se venger de Khadafi en contribuant à le supprimer. Les responsabilités sont là et c’est là aussi que l’Europe, en particulier, devrait agir pour tarir les fantasmes européens de populations sans espoir.
Gérard,
Je ne comprends pas bien, je ne vois pas où tu veux en venir avec ce nouvel article.
La question de la surpopulation humaine est une question majeure et complexe. Et pour moi la surpopulation ne concerne pas que l’Inde, la Chine ou l’Afrique. Je trouve déjà la France surpeuplée : il y a des villes partout, gigantesques, des villages partout qui s’accroissent sans cesse au détriment des terres agricoles (ce problème commence à être reconnu), et il n’y a plus guère de place pour les espèces sauvages (voir la question du loup, du lynx, etc.) Partout la surpopulation des villes et le « désert agricole » selon la très forte formule de Robert Hainard. Quand je suis né il y avait environ 43 millions d’habitants en France, il y en a maintenant 67 !
La question de la surpopulation est une question taboue. Elle l’est aussi chez les écologistes, voire chez les partisans de la décroissance. Le journal La Décroissance il y a quelques années (je n’en ai lu que quelques numéros tellement que ce n’était que ressentiments) affirmait que le problème n’était pas du tout dans la croissance de la population ! La décroissance oui, mais surtout pas celle en nombre de l’humanité. Lors d’une réunion publique avec des écologistes, il y a deux ou trois ans, j’ai fait une intervention sur cette question, sur le tabou des écologistes envers ce problème majeur, incontournable, et j’y prônais un maximum de deux enfants par femme afin de stabiliser la population mondiale, proposition pour la plupart des présents inédite, inouïe et scandaleuse. Là aussi, un écologiste patenté qui animait la réunion, sénateur en Vendée si je me rappelle bien, soutenait que la Terre pouvait nourrir 12 milliards d’habitants sans problème. Je lui ai répondu que bien évidemment les problèmes démentiels auxquels les générations actuelles et futures (s’il y en a) auront à faire face seront bien plus faciles à résoudre avec quelques milliards, trois ou quatre milliards, d’êtres humains en plus !
Il est certain aussi que les lobbys religieux (et patriotiques) s’opposent à toute idée de limitation de l’humanité en nombre. Pour arriver à deux enfants par femme cela suppose la liberté de la contraception et des changements radicaux dans les systèmes familiaux, la remise en cause des religions. Cela suppose aussi la mise en place d’un minimum de démocratie, avec l’enseignement, le droit des femmes, etc.
Je me rappelle l’Abbé Pierre disant que l’Europe, les pays riches, ne devaient pas s’attendre dans l’avenir à ce que les pauvres restent à côté passivement, sans vouloir y entrer. Il avait prévu ce qui arrive. Il y a aussi l’incroyable égoïsme des pays riches, des habitants des pays riches qui ne favorise rien. L’on a de quoi être pessimiste.
Cher Gérard, me serais-je à ce point mal exprimé ? Je viens de nous relire, avec la conviction ainsi vérifiée que nous parlons bien de la même chose : la surpopulation mondiale – en l’occurrence africaine, dans mon propos, car j’aborde la question de l’immigration à partir du Sahel. La surpopulation de la France, réelle mais relative, compte tenu des niveaux de développement et le fait que ses habitants ne sont, ou si peu, candidats à l’émigration (la « Douce France ») ne pose donc « que » le problème de la sur-croissance. Je ne vois que ce point à préciser dans notre fausse divergence…
Non, pas de divergence. C’est plutôt que je ne voyais et ne vois pas ce que tu proposes sur cette question fort complexe. Mon commentaire aussi était trop succinct, c’est obligé.
