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Chronique congolaise – 1. Le Congo-Kinshasa se trouve toujours au cœur des ténèbres

congo.1183369440.jpgCe lundi matin à 11 heures 50, tout Kinshasa a été privé de courant. Ça n’a pas autrement ému les confrères de « Journalistes en Danger » (JED) avec qui je discutais des dures conditions du métier d’informer en République démocratique du Congo. Ils ont écarté les rideaux donnant sur le jour, le temps de sortir dans la cour un petit groupe électrogène. Peu après, les néons se rallumaient.

donat_m_baya.1183199967.jpg En dix-sept mois, au Congo, trois journalistes et un technicien des médias ont été assassinés. Le président de JED, Donat M’Baya [photo], égrène les noms et dates. Dans son dos, sur des affiches au mur, le portrait de Serge Maheshe, le dernier de la liste, abattu la semaine dernière à Bukavu, dans l’est du pays, à la frontière du Rwanda. La petite télé juchée sur son carton d’emballage montre à nouveau les obsèques du journaliste de Radio Okapi, images d’une cassette rapportée de là-bas.

Ce 13 juin, Serge Maheshe Kasole, secrétaire de rédaction à Radio Okapi de Bukavu, dans l’est lointain du pays, s’apprêtait à monter dans sa voiture en compagnie de deux amis. Il voit des inconnus armés s’approcher, lui ordonner de s’asseoir par terre. Le journaliste est abattu à bout portant. Il mourra à l’hôpital. Ses deux amis peuvent s’échapper.

Quelque temps avant, en mai, l’association congolaise Journalistes en danger (JED) avait reçu des courriels de Maheshe décrivant les insultes et les menaces de mort qui le visaient. En 2004, il avait été l’un des quatre journalistes directement menacés après l’invasion de Bukavu par les forces rebelles. On allait « s’occuper » de lui parce qu’il travaillait pour les Nations Unies, qui avaient «vendu Bukavu».

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© Peinture originale de Sapin (extrait)

Radio Okapi, à part la radio publique de la RTNC, est l’une des trois radios d’info du Congo. Elle a été lancée par une ONG suisse, Hirondelle, puis placée sous l’aile protectrice de la Monuc – Mission des nations unies au Congo. Animal fétiche du Congo, l’okapi tient de l’antilope, du zèbre et de la girafe ; ses grandes oreilles vont bien avec l’emblème d’une radio, surtout quand ses antennes sont tendues vers la complexité du pays. Beau symbole, donc, pour un média voué au service de la paix, dans cette région d’Afrique secouée par dix ans de dictature et des rebellions successives qui auront causé en moins d’une décennie entre trois et quatre millions de morts. A se demander qui, en Europe et dans le monde entier d’ailleurs, aura eu vent d’un tel drame ! L’Afrique, cette autre planète – dans une si lointaine et oubliée galaxie. A moins que ne s’y coagule, pour un temps, le spectacle du monde, d’un monde agonisant et télégénique, tels la grande famine éthiopienne, le génocide rwandais, les massacres au Darfour.

À Kinshasa, Radio Okapi s’abrite derrière les barbelés de la Monuc et ses chars blancs. Avec ses quelque 20.000 Casques bleus et personnels civils, avec son armada d’engins marqués « UN » en noir, la Monuc est la plus coûteuse des missions onusiennes : plus d’un milliard de dollars par an, soit à elle seule la moitié de tout le budget congolais, lui-même alimenté à 40% par l’aide internationale. Le prix pour tenter le maintien d’une paix fragile – en mars dernier, moins de trois mois, on se battait encore à l’arme automatique dans le centre de Kinshasa.

Le Congo-RDC, ce pays, grand comme plus de quatre fois la France – ou quatre-vingt fois la Belgique, son ancien colonisateur – détient des richesses minières, hydrauliques et forestières incommensurables. Et à l’image de presque toute l’Afrique, l’ex-Zaïre ne connaît que la pauvreté. C’est le prix des prédations, corruptions et autres exactions alimentant les plus sanglants conflits, déculturant des peuplades aux traditions les plus profondes, tout comme sont ravagés forêts et paysages, flore et faune. Massacre des hommes, des éléphants comme, des grands singes. Massacre de la vie.

Pas étonnant qu’un Joseph Conrad ait situé ici son Cœur des ténèbres et l’une des plus mystérieuse des épopées. Ce Marlow-Stanley remontant ce fleuve comme dans l’intestin d’un monstre – le Congo est le plus grand fleuve au monde après l’Amazone –, allant vers la Source comme en quête de son moi, exploration du mystère de l’être et de l’Autre aussi, ce Kurtz qui ne manque pas d’évoquer Emin Pacha… Un autre livre serait nécessaire pour retricoter cette histoire et ce pan d’Histoire coloniale. Ou alors un film, comme l’a d’ailleurs fait Coppola avec son Apocalypse Now, librement inspiré du Cœur des Ténèbres. Qu’il s’agisse de la guerre du Vietnam n’enlève rien à l’universalité du propos ; c’est pourquoi il résonne tout autant dans la forêt congolaise et l’absurdité sauvage de ses guerres, toujours en cours au Kivu et en Ituri, à la limite du Rwanda. C’est aussi dans cette région que mourut, assassiné lui aussi, Emin Pacha. Là où, fin du XIXe siècle, s’affrontaient alors Anglais, Français et Allemands…

Curieux, ces sortes de convergences vers ce cœur de l’Afrique et des ténèbres – tandis que l’électricité manque à Kinshasa, capitale du pays qui, à lui seul, pourrait produire plus de 10% de l’électricité mondiale ! Mobutu, sans sa folie mégalomaniaque, avait au moins compris cette réalité. Il l’exprima à la mesure de sa démesure par la construction d’un des plus grands barrages hydro-électriques du monde, celui d’Inga. Des lignes à haute tension allaient désormais zébrer le paysage zaïrois pour courir sur des milliers de kilomètres, jusque dans les mines du Kasaï, du Kivu et du Katanga. Tandis que dans les cases des pauvres villages on continue à allumer les lampes à huile. Tandis que le peuple congolais paie toujours la colossale dette accumulée lors de la construction de l’édifice « mobutuesque ».

Ce lundi soir à la télé nationale, la panne a fait l’ouverture du journal et l’un des directeurs de la compagnie d’électricité était invité sur le plateau. Il a ainsi sacrifié à la mode de ces grandes entreprises modernes qui aiment battre leur coulpe en public… Grand numéro de langue de bois sur l’explosion d’un disjoncteur «provoquant l’écroulement du réseau». On se serait cru chez EDF ou Areva. La présentatrice aussi avait dû s’entraîner au journalisme de com’ en y allant de son indignation outrée : «Mais alors, la population peut-elle continuer à vous faire confiance ?!» « – Mais absolument !, rétorqua le monsieur en cravate. Car la tension est bonne, sauf délestage au niveau de la distribution»… La lumière n’avait donc pas jailli. Pas de doute, à Kinshasa on se trouve bien au cœur des ténèbres.

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PS. L’autre Congo, celui de Brazzaville de l’autre côté du fleuve, n’est guère mieux loti. À l’image du bordel qui a entouré la tentative de scrutin législatif, dimanche dernier.

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Une réflexion sur “Chronique congolaise – 1. Le Congo-Kinshasa se trouve toujours au cœur des ténèbres

  • argoul

    De la “noirceur” du journalisme dans ce pays en coupe réglée. Politiquement intéressante cette “tension” des Lumières, qui pèche “au niveau” de la distribution, si l’on y songe.

    Répondre

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