Immigration. Ouvert par la gauche, le boulevard Le Pen dessert la France entière
Il aura ainsi dispersé droite et gauche archaïques à son profit ; il aura laissé prospérer le lepénisme vers une droite assez présentable pour jouer au « duopôle » jusqu’à la prochaine présidentielle, façon 2017 ; il aura laissé les Verts cultiver la « transition écologique », tout en tablant sur quelques arrangements et retombées… Le reste, pfft, des miettes sous le tapis ! La gent éditoriale salue l’artiste. Artiste, Macron ? Bien plutôt illusionniste. En ce sens qu’il donnerait, non sans talent, cette illusion d’avoir manœuvré comme un chef machiavélique. N’est pas Mitterrand qui veut. Retournons la chaussette pour voir les coutures. Ainsi voit-on mieux les fils blancs des renoncements multiples et successifs d’une gauche décadente, éclatée, laminée… qui, en quatre décennies, aura ouvert, notamment sur la question de l'immigration qui secoue toute l'Europe, un grand boulevard au couplage Macron-Le Pen.
– 1) La sécurité. La gauche et ses porte-parole ont relativisé ou nié carrément cette réalité, subie en particulier dans les banlieues avec de graves problèmes de délinquance, en la rejetant comme un « fantasme d’extrême-droite »… Attitude qui a touché beaucoup d’électeurs de gauche.
– 2) « La politique sociale que la gauche n’a pas mise en place en termes de redistribution, surtout à partir de Hollande ». C’est ainsi que les entreprises ont été favorisées, au nom de la nécessité de produire et des impératifs de la sainte Croissance. D’où le sentiment d’abandon des « couches inférieures ».
– 3) « La question de l’immigration, avec ses fantasmes et ses mythes ». C’est moi qui souligne, tandis que notre historien relève que la gauche a manifesté « beaucoup d’incertitudes, de déclarations un peu légères à ce propos », propos qui alimente abondamment, je cite, « la boutique du Front national puis du Rassemblement national sur le thème : vos maux viennent avant tout de l’immigration, de l’Europe, etc. avec tout un langage populiste, très nettement mythologique [je re-souligne], qui a très largement détaché de la gauche les couches inférieures de la société. »
Il y a là une contradiction déplorable à mon sens : tandis que sur la sécurité, Michel Winock semble regretter le déni de réalité de la gauche, il use lui-même d’un déni semblable en qualifiant la question de l’immigration de « très nettement mythologique ». Donc, il s’agit là encore d’un refus de prise en compte de l’immigration, par conséquent laissée au Rassemblement national pour sa « boutique ».
Mais d’où viendrait donc que ladite boutique continue de voir son « chiffre d’affaire » progresser – de près de 600 000 voix en deux ans ? Pour cette même raison : l’abandon par la gauche de son électorat historique – le « peuple » –, laissé à la captation desdits populistes, de gauche (Insoumis) et surtout de droite (RN).
Je m’en tiendrai à la carte des Bouches-du-Rhône, là où je vis, qui fut un bastion de gauche, tendance socialo-démocrate-communiste, et qui aujourd’hui se trouve presque entièrement dominé par le RN : avec 99 communes où il arrive en tête sur 119, le RN est le grand vainqueur de ces européennes. Dans un scrutin, certes marqué par l’abstention, il l’emporte à Marseille et dans toutes les principales villes du département à l’exception d’Aix-en-Provence. D'où cette carte, émanant de l'excellent site local, Marsactu (cliquer pour agrandir) :
Or, les Bouches-du-Rhône en particulier et le sud de la France plus généralement se trouvent plus que concernés par les trois points soulignés par Michel Winock, et tout spécialement celui de l’immigration – qu’il faudrait taire au nom d’un humanisme idéologique (les Insoumis), ou rejeter sous couvert d’« internationale raciste » (Benoit Hamon). Aux derniers résultats électoraux, on voit l’effet produit par ces gauches parlant « au nom du peuple ».
