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Gilets jaunes. Le ruissellement des pauvres contre la surdité comptable

Temps de lecture ± 2 mn  

[dropcap]Je[/dropcap] ne veux rien trop ajouter à ces flots de commentaires qui entourent les émeutes de ce samedi « gilets jaunes », à Paris, sur « la plus belle avenue du… etc. » Je me questionne toutefois, à partir des écrans de BFM et CNews, et plus particulièrement de leurs bandeaux défilants, je m’interroge donc sur la comptabilité à laquelle s’astreint le ministre de l’Intérieur. Ses services, aussi zélés que méticuleux, ont ainsi totalisé 80.976 gilets jaunes, pas un de plus ni de moins. Remarquable.

Et c’est ainsi que Christophe Castaner se veut auto-rassuré (apparemment) en opposant ces chiffres à ceux du samedi précédent, soit 220.000 – nombre cette fois arrondi. D’où il déduit que le mouvement est en perte de vitesse. Étonnant comportement de comptable qui renvoie au silence assourdissant du pouvoir, plus très jupitérien en l’occurrence. Étrange comportement des gens de pouvoir réfugiés dans le déni, incapables dirait-on de mesurer la profondeur du mécontentement populaire dont ils sont, pour le coup, très comptables…

C’est ainsi, selon le même aveuglement, qu’ils se rassurent en s’appuyant sur les débordements qui détournent l’attention en appelant à la réprobation. Marcellin, le Castaner de Mai 68, n’avait pas été moins grossièrement manipulateur – en fait manipulé de l’intérieur, c’est le cas de le dire, à partir de données orientées, sinon pipées du dedans. Quels qu’ils soient, les casseurs servent le pouvoir, qui en fait ses alliés objectifs. Du moins pour un temps – le temps que peut durer la manœuvre politicienne.

Une vaste équation Cliquer pour voir 

L’attitude comptable est celle qui prédomine de nos jours dans l’exercice des politiques libéralistes consistant à gouverner selon les principes marchands. Les gens de pouvoir ne sont que des gérants – et fiers de l’être. Ils gèrent les pays comme des boutiquiers derrière leurs tiroirs-caisse, soucieux de leurs clients – ce mot affreux prononcé à tout-va, qui a désormais infesté les patrons, y compris ceux des services publics : nous ne sommes plus, à leurs yeux d’ahuris, des usagers, des abonnés, des voyageurs, bientôt plus des malades – ringardises que tout ça ! –, nous sommes des acheteurs, des consommateurs – des clients. Autrement dit des machines à PIB, des producteurs de plus-value dont on va orienter les comportements pour les meilleurs rendements, bénéfices, profits.

Mais tant va la cruche à l’eau… Les taxes sur le carburant ont provoqué une prise de conscience qui a désormais dépassé le stade des premières revendications et porté au grand jour l’ampleur des inégalités sociales. Les ressentis, d’abord individuels, ont convergé et même, pour le coup, ont ruisselé en un torrent impétueux.

Que les émeutes d’hier à Paris aient relativisé, du moins pour un temps – celui que Castaner va tenter d’exploiter – la portée de cette révolte, il n’en demeure pas moins que ce régime de sourdingues a perdu de sa « superbe » et en sortira gravement atteint.

Quant à l’écologie dans tout ça, quant à « la planète » ! Il est vrai : la fin du mois avant la fin du monde, comme dit M. Hulot.

Images depuis ma fenêtre… (sans légendes)
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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

6 réflexions sur “Gilets jaunes. Le ruissellement des pauvres<span class="pt_splitter pt_splitter-1"> contre la surdité comptable</span>

  • Gian

    Incapable de comprendre, le pouvoir : une gelée jaune.

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  • Claude

    Les Gilets Jaunes… le ruissellement des égoïsmes contre la politique sociale à la Française !

    Les chiffres sont têtus, mais chacun peut leur faire dire ce qu’il souhaite.
    Il en va ainsi des statistiques relatives à la pauvreté. De nombreuses données sont jetées en pâture, sans vraiment être questionnées, analysées ou mises en perspective. Ce qui n’aide pas à comprendre un phénomène complexe aux racines multiples, souligne l’Observatoire des inégalités dans un rapport publié en octobre 2018.
    Ce document rebat assez radicalement les éléments du débat sur la pauvreté. Il remet en discussion de nombreuses statistiques, à commencer par celle concernant le nombre de pauvres.

