Biodiversité. Les girafes, certes ! Mais les insectes ?
Vouloir sauver les animaux, quelle belle intention ! Un clic, et hop ! voilà la mauvaise conscience soulagée pour pas cher. Ainsi, les pétitions en rafales qui déferlent sur la toile en viennent-elles à créer de l’indignation facile et sans lendemain. Ou même contre-productive, allant carrément à l’encontre de l’intention première. Cas typique, cette campagne de signatures lancée par Avaaz.org à partir de la photo d’une certaine Tess, laissant éclater sa joie triomphale aux côtés de la magnifique girafe noire qu’elle vient d’abattre au fusil.
[dropcap]Lors[/dropcap] d’un safari en Afrique du Sud en juin 2017, Tess Thompson Talley, 37 ans, publie une photo sur ses réseaux sociaux, la montrant, triomphale, auprès du cadavre de son trophée de chasse : une girafe noire, espèce rare en voie de disparition. Un an plus tard, le site AfricaLand Post relaye cette photo sur Twitter et Facebook, et ce texte : « Une Américaine blanche sauvage, en partie néandertalienne, qui se rend en Afrique et abat une girafe noire très rare, grâce à la stupidité de l’Afrique du Sud. Son nom est Tess Thompson Talley, s’il vous plaît partagez ».
Visiblement très fière de sa prise, Tess Thompson Talley avait posté les photos sur son compte Instagram, accompagnées d’une tirade sur sa partie de chasse : « Oui, je l’ai fait! J’ai réussi. Sur cette photo, vous voyez une girafe de 18 ans pesant 1800 kilos, et j’ai reçu 900 kilos de viande dessus. Je n’ai jamais été aussi heureuse », avait-elle déclaré selon le quotidien USA Today, provoquant l’indignation chez les internautes du monde entier.
Cette photo soulève l’indignation, à juste titre. Honte à cette conne qui ose ainsi parader, sans voir l’obscénité de son acte, de son attitude, de son sourire et de son geste aussi révoltants. En commettant un crime contre la vie, cette héroïne de la bêtise assassine, vient aussi d’attenter à la beauté du monde, à la Nature toute entière – désormais dénommée biodiversité.
L’animal humain, nuisible absolu
Où qu’on se tourne, de toutes les espèces, l’humaine s’avère la plus destructrice de la planète. Destructrice et autodestructrice, ce qui commence à se savoir chez les plus conscients d’entre ces humains, ceux qui, justement, peuvent se prévaloir d’un certain degré de conscience et d’une éthique vitale. Ceux-là, en effet doués de conscience, ne sont hélas pas les plus agissants dans la protection du vivant. Sans quoi nous n’en serions pas là : 16 119 espèces aujourd’hui menacées d’extinction dont 7725 animaux et 8393 plantes 1. Ces chiffres sont très certainement sous-évalués car seulement 3 % de la biodiversité connue est estimée. De plus, cette biodiversité connue est selon les scientifiques huit fois moins importante que l’existante.
L’ONG de cyberactivisme Avaaz, vient de lancer une campagne avec pétition pour « sauver les girafes », s’appuyant sur la photo de la fameuse Tess Thompson Talley, tueuse de girafe. L’argumentaire de la pétition Avaaz apparaît cependant comme déplorable. Extraits :
« Nous commençons à peine à comprendre combien les girafes sont intelligentes et sensibles. Elles communiquent même en fredonnant ! La photo de Tess a déclenché une vague d’indignation mondiale, car au fond de nous, nous savons que les animaux méritent d’être traités avec dignité et respect. »
« La vie sur Terre est précieuse et pourtant, partout où se porte notre regard, les plus belles espècesdéclinent. C’est une tragédie. Surtout que nous sommes tout juste en train de découvrir le rôle clé qu’elles jouent pour toute la vie autour d’elles. Nous nous sommes déjà rassemblés pour les éléphantset les orangs-outans — aujourd’hui, faisons de même pour les girafes. »
Le ton est donné [souligné par moi] : celui de la pleurnicherie, de la sensiblerie culpabilisatrice et racoleuse – certes, il faut rameuter le plus grand nombre de pétitionnaires, ces militants du clic de bonne conscience. Ainsi, c’est parce qu’elles sont belles, intelligentes, sensibles que les girafes « méritent » notre pétition compassionnelle. À part les éléphants et les orangs-outans qui relèvent de la même « grâce » (divine ?), les autres peuvent crever. Et c’est bien ce qui se passe, et tel est le problème, le vrai, celui de la disparition massive des espèces animales et végétales.