Cette question de la surpopulation et d’une limite nécessaire à la population mondiale est un tabou, et je suis horrifié quand j’entends des démographes français se réjouir de l’accroissement de la population française (entre autres). J’ai entendu aussi des instituteurs de Maternelle prôner la natalité pour lutter contre la fermeture de classes (véridique !) Quand je leur ai dit qu’on allait en crever de cette natalité ils m’ont regardé avec des yeux qui montraient bien qu’ils ne comprenaient rien à ce que je disais : surpopulation, ah bon ? Comme c’est un tabou, peu de gens se penchent sur cette question qui, soit dit en passant était beaucoup plus abordée dans les années 1970 et 1980, dans le « Courrier de l’Unesco » par exemple. Je crois que si l’humanité survit au 21ème siècle, elle le devra, pour la première fois de son histoire, à tous ceux qui n’ont pas eu, n’ont pas et n’auront pas d’enfant(s).
Ce que je voudrais c’est que les écologistes, les naturalistes, les féministes, les pacifistes et tous les gens soucieux du bien être de l’humanité et des autres espèces vivantes influent sur la société en prônant un maximum de deux enfants par femme, et sur les institutions en faisant se poser cette question au niveau mondial (ONU, UNESCO, OMS, etc.) C’est aux pays riches aussi d’assumer cette question en premier. Mais beaucoup, comme je l’ai indiqué par deux exemples, ne voient même pas où est le problème. Dans la réunion écolo dont je parlais, à peu près 5% des présents sont venus ensuite me féliciter de mon intervention, et en me faisant bien comprendre que dans les instances politiques (les Verts, Europe Ecologie Les Verts) cette question était bien éludée, taboue. Ils me remerciaient de l’avoir abordée publiquement.
J’ai entendu avant-hier ou hier sur France Inter que le taux d’enfants par femme au Niger est de huit enfants, huit enfants c’est une moyenne, ne l’oublions pas ! D’une part ces femmes là sont contraintes de ce fait de ne s’occuper que des enfants (quel boulot épuisant), et d’autre part comment un pays peut-il sortir de la misère dans des conditions pareilles ? Il faudrait en revenir au mouvement néomalthusien du début du 20ème siècle (libre-penseurs, anarchistes, etc.) pour les droits à une sexualité vivante, vivable, et pour ne pas reproduire la misère sociale à l’infini.
Quant à la France (et ailleurs), je suis révolté pour les espèces sauvages, pour le peu d’espace que la « civilisation » leur laisse. Le « désert agricole » dont parlait Robert Hainard, c’est justement les immenses espaces où l’on ne voit même plus une bête sauvage : le désert de la monoculture, du glyphosate, de la FNSEA.
Être écologiste c’est d’abord limiter en nombre sa progéniture : un ou une écologiste qui a 4 ou 5 enfants, il y a quelque chose qui cloche !
Croissez et multipliez la belle erreur. La planète est trop peuplée. Ce n’est qu’un début attendez les migrations climatiques et c’est pour bientôt . Que pensez-vous de la guerre de l’eau ? Avant ou après les migrations climatiques ?
La « bombe P » comme Population paru dans les années 70 alertait sur le danger de la surpopulation mondiale, prédisant famine et disette avec 7 milliards de terriens en l an 2000. On y est mais sans les calamités annoncées (le livre des deux auteurs américains avait il joué son rôle d alerte ?).
un discours raciste, disons macronien ou vallsien pour paraître moins violent enjolivé de références pseudo culturelles invérifiable compte tenu du flou des interprétations. Ras le bol. Ta fille avait vraiment raison.
BERNARD
C’est bien ce que je dis dans mon article : “ La gauche se drape dans l’antiracisme moral et laisse aux droites le champ ouvert du populisme. » Plus banalement : « Casser le thermomètre pour ne pas voir monter la fièvre ».
J’ajoute, pour être plus direct encore, que je trouve des plus suspectes cette attitude « compassionnelle », cette tendance à la pitié instaurée pour ce qui doit en réalité disparaître. C’est l’ordre du monde qu’il s’agit de considérer positivement, en luttant contre sa dysharmonie. Hélas, je ne sais pas comment, et je ne vois guère d’idées jaillir dans ce sens, surtout pas dans les prêches idéologiques.