    Selon le curseur le plus fréquemment utilisé (60 % du revenu médian, qui s’élève à 1 710 euros mensuels), la France compte 8,8 millions de pauvres, soit 14 % de sa population dont 3 millions d’enfants. Une donnée que l’étude questionne et conteste car elle agglomère à la fois des personnes vivant dans une précarité absolue avec un RSA de 488 euros, et des familles avec deux enfants de plus de 14 ans, disposant d’un revenu mensuel qui peut aller jusqu’à 2 565 euros !!
    Evidemment, tout curseur, tout outil statistique a ses imperfections, mais l’Observatoire des inégalités considère qu’à force de brasser large et de mêler des choses pas vraiment comparables, on donne du grain à moudre à ceux qui veulent remettre en cause le «modèle social français qui est pourtant l’un des plus performants d’Europe». 
    C’est servir sur un plateau un argument choc : à quoi bon dépenser «un pognon de dingue» dans la politique sociale si on a quand même 8,8 millions de pauvres ? Argument que le rapport taille en pièces en montrant que sans les allocations et aides de l’état en faveur des personnes les plus défavorisées, les chiffres de la pauvreté seraient bien plus élevés !

    Autre poncif balayé avec des statistiques, qui sont rarement mises sur la place publique car un peu complexes à étayer : contrairement à une idée reçue, on ne reste pas pauvre toute sa vie.
    Le monde de la pauvreté est constitué d’un flux continuel d’entrées et de sorties. Le rapport souligne à ce sujet que la France est l’un des pays d’Europe où les gens qui tombent dans la pauvreté le restent le moins longtemps.

    Et c’est ce modèle social que le mouvement des GJ voudrait supprimer ?

    Et quels seront les effets d’une baisse des taxes et impôts ?

    La France est le pays de l’Union européenne qui dépense le plus pour la protection sociale par rapport à son PIB, devant les pays scandinaves et l’Allemagne, selon des statistiques publiées mardi 27 novembre par Eurostat. Les dépenses de protection sociale des 27 pays de l’UE ont augmenté de 26,1 % du PIB en 2007 à 29,4 % en 2010, “en grande partie en raison de la crise économique”, indique l’office de statistiques européennes.
    Cette moyenne de l’UE marque de fortes disparités. Les dépenses sont supérieures à 30 % dans sept pays, en particulier en France (33,8 %), au Danemark (33,3 %), aux Pays-Bas (32,1 %), en Allemagne (30,7 %) et en Finlande (30,6 %). En revanche, elles sont inférieures à 20 % essentiellement en Europe de l’Est, notamment en Roumanie (17,6 %), en Lettonie (17,8 %), en Slovaquie (18,6 %) et en Pologne (18,9 %).

    AUGMENTATION D’UN TIERS DES PRESTATIONS DE CHÔMAGE ! Dans l’ensemble des pays de l’UE, les dépenses relatives aux principales catégories de prestations (retraites, soins de santé, famille) ont toutes augmenté d’environ 10 % entre 2007 et 2010. Les prestations de chômage ont quant à elles progressé d’un tiers, témoignant de l’impact de la crise.
    En moyenne, les pensions de vieillesse et de survie représentaient 45 % des prestations sociales en 2010 et représentaient la principale dépense de protection sociale dans quasiment tous les pays, précise Eurostat. Suivaient, pour 37 %, les prestations de maladie, de soins de santé et d’invalidité. En 2010, les deux principales sources de financement de la protection sociale dans les 27 étaient les contributions publiques provenant des impôts (40 % des recettes totales) et les cotisations sociales (56 %).

    « A bas les taxes et les impôts ! » crient les « gilets jaunes ». Mais combien parmi eux sont prêts à voir l’Etat ne plus financer un certain nombre de services ?… Quelques exemples :
    – Un an de scolarité dans un collège public : 8 710 euros par an, payé à 100% par l’Etat
    – Un an de formation à l’université : 11 670 euros par an, payé de 94% à 100% par l’Etat
    – Une consultation chez un médecin généraliste : 25 euros, payé de 66% à 100% par l’Etat
    – Faire garder son enfant par un(e) assistant(e) maternelle agréé(e) : 514 euros par mois, payé à 62% par l’Etat.
    – Frais d’hospitalisation (prise en charge un patient hospitalisé au moins une fois dans l’année) : 3 228 euros, payé à 91% par l’Etat
    – Consommation de médicaments moyenne d’un Français : 485 euros, payé à 74% par l’Etat
    – Coût moyen d’un billet SNCF : 107 euros, payé à 55% par l’Etat.

