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Attentat de Barcelone : Kamel Daoud s’insurge contre le laxisme européen

[dropcap]Écrivain[/dropcap] et journaliste algérien, Kamel Daoud s’est imposé, parmi d’autres trop rares dans le monde musulman, par son indépendance de jugement, la finesse de ses analyses et de son écriture. Tandis que nos médias se lamentent sans fin sur les abominations de Daesh, Kamel Daoud pointe ses réflexions sur leurs causes plutôt que sur leurs seuls effets. On ne saurait certes dénier les dimensions dramatiques des attentats. Mais leur mise en spectacle médiatique, l’étalage des témoignages multiples, les déclarations outrées ou va-t’en guerre, les recueillements et les prières publics, tout cela ne sert-il pas la stratégie publicitaire de terreur visée par l’État islamique ? En dénonçant l’Arabie saoudite comme « un Daesh qui a réussi », Kamel Daoud va précisément à contrecourant du dolorisme ambiant qui masque une géopolitique – celle de ce qu’on appelle l’Occident – schizophrène, absurde, meurtrière et sans fin. [GP]

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"L’Arabie saoudite est un Daesh qui a réussi"

Par Kamel Daoud

Une pensée pour Barcelone. Mais après la compassion il est temps de s’interroger : Dans sa lutte contre le terrorisme, l’Occident mène la guerre contre l’un tout en serrant la main de l’autre. Mécanique du déni, et de son prix. On veut sauver la fameuse alliance stratégique avec l’Arabie saoudite tout en oubliant que ce royaume repose sur une autre alliance, avec un clergé religieux qui produit, rend légitime, répand, prêche et défend le wahhabisme, islamisme ultra-puritain dont se nourrit Daesh.

Le wahhabisme, radicalisme messianique né au XVIIIe siècle, a l’idée de restaurer un califat fantasmé autour d’un désert, un livre sacré et deux lieux saints, la Mecque et Médine. C’est un puritanisme né dans le massacre et le sang, qui se traduit aujourd’hui par un lien surréaliste à la femme, une interdiction pour les non-musulmans d’entrer dans le territoire sacré, une loi religieuse rigoriste, et puis aussi un rapport maladif à l’image et à la représentation et donc l’art, ainsi que le corps, la nudité et la liberté. L’Arabie saoudite est un Daesh qui a réussi.

Le déni de l’Occident face à ce pays est frappant : on salue cette théocratie comme un allié et on fait mine de ne pas voir qu’elle est le principal mécène idéologique de la culture islamiste. Les nouvelles générations extrémistes du monde dit « arabe » ne sont pas nées djihadistes. Elles ont été biberonnées par la Fatwa Valley, espèce de Vatican islamiste avec une vaste industrie produisant théologiens, lois religieuses, livres et politiques éditoriales et médiatiques agressives.

Vifs remerciements à Omar Louzi, directeur du site Amazigh24, et à Kamel Daoud, qui ont volontiers autorisé la diffusion de cet article sur « C’est pour dire ».

Amazigh24.ma dont le siège est à Rabat se présente comme un site d’information généraliste, concernant le monde amazigh (relatif au peuple berbère et à sa langue) : Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Libye, Niger, Mali, Iles Canaries, Mauritanie, … et la diaspora amazigh en Amérique du Nord et en Europe… Un site participatif, indépendant, qui donne la parole à tous les Amazighs dans le monde… quels que soient leurs domaines d’activité : affaires, politique, culture. Le site se veut progressiste, humaniste, ouvert et tolérant.

On pourrait contrecarrer : Mais l’Arabie saoudite n’est-elle pas elle-même une cible potentielle de Daesh ? Si, mais insister sur ce point serait négliger le poids des liens entre la famille régnante et le clergé religieux qui assure sa stabilité — et aussi, de plus en plus, sa précarité. Le piège est total pour cette famille royale fragilisée par des règles de succession accentuant le renouvellement et qui se raccroche donc à une alliance ancestrale entre roi et prêcheur. Le clergé saoudien produit l’islamisme qui menace le pays mais qui assure aussi la légitimité du régime.

Il faut vivre dans le monde musulman pour comprendre l’immense pouvoir de transformation des chaines TV religieuses sur la société par le biais de ses maillons faibles : les ménages, les femmes, les milieux ruraux. La culture islamiste est aujourd’hui généralisée dans beaucoup de pays — Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Egypte, Mali, Mauritanie. On y retrouve des milliers de journaux et des chaines de télévision islamistes (comme Echourouk et Iqra), ainsi que des clergés qui imposent leur vision unique du monde, de la tradition et des vêtements à la fois dans l’espace public, sur les textes de lois et sur les rites d’une société qu’ils considèrent comme contaminée.