L’état de la biodiversité des insectes est alarmant. Leur biomasse diminue d’environ 2,5% par an. © Ph. François Ponthieu
Selon le décompte de Conservation Nature, les plus de 16 000 espèces connues menacées d’extinction se répartissent ainsi : – 12 % des oiseaux ; 23 % des mammifères ; 32 % des amphibiens ; 42 % des tortues ; 25 % des conifères ; 52 % des cycadales (plantes des régions tropicales, dont le cycas, sorte de palmier qu’on appelle arbre à pain).
Quatre-vingt dix neuf pour cent des espèces menacées d’extinction le sont par les activités humaines. Oui, l’homme est la principale cause des atteintes à la biodiversité. Son action « contre nature », la surexploitation des ressources, les pollutions et le changement climatique qui s’ensuiventt entraînent la dégradation et la perte d’habitat des animaux.
De tous les animaux, une attention spéciale doit être portée aux insectes, ces mal-aimés pourtant si essentiels dans la chaîne biologique et écologique. Ainsi, en trente ans, quelque 86 % de papillons monarques ont disparu en Californie, et 76 % d’insectes volants en Allemagne. Et que dire du déclin des abeilles, décimées par de multiples causes liées aux activités humaines ?
Selon des chercheurs qui ont compilé 73 études menées sur 40 ans, plus de 40 % des espèces d’insectes sont en déclin dans le monde et un tiers des espèces sont en voie de disparition.
Car les insectes, s’ils ont bien souvent mauvaise presse, sont pourtant indispensables à la pollinisation des plantes. Outre qu’ils recyclent les nutriments, ils servent de nourriture de base aux oiseaux, reptiles, amphibiens et poissons. Ces poissons aujourd’hui si menacés eux-aussi, prélevés de manière industrielle par des prédateurs avides de profit. 2
Cette perte de la biodiversité semble aussi inéluctable que l’est la course au profit, elle-même liée à la névrose mortifère de ces prédateurs suprêmes dénommés humains, dont l’espèce même se trouve tout aussi menacée – en dépit du déni, ou plutôt à cause de ce négationnisme qui menace toute l’humanité. 3
Le réchauffement climatique n’est pas la seule menace pour les insectes du monde. La principale cause de leur déclin reste aussi la destruction des habitats due à l’agriculture intensive et à l’urbanisation. La pollution aux pesticides et aux engrais ainsi que les espèces invasives ou les agents pathogènes arrivent ensuite. Les abeilles sont particulièrement affectées par l’utilisation conjointe d’insecticides et de fongicides. Face à un taux de mortalité des insectes huit fois plus rapide que celui des mammifères, des oiseaux ou des reptiles, les chercheurs appellent notamment à repenser les pratiques agricoles actuelles.
Alors que la nature est parvenue, en quelques milliards d’années, à transformer le chaos en vivant élaboré et prodigieux – la biodiversité – quelques générations d’humains auront réussi l’exploit inverse en provoquant un déséquilibre quasi généralisé des biosystèmes.
Quels sont les enjeux ? Rien de moins que le destin du vivant, l’avenir de la biodiversité et, accessoirement et conjointement, celui de la communauté des hommes sur cette fragile planète. Penser que l’espèce humaine puisse tirer seule son épingle du jeu de ce désordre écologique annoncé serait une monstrueuse erreur d’appréciation. Réduire la biodiversité, c’est scier la fragile branche qui retient l’humanité au bord du chaos.