    Si les revenus de l’état baissent quelles seront les prestations sociales qui baisseront ? 🙁
    Mais ne demandons pas à une foule de réfléchir… elle n’est pas concernée par demain et seul l’instant présent compte.

    “Le Peuple ? un âne qui se cabre” disait Victor Hugo.
    De tous temps la sagesse “populaire” sait qu’il ne faut jamais écouter une foule qui tendra toujours à emprunter le chemin de l’auto-destruction 🙁

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    • gary

      Oui ! Merci pour cette mise au point qui remet les pendules à l’heure – du moins qui devrait, car la démagogie est à l’oeuvre, comme toujours. peut-être que démocratie et démagogie ne peuvent qu’aller de pair ?

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    • graille bernadette

      Bravo , je suis bien d’accord…
      Mais qu’en est il de ces riches de plus en plus riches?
      Et de ce pauvre peuple qui veut de plus en plus consommer?
      Les impots sont ils prélevés de façon juste et égalitaire?

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    • Gérard Bérilley

      A Claude. Je vous trouve extrêmement méprisant envers vos concitoyens, d’un mépris similaire à celui dont fait preuve l’Etat et toute la macronie. Les gens sont loin d’être aussi idiots que vous le prétendez. Et quant à moi, je trouve admirable que des gens du peuple se mettent à défendre leurs intérêts (et cela même dans le cas où je ne serais pas d’accord avec leurs positions, ce n’est pas à moi de déterminer quelle lutte doit mener ou pas autrui) alors que depuis des années on les conditionne à croire qu’il y a qu’une seule politique possible, qu’il faut accepter le réel tel qu’il est, etc., etc. La bourgeoisie, elle, n’est jamais accusée de défendre ses intérêts immédiats, et pourtant ceux -ci créent de telles souffrances et mettent en péril le futur même de la Planète, “Après moi le Déluge” est sa devise. Là aussi toujours deux poids deux mesures dans les critiques qui sont adressées, dont la votre.
      Beaucoup de gens en France souffrent à force d’être exploités, méprisés, à force de travailler durement sans voir s’améliorer leur condition, bien au contraire, et sans avoir même le temps de souffler. Je n’ai jamais vu de révolte pour le plaisir uniquement de se révolter. Toute révolte est légitime, et c’est de cela qu’il s’agit encore une fois avec ce mouvement.
      Comme à chaque fois que le peuple ou une partie du peuple, en dehors de tout cadre légal, balisé par l’Etat, se met en mouvement, il retrouve des façons de s’organiser an-archiques, une volonté d’autogérer ses luttes avec le désir de ne pas se les faire confisquer par les autres, et cela c’est vraiment passionnant. Je crois que nous allons beaucoup apprendre de ce mouvement des Gilets jaunes et peut-être, gens du peuple, beaucoup y gagner. En tout cas, cette lutte met en avant la nécessité d’améliorer beaucoup d’aspects de la société moderne, met sur le devant de la scène ce qui doit être réformé pour réduire les inégalités sociales. Déjà cela, cela change les données.

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  • Bernard_H

    Depuis le temps que nous savons ce que les Français veulent : moins d’impôts, moins de taxes, une retraite meilleure et plus tôt, plus de moyens pour les services publiques, des augmentations de salaires, des produits moins chers, de meilleures remboursements de soins et des transports gratuits, qu’est-ce qu’on attend pour les satisfaire et éviter un mouvement comme celui des gilets jaunes ? Malheureusement (mais pas pour moi,… !) ceux qui ont des solutions pour satisfaire ces demandes se trouvent de chaque côté du parlement et ne s’entendent pas.
    Cela étant dit il serait parfois intéressant d’avoir de véritables débats sur notre société, dans le respect des opinions de l’autre. Par expérience en tant que membre d’une liste d’opposition, nous votons souvent ce que propose la majorité. En final le fait prendre des engagements politiques qui ne consistent pas à refaire le monde, mais à rendre la vie quotidienne plus agréable, fait que nous nous retrouvons bien souvent sur les mêmes valeurs.

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