Un vendredi de noir malheur
Leur vrai dieu, c’est la mort. Ils l’aiment, la servent, la sèment. Venus des arrière-mondes, leurs incursions dans celui des vivants n’a d’autre but que de tuer, détruire, semer la désolation, la souffrance, le malheur partout. Humains ils ne sont pas. Ou inachevés ; infirmes de la pensée, indignes d’être, en dehors de l’humanité. Détruire Palmyre ne leur suffit pas ; la pierre ne saigne pas, ne hurle pas, ne souffre pas. Ils veulent la grande jouissance du mal absolu, du désastre, de la haine qui tue.
Je souffre du grand malheur de ce vendredi noir. Le noir de l’obscurité morbide. « Nous » qui aspirons aux lumières, multiples, multicolores, joyeuses et jouissives ; « nous » dont l’Histoire – bien convulsive – se veut une lutte pour la vie ; la vie vivante, celle qui agrandit le monde. Et le voilà, ce monde, qui se rabougrit sous la terreur assassine ; mais aussi sous l’avidité des possédants, insatiables prédateurs, méprisants de l’Autre, vils profiteurs, en fin de compte aussi mortifères que les terroristes. Ce monde des murs et des barbelés, ce monde de la séparation et de l’injustice galopante, cause du grand dérèglement. Dénoncer ceux-là ne saurait pour autant absoudre la sauvagerie nihiliste. Mais que faire face à une telle négation de la vie ? Quelle espérance nourrir ?
« Quelle espérance nourrir ? » demandez vous. Celle de savoir que le ressentiment, la « peste émotionnelle » ne sont pas premiers dans la nature humaine, dans le cœur de l’homme, mais qu’ils sont des faits découlant de la répression de la Vie et qui à leur tour répriment et massacrent la Vie. Cela, notre grand Wilhelm Reich l’a montré, et c’est pour cela que l’espoir de jours meilleurs existe et existera toujours.
J’aimerais le croire, en croyant… que je ne suis pas. Moulinant plutôt faits et idées, je deviens pessimiste.
Avant Reich, Rousseau, qu’il cite dans Le Meurtre du Christ ; plus avant encore Darwin qui, dans La Filiation de l’Homme, montre que l’éducation, l’altruisme et la solidarité constituent des avantages évolutifs et sélectifs chez l’être humain – et chez certains animaux aussi. Kropotkine, l’anarchiste russe, a aussi développé cet argument en termes sociaux. On est à l’opposé avec les fanatiques assassins.
Compense, mon cher Gé, l’indispensable lucidité (et non le pessimisme) par l’hédonisme et l’amitié : ton blog devrait pourvoir de ce côté-là, du moins pour partie…
Tout ensemble, je crois bien, en ce qui me concerne : aucune incompatibilité, hélas.
Je voulais « seulement » dire qu’il n’y a pas de « pulsion de mort » inhérente à la nature humaine, et cela il me semble que Wilhelm Reich l’a montré magnifiquement, et que cette démonstration, par exemples cliniques, est au cœur de son enseignement, et de tout ce qu’il a apporté ensuite au Monde. Pour moi cela n’a rien à voir avec une croyance ou non, Wilhelm Reich a raison ou il a tort. La « peste émotionnelle » dont il parle, équivalente à peu de chose près au ressentiment mis à jour et génialement analysé par Nietzsche, ne touche pas l’ensemble de l’humanité. Il faut voir en ce moment tragique toutes les expressions de solidarité envers Paris venant du Monde entier. Tout cela n’est pas rien !
Huit fanatiques, ou plus, ne peuvent nous faire désespérer de l’espèce humaine, de toute cette solidarité quotidienne, non tapageuse, développée naturellement par l’humanité. Le nihilisme c’est le refus de l’affirmation de la Vie comme Vie, comme Vie affirmative. Même si je sais que l’avenir de la Planète n’est en rien assuré (toute la question écologique, de la Paix dans le Monde, etc.), qu’est-ce qui m’empêche moi d’affirmer la Vie ? Autrement dit, il nous faut essayer de ne plus porter en nous le nihilisme, et cela n’est possible que lorsque l’on a compris à quel point il est destructeur de Vie. Vous parlez de Kropotkine, que j’aime énormément, j’y reviendrai peut-être un jour, pas aujourd’hui, ce n’est pas le moment, pour en montrer les limites dans son analyse de la morale (il n’a pas compris l’intériorisation de l’aliénation religieuse comme fondement d’une certaine morale), et pour dire tout le bien de son merveilleux livre sur L’Entr’aide.