L’analyse courageuse de Gérard est bien documentée et pas du tout floue comme vous semblez le dire. Elle pose un véritable problème. Il serait bon de pouvoir en discuter au delà des clivages droite gauche…Et plus intelligemment que par des invectives traitant de racistes ceux qui ont le courage de poser les vraies questions.
Que vient faire l’allusion à sa fille ? Un jugement empreint de rancoeur affective a‑t-il lieu d’être ?
Jeter l’anathème en accusant de racisme sans le moindre argument, voilà qui rappelle de fâcheux moments historiques… Qu’est-ce au juste qu’une « pseudo référence culturelle invérifiable » ? Un ovni ?
Ou bien le dilemme sur l’éthique de Max Weber ? À vous d’aller vérifier si vous le voulez ! Oui, je trouve que le problème posé par l’immigration, en le projetant plus loin dans le temps que les repêchages des bateaux humanitaires, mérite le plus grande attention et le sérieux dans le débat, dans le but de rechercher des solutions, s’il y en a. Qu’est-ce qui vous gêne, Bernard, au fond du fond ? Que le sens de la responsabilité contrarie celui de vos convictions ?
Il semble que même Mélenchon cherche à tempérer ses ardeurs sur la question de l’immigration, sentant le vent de l’opinion tourner vers l’inquiétude…
Depuis Machiavel (cinq siècles déjà !), la politique n’est jamais que « la recherche de la solution la plus efficace à tout problème ». « Liberté, égalité, fraternité », « droits de l’homme »,« humanisme » – et j’en passe… tout çà, bien d’accord avec Gérard, même si sa démonstration est contestable, c’est de l’angélisme en barre, de la « conscience fausse » dirait Marx, des machines à s’imaginer vertueux. Ce sont non seulement des justifications servant aux prédateurs à faire croire qu’ils n’en sont pas (le christianisme et « le progrès » ont porté le colonialisme) mais aussi – l’un ne va pas sans l’autre – toute la sentimentalité de celles et ceux qui, avec une naïveté sidérante, les croient.
Ceci dit, ce qui se joue actuellement à nos portes constitue une véritable tragédie, une tragédie qui plus est récurrente (réécoutons Moustaki, « En Méditerranée »).
Sans participer nous-mêmes du cynisme ambiant, admettons également que, depuis le récit biblique du déluge, le thème de la mort collective par noyade constitue une source fondamentale d’effroi, souvenons-nous de l’impact médiatique des boat people, en Asie dans les années 1970. Dans la Société du spectacle qui est la nôtre, la mort atroce de ces pauvres gens frappe les esprits comme rien d’autre autant.
Que conclure des propos de Gérard et des quelques commentaires indignés qu’ils suscitent ? Ils révèlent une situation spécifique à nos sociétés « avancées », une sorte de mauvaise conscience larvée. Le malaise né d’un sentiment confus mais réel et largement partagé entre le souci d’efficacité maximale – qui constitue la valeur suprême de l’occident tant elle fait consensus – et le constat que, par centaines, des gens meurent, croyant eux aussi en cet idéal ; s’imaginant le trouver derrière la démocratie telle que nous la défendons mais qui – à bien des égards – n’est jamais qu’une fiction, un paravent des techniques de domination (en premier lieu le capitalisme).
La question des « migrants » invite donc à un débat beaucoup plus large que les faits tragiques que nous rapportent les médias. Et c’est parce que ces faits nous sidèrent, nous médusent (si j’ose dire), nous tétanisent… que ce débat n’a pas lieu. Là réside sans aucun doute une tragédie qui est la matrice de toutes les autres : l’occidental ne sait pas où il va, il se noie – qu’on me permette ce jeu de mot – dans ses « innovations », ses « technologies », eschatologie de pacotille, celle des temps modernes.
Pierre