XI – Chronique de la peste couronnée. Hannah Arendt – Quand plus personne ne croit plus rien
XI – De Jean-Marc Dupuis (La Lettre Santé Nature Innovation)
[dropcap]Edouard[/dropcap] Philippe, Premier ministre, a alerté sur le “risque sérieux” d’une “seconde vague”, potentiellement plus meurtrière que la première : “Le risque d’une seconde vague, qui viendrait frapper un tissu hospitalier fragilisé, qui imposerait un re-confinement, qui ruinerait les efforts et les sacrifices consentis […], est un risque sérieux”, a-t-il déclaré lors de la présentation du plan de déconfinement à partir du 11 mai. Au même moment, le Pr Didier Raoult, spécialiste en épidémies, disait exactement le contraire : “La deuxième vague, c’est de la science-fiction”.
Lorsque, en tant que citoyen “de base”, vous vous faites ainsi ballotter par des informations contradictoires, sans aucun moyen de savoir qui dit vrai, c’est le signe que vous êtes en danger, selon la philosophe Hannah Arendt, rescapée du nazisme et spécialiste des systèmes totalitaires. Selon elle, les régimes totalitaires prennent un pouvoir “total” sur les individus en les arrosant d’informations contradictoires, jusqu’à ce qu’ils n’aient plus aucun moyen de savoir où se trouve la vérité[ref]Du mensonge à la violence: essais de politique contemporaine, Calmann-Lévy, 1972.[/ref].
Sous Hitler, sous Staline, explique-t-elle, le citoyen ne savait jamais à quelle sauce il allait être mangé. La propagande gouvernementale ne consistait pas à simplement mentir aux citoyens, en leur racontant d'énormes "bobards", qui auraient pu facilement être dénoncés. Non, c’était beaucoup plus subtil et efficace que cela. Pour empêcher véritablement tout débat, pour obtenir des citoyens qu’ils se découragent totalement, qu’ils cessent d’essayer de comprendre, de penser, et qu’ils perdent donc tout moyen d’agir et de résister, les médias d’Etat les plaçaient sous un déluge continu d’informations contradictoires, mêlant le vrai et le faux jusqu’à ce que plus aucune personne ne puisse savoir de bonne foi ce qu’il fallait penser :
“Nous gagnons la guerre !” / “Nous perdons la guerre !”
“Les rations vont être augmentées !” / “Les rations vont être diminuées !”
“L’économie est en croissance !” / “Il va falloir travailler plus !”
“Vous pouvez sortir sans autorisation !” / “Les contrôles vont être renforcés !”
Pour ajouter à la confusion, les Autorités ne parlaient plus d’une seule voix, mais au contraire via une foule de porte-paroles, dont il était impossible de savoir lequel portait la “véritable” parole de l’Etat. C’est exactement ce que nous vivons aujourd’hui, et c’est pourquoi une telle tension s’installe dans les esprits. C’est normal. Ce n’est pas de votre faute si vous ne comprenez rien, si vous êtes ballotté entre des amis, des voisins, des journalistes, des blogueurs ou encore des “youtubeurs” qui, chacun ont leur opinion qui paraît valable, tout en étant incompatibles les unes avec les autres.
C’est le résultat logique de la communication gouvernementale qui introduit confusion et contradictions partout. Car, si vous êtes de bonne foi, cela fait déjà plusieurs semaines, que vous n’avez plus aucun moyen de savoir ce qu’il faut raisonnablement penser de la situation. Lorsque le Président Macron annonce le déconfinement à partir du 11 mai, il est aussitôt suivi d’une déclaration de son Premier ministre qui explique que le déconfinement ne touchera que certaines personnes, dans certaines zones. Au même moment, le Pr Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique Covid-19, et donc principal conseiller de l’Elysée, affirme que les personnes âgées resteront confinées jusqu’à la fin de l’année, ce qui est rapidement démenti par le Ministre de l’Intérieur Castaner. La porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye explique alors que, bien que le déconfinement commence le 11 mai, mieux vaut prévoir ne pas partir en vacances en août, ce qui est contradictoire. Aussitôt, une virologue experte (Anne Goffard) annonce sur France-Inter que plusieurs études de modélisation dans différents pays concluent à “une deuxième vague épidémique très probable au plus tôt fin août”, à moins que ce ne soit ”en octobre ou en novembre”.
On comprend donc que le déconfinement n'est que partiel et sera probablement suivi d'un reconfinement, mais alors on ne comprend pas pourquoi on déconfine si c'est pour préparer une seconde catastrophe. Pourtant, la confusion ne fait que commencer. Car, de son côté, le ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer est en train d'annoncer la réouverture de “toutes les écoles dans toutes les zones”, en précisant aussitôt que les enfants sont probablement de gros vecteurs du virus et qu’il faudra sans doute laisser fermés les collèges, les lycées et l’enseignement supérieur. La ministre du travail Muriel Pénicaud estime alors sur France-Info “raisonnable de dire” qu’un télétravail massif aura lieu au moins jusqu’à l’été”, ce qui achève de rendre caduque l’annonce d’un déconfinement le 11 mai.
Je passe sur la publication d’une carte des départements rouges, oranges et verts dont on nous explique qu’ils pourront servir, ou non, à définir des dates différentes d’ouverture des différents secteurs de l’économie ; sur les annonces contradictoires des bienfaits du confinement, des masques, des tests de dépistage ; sur l’affaire de la chloroquine atteignant le summum de la foire d’empoigne, avec des experts tout aussi incontestables les uns que les autres qui se prononcent en faveur ou en opposition totale au traitement ; sur le fait que les enfants et les jeunes sont successivement présentés comme potentiellement victimes de la maladie ou au contraire parfaitement protégés.
Si, à la fin de ce message, vous avez mal à la tête, et envie de sortir vous promener pour penser à autre chose, dites-vous que c’est exactement l’effet recherché par les Autorités des pays totalitaires lorsqu’ils assomment leurs citoyens sous un déluge d’informations, contre-informations, ré-informations : obtenir que les réseaux de résistance se divisent. Que les citoyens se découragent. Que la critique devienne impossible. Que l’action, la réaction, la révolte, perdent leur sens.
Comme il n’y a plus de vérité, il n’y a plus de réalité. Vous avez l’impression de vous battre contre des moulins qui tournent dans tous les sens. Vous comprenez que lire, parler, réfléchir, n’a plus aucun sens car on peut penser tout et son contraire, selon les sources que l’on choisit, et qui évoluent elles-mêmes en permanence. C’était la triste situation de nombreux pays au XXe siècle, dont on espérait pourtant ne pas reproduire les erreurs au XXIe :
“Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n'est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut pas se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d'agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et, avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez”, disait Hannah Arendt.
A méditer.
Mais pour terminer sur une note plus joyeuse, je vous invite à regarder cette vidéo humoristique sur le confinement.
Ces jeunes me paraissent faire preuve d'une vivacité d'esprit, d'un talent musical et même d'un sens philosophique remarquable. Ils ont en effet su, par les paroles de la chanson et par leur jeu d'acteur (les yeux ronds et l'air parfois halluciné du chanteur) manifester, mieux que moi par mon texte, cette impression d'absurde et de folie collective qui est en train de nous saisir.
Jean-Marc Dupuis
Hannah A., rescapée du nazisme ? Il faut le dire vite. D’accord, elle a eu la chance d’échapper à temps à la déportation, mais surtout elle a tiré d’affaire dénazifiante son amant Heidegger, ce pourri qui avait instauré le premier la discrimination des étudiants juifs à l’université dont il était recteur. Et dont les « carnets noirs » démontrent son antisémitisme féroce.