Ces dénis de réalité ne sauraient résister longtemps à quiconque viendrait se confronter « au terrain ». Plutôt que de grimper aux rideaux à l’idée d’un « grand remplacement », que ne viennent-ils, ces négationnistes, constater les « petits remplacements » bien réels qui touchent des quartiers entiers, de grandes villes (Marseille) comme de plus petites communes ? (Martigues, Fos, Arles, Istres, Aubagne, etc. où le RN a dépassé les 30% des exprimés).
Pour ce qui est de Marseille, je m’en tiendrai aussi à un quartier que je connais bien pour le fréquenter régulièrement ; et pour savoir aussi, qu’il y a moins de cinquante ans, il était un village provençal, havre de paix et de tranquillité. Il s’agit de Saint-Antoine, dans « les quartiers Nord », XVe arrondissement, dont la rue principale – pour ne parler que d’elle – est désormais presque entièrement occupée (à l'exception des banques et pharmacies) par des commerces « halal » ou, plus généralement tenus par des Maghrébins ou des Turcs. Si des touristes s’aventuraient dans ces parages – ce qui ne risque pas –, ils pourraient trouver ça « folklorique » ou « multicuturel » ; mais ils n’auraient encore rien vu s’ils ne poussaient leur curiosité jusque dans les fameuses cités, comme celle de La Castellane, zone de non-droit placée sous la coupe des trafiquants, dont certaines rues sont barrées à la circulation et placées sous la surveillance permanente de guetteurs. Ils sont là, les « ghettos » et les « territoires perdus de la République » dont la plupart des politiciens dénient l’existence par lâcheté politique pour ainsi jeter les populations déstabilisées dans les bras de l’ex-Front national qui, en effet, finit par rassembler.
L’aveuglement voulu, et entretenu, face aux réalités peut même atteindre certains spécialistes de leur spécialité. Je pense précisément à un Hervé Le Bras, démographe de son état, ne jaugeant les réalités de l’immigration que selon ses lunettes statistiques – celles qui rejoignent les fantasmes et mythes évoqués par Michel Winock. Une chose est de considérer des ensembles abstraits, représentés par des moyennes, même si les données sont considérées comme fiables ; une autre est de percevoir la réalité vécue dans un village, un quartier, une ville selon leurs composantes et sociologie locales. Ce qui est en cause ne se mesure pas de manière comptable ; il y va des modes de vie – référents culturels, langue, religion, coutumes, c'est-à-dire de de ce qui fait société, ce qu’on appelle le « vivre ensemble », dans un désir commun de base, un savoir-vivre plutôt.
Il en va ainsi de la température, entre celle mesurée au thermomètre et celle ressentie par l’organisme exposé… ou interprétée par un spécialiste devant un écran, au chaud dans son bureau.
Pour Le Bras, la question de l’immigration est une « invention », qu’il verrouille ainsi depuis des années, avec son compère Emmanuel Todd, l’un et l’autre si péremptoires dans leurs maniements des statistiques, surtout quand elles servent leurs conclusions. Exemple :
En 2013, dans Siné mensuel, il affirmait encore au sujet des flux annuels :
Et voilà le pourcentage de clôture! Même datées, ne tenant pas compte du contexte actuel mondial – attentats terroristes, terrorisme djihadiste, migrations transméditerranéennes – de tels commentaires s’anéantissent devant les enquêtes de sociologues et de journalistes de terrain. [ref]Sur Marseille, nombreux ouvrages, études, témoignages révèlent de fortes « disruptions », comme dirait Macron. Entre autres livres : La Fabrique du monstre, Philippe Pujol, 2016, Les Arènes ; Sociologie de Marseille. Par Michel Peraldi, Claire Duport et Michel Samson. 2015, La Découverte ; Principal de collège ou imam de la République ? Bernard Ravet, 2017, Kero.[/ref] Ou, pour satisfaire aux données chiffrées, celles fournies par l'Insee en 2015 :