Galerie des tueurs ravis et fiers
[Non, Tess, t’es pas toute seule ! Cliquer sur une photo pour lancer le diaporama]
Terrible, cet affichage de stupidités humaine !
On est quand même plus facilement portés à la défense des grosses bêtes qui nous ressemblent (belles, sensibles, intelligentes…) plutôt que les palourdes de l’étang de Berre, non ? Le problème est bien là ! Si on avait de belles photos de termites fusillées par de belles chasseuses triomphantes… Bon, j’arrête, je sens que ça va déraper, alors que le sujet est super important, et l’article aussi !
Gérard, je ne discute pas les chiffres que tu mentionnes ni ce que l’on pourrait appeler tes mises en garde, mais je te trouve bien sévère envers ce déferlement de pétitions en faveur des animaux, et selon moi à tort.
Les gens font ce qu’ils peuvent, et certains ne peuvent pas plus que signer de telles pétitions, et pour moi ce n’est pas négligeable, car l’un des grands mérites de ces pétitions c’est qu’elles font circuler l’info. Ainsi, sans cette pétition là, je n’aurais pas su pour les girafes, et j’ai renvoyé cet info à mes correspondants, et sauf erreur de ma part à toi aussi.
Les gens arrivent à la protection de la Nature par différents biais, et rarement d’un coup. Je rappellerai ici quelque chose d’important : à une certaine époque, pas si loin, les ornithologues patentés ne défendaient pas du tout les rapaces, c’est ainsi pourquoi, en France, fut créé le FIR (Fonds d’Intervention pour les Rapaces) par les frères Terrasse (disciples et amis de Robert Hainard). J’ai moi-même adhéré à ce FIR pendant plusieurs années, avant qu’enfin son importance fut reconnue par la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux) et que celle-ci accepta qu’il se fonde en son sein. Ce qui prouve bien que rien n’est simple. De même, il faut souvent un long chemin pour que les défenseurs des animaux domestiques, familiers, se mettent à défendre les animaux sauvages en voulant qu’ils restent tels, c’est-à-dire sauvages. Alors il ne me gêne en rien que certains commencent par les girafes, et continuent avec elles, pour arriver un jour aux insectes et à tout ce qui vit.
Certes les arguments employés ne sont pas toujours pertinents : ceux de la gentillesse, de la non-nocivité, et surtout ceux de l’utilité (Et si certains animaux n’ont aucune utilité, qu’est-ce que l’on fait ? On les laisse se faire détruire ?). Je crois que le sentiment de la beauté est autrement plus pertinent. Il paraît que Dostoïevski aurait dit : « C’est la beauté qui sauvera le monde » ; je vois tout à fait ce qu’il voulait dire, il me semble. C’est le sentiment de beauté envers les arbres qui empêche de les couper.
Tes arguments sont convaincants, Gérard ; mais je ne rejoins pas ton optimisme quant à la progressivité des prises de conscience. C’est ce que j’ai essayé de dire dans mon article : dans quelle mesure ces pétitions qui argumentent sur la beauté des bêtes dignes de protection ne vont pas à l’encontre de la protection de toute la nature ? – dite biodiversité de nos jours. D’une certaine manière, j’ai aussi « péché » sur ce point en publiant cette photo de libellule, une si gracieuse « créature »… Mais la beauté du cafard, du ver de terre, de la lotte ? La beauté n’est-elle pas un critère suspect ? (Y compris chez Dostoievski !) N’est-elle pas l’injustice même ?, en particulier chez les humains : sous-humains les moches ? De même pour l’utilité, critère encore plus contestable.
Quels animaux n’auraient pas leur place dans l’éco-système biologique ? Même les moustiques, qui nous agressent, mais dont se nourrissent les oiseaux… Peut-être des organismes alors, comme des bactéries, des virus… Moches et néfastes pour l’Homme… À moins que ce soit l’Homme qui ait déconné avec eux ?
J’ai beau faire, Gérard, je n’arrive pas à te suivre ! D’abord parce que pour moi les combats ne s’opposent pas mais s’additionnent, et doivent s’additionner. Il y a tant à faire et personne ne peut tout faire, mais chacun agit dans son domaine ou dans le domaine qu’il préfère.
