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« Soumission » et Houellebecq démentis par le 11 janvier

Par Jean-François Hérouard

Charlie du jour du drame
Charlie du jour du drame

Sous le titre « Les prédictions du mage Houellebecq », Charlie hebdo du 7 janvier, jour du massacre, caricaturait l’auteur de Soumission, Michel Houellebecq (MH), en illuminé éthylique. Mais en page intérieure, son ami Bernard Maris, un des assassinés, louait l’aspect « crédible » de cette politique-fiction, soit la victoire politique de l’Islam en France en 2022. Les manifestations  de ce dimanche 11 janvier viennent de démentir avec éclat ce scénario.

[dropcap]En[/dropcap] 2022, les partis PS+UDI+UMP font alliance avec la Fraternité musulmane (FM) pour contrer le FN. Mohammed Ben Abbes devient Président de la République, Bayrou Premier ministre, pour appliquer une charia « light » aux effets immédiats. Les femmes revêtent de longues blouses sur leurs pantalons ; encouragées par des allocations familiales renforcées, elles quittent le marché du travail, faisant reculer le chômage… masculin, tandis que la polygamie est promue. Dans les cités, la délinquance disparaît. Laissant les ministères régaliens à ses alliés,  Ben Abbes, qui a dû lire les thèses de Gramsci sur l’hégémonie culturelle, privatise l’enseignement, dont il a réservé le ministère à son parti.

Devant le calme social retrouvé, les conversions se multiplient, en tout premier lieu à l’Université, dont celle du narrateur (sans nom), anti-héros comme tous les personnages de MH. Universitaire sans vocation, spécialiste de Huysmans, cet auteur décadent d’A rebours dans la deuxième partie du XIXe siècle, notre narrateur dépressif finit par se convertir. Pourquoi ? J’allais dire par flemme ! Bien sûr, il y trouve un intérêt de carrière et de salaire, les non-convertis étant peu à peu évincés ; mais surtout il se voit doté ipso facto de trois épouses d’âges étagés selon leurs fonctions, sexuelle, domestique, de représentation sociale, lui dont la vie amoureuse lamentable allait de médiocres conquêtes étudiantes en masturbations devant des vidéos porno.

Plus fondamentalement  (si j’ose dire !), à l’instar de Des Esseintes, ce personnage de Huysmans se convertissant au catholicisme pour ses qualités esthétiques, il s’agit par cette soumission de mettre fin à la désespérance crépusculaire dont il souffre, et qu’il attribue à l’absence de transcendance dans la civilisation contemporaine.

On comprend comment une certaine gauche a pu porter  au pinacle MH pour sa critique du libéralisme et de la société de consommation, tandis qu’une droite extrême se retrouvait dans son regret d’un prétendu ordre naturel, dont le fondement religieux soutiendrait l’ordre patriarcal. Les déclarations de MH à l’Obs (8 au 11 janvier) jettent le masque : « Un courant d’idées né avec le protestantisme, qui a connu son apogée au siècle des Lumières, et produit la Révolution, est en train de mourir (…) Un compromis est possible entre catholicisme renaissant et l’islam [d’où faire de Bayrou un Premier ministre - NdR !]. Mais pour cela, il faut que quelque chose casse. Ce sera la République. »

Houellebecq / Faber
© faber 2015

Habile conteur, MH sait tricoter à coup sûr une fiction. Au détail près de l’hypothèse initiale : comment imaginer qu’un électorat de cinq millions de musulmans, eux-mêmes bien loin d’être unanimes (à supposer qu’ils aient eu le droit de vote et l’exercent…), entraîneraient  leurs compatriotes à suivre les consignes de partis dévalués pour élire Ben Abbes ?

EXTRAIT « Là où Tariq Ramadan présentait la charia comme une option novatrice, voire révolutionnaire, Ben Abbes lui restituait sa valeur rassurante, traditionnelle – avec un parfum d’exotisme qui la rendait de surcroît désirable. Concernant la restauration de la famille, de la morale traditionnelle et implicitement du patriarcat, un boulevard s’ouvrait devant lui que la droite ne pouvait emprunter, et le Front national pas davantage, sans se voir qualifiés de réactionnaires, voire de fascistes par les ultimes soixante-huitards, momies progressistes mourantes, sociologiquement exsangues mais réfugiés dans des citadelles médiatiques d’où ils demeuraient capables de lancer des imprécations […] ; lui seul était à l’abri de tout danger. » (Soumission, p.153)

Ecrivain certes, MH est surtout un idéologue subtilement dissimulé derrière un humoriste. Barthes – et Godard en d’autres termes – disait à peu près que la grammaire était affaire d’éthique. C’est ce que confirme le style « plat » très particulier de MH, proche de celui des revues de vulgarisation scientifique, qu’il agrémente en ravaudant différents types de discours en habit d’Arlequin, avec dans ce puzzle de styles des morceaux de vrai langage parlé, à la limite de l’écriture des romans de gare. Le tout vise à donner au texte un effet insidieux de vérité sociologique.

Dans le même temps, ce style en patchwork séduisant, accessible au plus grand nombre mais plein de clins d’œil érudits en direction des  bac+5, entretient chez le lecteur une méfiance envers le langage, incapable d’aucune vérité, siphonné de tout sens possible, comme miné de l’intérieur par une pathologie nihiliste, parfaitement synchrone avec le diagnostic de MH sur le monde contemporain. D’où cet effet pervers : MH brouille les pistes, on adhère (partiellement) à ses dénonciations de phénomènes auxquels il  contribue lui-même par son style aguicheur, sans qu’on puisse jamais trancher l’ambiguïté entre ce qu’il met dans la bouche de son personnage et ce qu’il pense, lui.

cabu-charlie-houellebecq
Un des derniers Cabu dans Charlie

C’est ainsi que j’analyse les raisons de son succès (le Goncourt 2010 est l’auteur français le plus lu et le plus traduit dans le monde) et… mon malaise. Car comme tous les déclinistes, haïssant Mai 68 et le féminisme, MH amène à penser que face à un prétendu état d’avachissement désenchanté de la France, il nous faudrait un pouvoir fort.  Ne déclarait-il pas (Lire d'août 2001) que De Gaulle l'énervait, précisant: « Finalement,  j'ai plus de sympathie pour Pétain! » Alors, à défaut de l’irréaliste présidence islamique, une alliance UMP-FN ? À la dernière page du Charlie assassiné, Cabu montre un MH souffreteux sur les genoux de Mme Le Pen qui lui dit : « Tu seras mon Malraux » !

Aux dernières nouvelles, après la journée historique du 11 janvier, affichant de toutes autres valeurs que la soumission !, MH renoncerait à la promotion de son livre et quitterait le sol français.

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Une réflexion sur “« Soumission » et Houellebecq démentis par le 11 janvier

  • Ponthieu

    Je retombe sur ton article… Cinq ans après, gar­de­rais-tu la même vision sur la ques­tion de fond sou­le­vée par MH et sa « Soumission » ? Ou bien ferais-tu un démen­ti de ton démenti ?-)

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