L’irruption du Front national coïncide avec les années Mitterrand et la conquête du pouvoir par la social-démocratie. Un journaliste y contribua fortement : François-Henri de Virieu[ref]Dit « le marquis rose », ainsi que le surnommait notamment mon vieux pote Bernard Langlois.[/ref] avec son émission phare (si j’ose dire…) sur Antenne 2, L'Heure de vérité, à laquelle Jean-Marie Le Pen fut invité six fois ! Cette émission servit de marche-pied au chef du Front national, et réciproquement. Car Le Pen était un bon client pour la « médiacratie »[ref] La Médiacratie, titre du livre de de Virieu (1990) qui s'inquiétait de ce que « le système médiatique est aujourd'hui un principe organisateur de la politique ». « Médiacrate » lui-même, il prétendait s’étonner de ce qu’il avait largement nourri ! [/ref] Lors de son premier passage – le 13 février 1984, quatre mois avant les élections européennes de 1984 qui voient sa première percée nationale, avec 10,95 % des voix – il avait été promis à l’éreintage des trois matadors : Alain Duhamel, Jean-Louis. Servan-Schreiber et Albert Duroy. Ils pensaient « se le payer » sans coup férir, c'est-à-dire sans argumentation solide, documentée… Et ce fut l’inverse : Le Pen les contourna, à son plus grand profit.[ref]C’est au vu d’une telle déconfiture journalistique que je décidais, en tant que responsable des études au Centre de formation des journalistes, d’inviter Le Pen pour une confrontation avec des apprentis journalistes. Il ne se fit pas prier et la rencontre ne manqua pas de piquant… ni d’intérêt pédagogique – c’était bien le but recherché.[/ref]
Jean-Marie Le Pen était (est toujours) un fasciste assumé : raciste, antisémite, négationniste ; dans la lignée mussolinienne et celles des phalangistes belges et des franquistes espagnols. Qui plus est fort-en-gueule, habitué des coups de poing ou pire : sous-lieutenant parachutiste pendant les guerres d’Indochine et d’Algérie où il fut accusé de tortures, sans condamnation judiciaire. Ses caricatures ne se privent pas de souligner ce passé de Le Pen ; c’est le cas notamment de Plantu (Le Monde, L’Express) qui le représente en SS, contribuant ainsi à diaboliser le personnage sans pour autant porter la critique sur ses options politiques.
On n’a pas assez montré combien de tels anathèmes ont conforté ses opposants à ne pas considérer la réelle portée des idées frontistes auprès du « peuple ». Marine Le Pen, sa fille, a fait l’objet d’une même classification primaire (y compris par Plantu, qui confond l’effet et la cause) mais a su s’en dégager par sa forme d’intelligence politicienne. C’est ainsi qu’elle s’est dégagée de l’emprise et des idées paternelles, allant jusqu’au parricide symbolique en excluant le père du mouvement qu’il avait bâti ; puis en rebaptisant le Front en Rassemblement, marquant ainsi, de surcroit, une rupture idéologique partielle par l’abandon des thèses racistes et antisémites. Remise de son calamiteux débat avec Macron en 2017, elle a « recentré » son parti par rapport à l’Europe en gardant le cap anti-immigration, véritable socle de son populisme, à la manière de l’Italien Matteo Salvini. Populisme en ce sens, précisément, d’une idéologie d’un peuple qui serait souverain par sa nature-même, par essence – en quoi elle s’apparente à Jean-Luc Mélenchon, mais seulement en cela, évidemment (ce qui est déjà beaucoup…), car le chef des Insoumis pousse quand même plus loin son analyse politique en référence à la lutte des classes et aux problématiques sociales.
Tandis que les socialistes, renonçant à la conquête du peuple devenu transparent à leurs yeux, optaient pour des réformes sociétales, voire communautaristes ou fortement « genrées » : sexualités (Mariage pour tous, LGBT, etc.), ethnies, religions… Et cela notamment sous l’influence de Terra Nova, le think tank socialiste, misant sur le vote ethnique pour compenser le fait d’une gauche ayant perdu le vote ouvrier et devenue minoritaire en voix dans le pays. On voit les résultats aujourd’hui !