Il faut lire certains journaux islamistes et leurs réactions aux attaques de Paris. On y parle de l’Occident comme site de « pays impies » ; les attentats sont la conséquence d’attaques contre l’Islam ; les musulmans et les arabes sont devenus les ennemis des laïcs et des juifs. On y joue sur l’affect de la question palestinienne, le viol de l’Irak et le souvenir du trauma colonial pour emballer les masses avec un discours messianique. Alors que ce discours impose son signifiant aux espaces sociaux, en haut, les pouvoirs politiques présentent leurs condoléances à la France et dénoncent un crime contre l’humanité. Une situation de schizophrénie totale, parallèle au déni de l’Occident face à l’Arabie Saoudite.

Ceci laisse sceptique sur les déclarations tonitruantes des démocraties occidentales quant à la nécessité de lutter contre le terrorisme. Cette soi-disant guerre est myope car elle s’attaque à l’effet plutôt qu’à la cause. Daesh étant une culture avant d’être une milice, comment empêcher les générations futures de basculer dans le djihadisme alors qu’on n’a pas épuisé l’effet de la Fatwa Valley, de ses clergés, de sa culture et de son immense industrie éditoriale ?

Guérir le mal serait donc simple ? A peine. Le Daesh blanc de l’Arabie Saoudite reste un allié de l’Occident dans le jeu des échiquiers au Moyen-Orient. On le préfère à l’Iran, ce Daesh gris. Ceci est un piège, et il aboutit par le déni à un équilibre illusoire : On dénonce le djihadisme comme le mal du siècle mais on ne s’attarde pas sur ce qui l’a créé et le soutient. Cela permet de sauver la face, mais pas les vies.

Daesh a une mère : l’invasion de l’Irak. Mais il a aussi un père : l’Arabie saoudite et son industrie idéologique. Si l’intervention occidentale a donné des raisons aux désespérés dans le monde arabe, le royaume saoudien leur a donné croyances et convictions. Si on ne comprend pas cela, on perd la guerre même si on gagne des batailles. On tuera des djihadistes mais ils renaîtront dans de prochaines générations, et nourris des mêmes livres.

Kamel Daoud

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5 réflexions sur “Attentat de Barcelone : Kamel Daoud s’insurge contre le laxisme européen

  • Faber

    Juste et gla­çant ! Préparons-nous à d’autres mas­sacres, der­nier car­ré spec­ta­cu­laire de notre presse moribonde.

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  • Graille

    Quel article intel­li­gent et lucide !

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  • Bernard Hocq

    L’idéal serait de se pas­ser du pétrole de ces pays, mais à part se four­nir en Amérique du Nord, il n’y a pas de solu­tion chez nous puisque qu’on n’exploite pas le gaz de schiste. La voi­ture élec­trique va être dif­fi­cile à ali­men­ter puisque qu’on ne veut plus de cen­trale nucléaire, plus de bar­rage et pas d’éoliennes.
    Les petits malins qui ont des recettes feraient bien de se mani­fes­ter, avec des chiffres à l’appui et pas des y a qu’à…

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    • René About

      Oui, on voit bien la com­plexi­té de ces ques­tions qui appellent des ana­lyses dites « sys­té­miques », car « tout se tient », ce qui est vrai. La réponse, ou du moins une réponse, réside dans la durée, dans le temps long : attendre l’é­ro­sion du délire isla­miste… ce qui en effet peut prendre des dizaines ou cen­taines d’an­nées… Il y a aus­si la guerre ouverte, les guerres civiles, les affron­te­ments racistes – mais là, on n’est plus vrai­ment dan les solutions !

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  • Le capi­ta­lisme ne fera pas la guerre aux pétro­mo­nar­chies aux­quelles il vend ses canons, et les enfants de riches ne s’a­baissent pas à déam­bu­ler sur les Ramblas en tongs. Il reste donc à attendre l’as­sè­che­ment des puits de pétrole et le retour des assé­chés au temps des bédouins, avec entre-temps le défer­le­ment des migrants cli­ma­tiques chas­sés d’Afrique où plus rien ne pousse avec 55° à l’ombre. Souhaitons sim­ple­ment que Emmanuel Micron prenne des mesures éner­giques contre le ter­ro­risme, comme la baisse de la TVA au taux réduit de 5,5 % sur les bou­gies, les fleurs et les peluches !

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