Traité européen. Le métier d’informer s’enfonce dans le discrédit
La question : Qu’est-ce donc qui est déréglé dans la machinerie médiatique ? Elle est malade, certes – et les causes en sont multiples–, mais de plus elle aggrave son état dans la pire inconscience. C’est somato-psychique, oui, dans cet ordre-là en ce moment : le corps souffre (déréglementation des marchés et des structures de production) et le mental (ce qu’informer veut dire) est atteint, ce qui est le plus grave.
Pourquoi, en effet, accorder quelque crédit aux médias ? Pourquoi, de plus, payer en achetant des journaux qui méprisent à ce point leurs « clients » ? Et je dis bien clients exprès, justement par opposition à lecteurs, ou auditeurs, téléspectateurs. Je le dis pour qualifier ce mépris des éditeurs-commerçants pour leurs publics auxquels ils devraient être redevables d’un véritable service public – celui de l’information due aux citoyens, au nom du droit du public à l’information, droit basique, fondamental, un des « droits de l’Homme » et des démocraties.
Quel mépris donc ? Celui qui nie le libre-arbitre de l’individu. Qu’il s’agisse du « tsunami » papolâtre qui a englouti les rédactions dans une absence quasi totale de recul critique et de sens de la mesure. Qu’il s’agisse, bien sûr, du projet de traité européen pour lequel les médias de masse ont aussi perdu tout sens civique et critique en optant – de manière, hélas souvent ou parfois inconsciente –, pour le « oui » au référendum.
Dans les deux cas, le citoyen soucieux de son libre jugement est nié en tant que tel. Il doit alors en rabattre à chaque émission ou pour chaque page de journal ; y subir les assauts propagandistes de partisans-journalistes qui, cependant, se voudraient encore « neutres », « objectifs », « professionnels » ou quoi encore ?
Un déni de journalisme d’information (car le journalisme d’opinion a sa raison d’être, dès lors qu’il se présente comme tel : un journalisme de combat, d’engagement), un déni d’autant plus grave qu’il affecte les médias des services publics – les seuls sur lesquels nous pouvons prétendre à de légitimes exigences d’équité puisque ces médias publics nous appartiennent, à nous collectivité de la République, en tant que bien commun.
La pétition que j'‘ai lancée ici le 4 avril Pour une information républicaine, laïque et civique concernait les affaires papales et garde sa valeur et toute sa portée dans les domaines de la politique. Hélas, parmi ses plus de 200 signataires, trop peu de journalistes s'y sont impliqués – tous n'‘ont pas eu à la connaître, bien sûr ; mais de ma propre liste directe d'‘alerte, oui, trop peu ont seulement réagi : manque de courage ou désaccord, ou inhibition d'‘action liée au contexte économique déplorable de la presse ? Bref, cette pétition, modeste et néanmoins fortement symbolique, a davantage remué les « citoyens de base ». Aujourd'hui encore, elle a été signée par un blogo-lecteur, Pierrick Louin, qui écrit notamment :
« [ ] De même que je ne rencontre pas (du tout) la même densité critique vis à vis de la constitution dans les médias et dans mon quotidien, j’'ai été très surpris du relais par des journalistes – que je croyais jusqu'ici plus laïcs, – de l’'hystérie qui a accompagné les péripéties de la papauté. Et pendant ce temps-là mes espérances de débats démocratiques sur notre vie séculière s’'amenuisent.
« Ce traitement délirant d’'une information aussi vide que les avatars d'‘un empire (l'église catholique n’est pour le moins pas démocratique et, qui plus est, Benoît y est le symbole de sa volonté de puissance !) laisse à désirer sur l’esprit critique de certains journalistes têtes d’affiche.
« Plus que partout ailleurs c’est au service public que je pense. Les journalistes y sont censés animer la vie de la cité (c’est en tout cas l’honneur dont ils se parent) en nous donnant accès à des informations plurielles, vérifiées et débattues, afin que nous puissions nous faire une idée. Je sens malheureusement assez souvent plutôt un grand mépris et une volonté de puissance. »
D’autres « commentaires » s’élèvent aussi contre de tels abus ; ils montrent bien qu’il ne s’agit pas tant de rouspétances anticléricales (il y en a), ni de râleries franchouillardes dans lesquelles, précisément, bien des journalistes s’évertuent à classer le « non ». Cela va bien plus avant dans l’expression d’une critique de fond des comportements médiatiques dont l’aveuglement confine à une sorte de suicide professionnel – que vient encore aggraver le panurgisme rampant que je dénonce souvent ici.
La « classe journalistique » – je n’aime pas cette expression, mais bon – doit s’attendre à une prochaine et violente contestation de ses intenables positions. Positions fragiles de domination, parce que liées au monde des puissances financières – fragiles elles aussi, mais autrement, et au fond colosses aux pieds d’argile, qui ne trouvent de l’intérêt que dans les sonnants et trébuchants produits de grande consommation, quitte à en changer brusquement si le vent venait à tourner
Domination fragile aussi face à un public dont on peut pressentir une sorte de révolte sous forme de rejet violent. Les patrons-éditeurs seraient peut-être bien avisés d’ajouter ce paramètre dans leurs tentatives d’analyser les raisons d’une crise, et de chercher aussi des « remèdes » ailleurs que dans le marketing commercial. Mais à l’impossible nul n’est tenu.
Toujours est-il qu’une résistance se manifeste d’ores et déjà. Même minoritaire, elle n’en est pas moins porteuse de sens. Pour sa part, le dernier Politis consacre un dossier sur ce que l’hebdo appelle « La rengaine des béni-oui-oui ». Tant qu’il y aura des sourds à l’exigence d’équité, on n’a donc pas fini de l’entendre, cette rengaine qui, peut-être, va même s'avérer contre-productive.
→ Une protestation vient d’être lancée sur un blog non identifié, dans le but « d’accroître la pression sur les médias pour qu'ils fassent leur travail : informer sans prendre parti. »
Pas d’accord avec Gérard Ponthieu quand il limite ses exigences d’équité aux seuls médias publics. Pour ne parler que de la PQR (presse quotidienne régionale) : si les contingences industrielles et économiques ont mené à sa concentration, à la disparition de la pluralité des quotidiens sur quasiment tout le territoire, la pluralité des opinions existe, elle, toujours. Et ce n’est pas trop demander aux monopoles de PQR d’assumer cette pluralité – si ce n’est par honnêteté intellectuelle spontanée, du moins en contrepartie des aides que la collectivité, vous, moi, lui octroyons au titre d’instance essentielle à la vie démocratique (fiscalité réduite, tarifs postaux, aides diverses).
Et quand, dans le Politis sus-cité la philosophe Marie-José Mondzain affirme : « Être journaliste est un métier de citoyen et doit le rester », elle ne s’adresse pas seulement aux journalistes du service public.