Poison insidieux, visant à saper la laïcité, s’attaquant aux valeurs universelles, au nom d’un relativisme qui ébranle le socle culturel des sociétés avancées[ref]Disons, celles qui ne se rétrécissent pas dans les arrière-mondes. [/ref], oui, le communautarisme conduit à l’éclatement du « vivre ensemble », à l’image de cette trentaine de listes présentées aux dernières élections européennes – et moi, et moi, et moi ! L’individu-roi poussé à l’exigence narcissique. « C’est mon choix ; j’y ai droit ». Je suis même libre de choisir mon sexe, d’en changer, voire d’en créer une variante. Et qu’on ne m’emmerde pas avec ces annexes remises en en question des fondements du capitalisme ou du libéralisme !
J’en finis pour aujourd’hui à cette peur du paraître en politique – et plus généralement en manière d’être. Je l’ai souvent soulignée ici-même. Ainsi :
– la peur à gauche de paraître à droite (très ancrée chez les socialistes ; exemple : Martine Aubry, mairesse de Lille, réservant des horaires de piscines aux musulmanes) ;
– la peur à droite de ne pas paraître (un peu) à gauche (macronisme) ;
– la peur à droite de ne pas paraître assez à droite (Wauquiez) ;
– la peur à gauche de ne pas paraître assez à gauche (Mélenchon, les communistes).
Et, au fond, la peur de chacun de ne pas se poser à sa juste place ! Ce que, avec un minimum d’objectivité, on ne saurait dénier au RN, au moins pour ce qui est des discours « hors sol » (non confrontés à l’exercice du pouvoir). De là à ne pas me faire suspecter de sympathie lepenienne… De là à me faire de nouveaux amis… C'est dit, je me devais de le dire.
Face à l’immigration, il y a manifestement de la part de la gauche – en grande partie – un confusionnel mélange de cécité et de pensée magique : ne pas voir la volonté de conquête musulmane, l’attentisme de l’immense majorité des musulmans relativement aux conditions favorables à la conquête, l’étouffante pression de conformisme intracommunautaire qui en fait un système totalitaire au sein de nos « démocraties », l’absence de gratitude pour les concessions réitérées faites aux pratiques singulières et par ailleurs superréactionnaires. Et pour ce qui concerne la pensée magique, croire que les pauvres musulmans sont des opprimés du capitalisme comme les prolétaires d’hier et qu’ils seraient un potentiel révolutionnaire, alors qu’ils n’aspirent – la plupart – qu’à l’ordre de la charia de la domination arbitraire du caïd-calife sinon patriarcale, de la pire misogynie, de la frustration sexuelle et affective, de la peste émotionnelle ; et croire encore qu’en se montrant gentil envers les plus virulents d’entre eux, on va les calmer alors que la pratique montre que ça ne fait que les exciter davantage, v. le modèle « Munich ». Grosso modo : la gauche est idiote utile islamophile, la droite est islamophobe mais ne remet pas en question le capitalisme, qui est pourtant avec l’islam l’autre nihilisme des temps modernes. Les deux participent d’un tropisme morbide dont l’issue catastrophique semble inéluctable. Voire souhaitable…
Merci Gian
Très bien analysé après le texte magnifique et documenté de Geai. Si courageux par ce temps où beaucoup veulent rester dans leurs idées. Aveugles ne voulant pas voir ce qui se passa vraiment dans la vraie vie. La vie de nos quartiers, de nos banlieues.
Pris en tenaille entre l’islamisme et le Front national…
Cela ne se parle qu’en chuchotant.
Est ce normal que ma fille aux longs cheveux blonds sortant d’un magasin avec ses deux enfants se fasse traiter de salope car elle ne porte pas de foulard ?
Et non ce n’est pas un cas isolé dans ce quartier de Marseille où j’habite.
Alors que faire ?
Sûrement rien, mais on l’aura dit.