Les pétitions, que tu critiques ou sembles critiquer, ont déjà permis de nombreuses victoires (tout comme les vidéos dénonçant les brutalités contre les animaux et avec lesquelles elles s’additionnent) : ainsi, partout en Europe, les cirques avec animaux reculent car ils sont de plus en plus interdits, la vivisection apparaît de plus en plus comme une horreur indéfendable, des refuges pour animaux familiers sont défendus et sauvés, les gens prennent conscience que la situation des animaux que l’on mange (poulets, cochons, etc) est insupportable, qu’il faut en finir avec ces pratiques, etc., etc. Je crois vraiment que l’on assiste à une prise de conscience : regarde le nombre de livres sur la sensibilité et l’intelligence animale, tout cela c’est nouveau dans l’humanité. Pour moi, aucun combat n’est dérisoire. Ne les opposons pas.
Quant à la beauté ! Pour moi la beauté est rencontre. « Si vous n’avez pas un oiseau dans le cœur, vous ne pouvez le voir dans le buisson. » (John Burroughs, dans l’anthologie L’Art de voir les choses.)
La beauté n’est donc pas quelque chose de figé qui me serait imposé de l’extérieur, par la culture, les conventions, les éducateurs en tout genre.
Beauté est admiration, et admiration est sauvegarde. Beauté est vivante, mouvante. Il y a quelques décennies, les vautours ont été décimés en France parce qu’ils étaient, selon certains, affreux, moches et méchants, néfastes. Et maintenant, grâce au FIR et aux frères Terrasse dont je parlais, ils ont été réintroduits dans les Gorges de la Jonte, entre Méjean et Causse Noir, et les touristes, les gens du commun comme moi, se pressent pour les voir, et admirer leur vol majestueux et s’en souvenir à tout jamais. Qui l’eut dit il y a cent ans ? Cinquante ans ? Trente ans ?
Je crois, moi, que les maraîchers et agriculteurs bio voient la beauté des vers de terre. Ce seront eux et à eux de les défendre pendant que d’autres défendront les girafes.
Je te mets un poème de Heidegger quitte à en faire bondir certains :
Être et pensée
L’Être – un produit de la pensée ?
La pensée est toujours avenant de l’Être.
Apprenez d’abord à remercier
Et vous pourrez penser.
Rien n’est en vain
Tout est unique.
Martin Heidegger, (traduit par Michel Haar)
Je reviens sur ce sujet qui me tient à cœur, car moi qui signe des pétitions plus qu’un archevêque peut en bénir (si je peux en tant qu’athée employer cette formule qui fut parlante autrefois), je suis témoin de plus d’une victoire grâce à ces pétitions. Ainsi, par exemple, j’en ai signé une il y a quelque temps contre la création d’un élevage industriel de 33.000 poulets à Flangebouche. Eh bien, suite à cette pétition qui a recueilli 79 160 signatures et à différentes actions jointes « Un arrêté de refus va être publié cette semaine » par le Coderst (Conseil départemental de l’environnement, des risques sanitaires et technologiques ) nous disent les initiateurs de cette pétition. Dans leur compte-rendu ils précisent ceci, constatation à laquelle j’adhère totalement :
« C’est une victoire et un espoir pour celles et ceux qui luttent contre les fermes usines qui tentent de s’installer partout en France, qui luttent contre la souffrance et l’exploitation animale : en unissant nos forces, nous pouvons gagner ! Car nul doute que la mobilisation large, impliquant des personnes et des organisations de tous horizons, a permis d’aboutir à ce résultat. »
Pour contact avec cette pétition :
https://www.mesopinions.com/petition/victoire/elevage-industriel-33 – 000-poulets-flangebouche/60317
c’est moi qui devient vieux ou bien aucun de ces animaux ne semble reellement mort ?????
ça donne une impression bizarre.…
pas « aucun » mais certains d’entre eux .…y a ptètre du photoshop dans l’air chez les chasseurs-frimeurs?…