Putain de dieu ! quelle tristesse.…
Cela relève de la psychiatrie et on en fait un mouvement politique : répression bien évidemment s’en suit… et qui ne sert à rien. Catastrophique en démence. Que de larmes !!!
Espérance ? C’est‑y pas un tantinet judéo-chrétien, ça ? « L’espérance est un de ces remèdes qui ne guérissent pas, mais qui permettent de souffrir plus longtemps » (Marcel Achard). « L’espoir est une vertu d’esclave » (Cioran). A quoi j’ajoute que l’antithèse, ce n’est pas le désespoir, mais l’action. Qui, vu les circonstances, reste assez individuelle, et compte tenu de l’état de guerre, secret défense. Ce qu’on peut en dire, toutefois, au niveau du principe : ça fait un bout de temps qu’on n’est plus dans l’offensif, mais dans le défensif-en-recul-permanent, et il reste une petite marge avant le sauve-qui-peut.
Pour résumer l’instant : Chaos, Acte II, Scène 1. Je prévois 5 actes.
Ce n’est pas parce que l’espérance est une réalité qui a été squattée comme une catégorie religieuse par les curés qu’elle n’en est pas moins dans ses fondements une réalité humaine fondamentale. Vous opposez tout à fait inutilement espérance et action. Un exemple : un être humain souffre l’enfer dans son enfance, mais dans son enfance même a toujours l’espérance de s’en sortir, et grâce à cette espérance qui soutient son action s’en sort vraiment ; en quoi cette espérance est-elle judéo-chrétienne, aliénée et aliénante ? Dîtes-moi, dîtes- nous.
Il s’avère, cher Gérard B., qu’en tant qu’abandonnique j’ai pas mal dégusté dans mon enfance. Ai-je espéré pour survivre ? Je crois que ce qui m’a bien aidé, ça a été ma volition active avec mes armes de l’époque, dont la curiosité insatiable et l’affabulation crédible pour adoucir mon sort et prévenir les méchancetés. Si le ressort qui m’animait et préparait ma résilience s’appelle espérance, arrêtons là la logomachie, mais je dirais plutôt intuition, sensibilité, instinct. Je reste avec « espérance » = pape François (et tous les autres), qui n’ont que ce mot à leurs lèvres sèches.
Judéo-chose, c’est aussi notre culture, non ? Elle vaut mieux que la leur, du moins selon les époques… « L’espérance, équivalence socio-politique du désir amoureux » (John MacGregor). Une citation chasse l’autre, surtout celles de tes moralistes… Mais peut-être n’y a‑t-il plus matière à espérer – que le nihilisme ? Je posais la question (comme pour l’avenir de l’humanité en relation avec le réchauffement, etc.)
Bon, je retire Achard et Cioran, et les remplace par T. Borowski : « On ne nous a pas appris à renoncer à l’espoir, c’est pourquoi nous finissons dans une chambre à gaz », et son collègue de crématoire I. Kertész : « J’ai pu observer le fonctionnement d’une dictature (…) j’ai vu les débuts de l’adaptation, les gestes prudents, j’ai compris que l’espoir était un instrument du mal ».
Oui, ça fait mouche.
« Quelle espérance » ? Aucune, mon vieux pote. C’est foutu !
Ma question tend vers ton réal-pessimisme… Du moins à notre échelle de temps (compté)…
cher Gérard, juste pour te dire que j’ai fait suivre sur facebook (sur ma page) ton texte.
Des bises
claire
Merci Claire ! Et aussi pour les bises…
Il fallait, hélas, s’y attendre…
Le pire n’est jamais sûr… = ce qui fonde le « principe espérance »…
D’autant qu’à ce désastre vient s’ajouter un autre ; quand nos gouvernants disent qu’il faut « ne pas reculer devant la barbarie » cela signifie simplement qu’ils vont mettre plus de police encore et réduire davantage nos libertés, ne nous y trompons pas ! Déjà, un général d’armée parle que le citoyen devra « faire des concessions sur les libertés fondamentales » : en fait, “nos” gouvernants son en train de produire, eux, ce que ces terroristes veulent réaliser chez nous ! C’est un peu ça qui est désespérant : ce complot contre la liberté.