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Conflans. L’islamisme, cet autre virus

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Des guerres de religion au supplice du chevalier de la Barre en 1766 et jusqu’à cette abomination de Conflans-Sainte-Honorine, le fanatisme n’a cessé de jeter l’humanité dans le malheur. Aucun des trois monothéismes – pour s’en tenir à eux – n’a échappé à cette sorte de fatalité. Deux s’en sont plus ou moins délivrés, non sans mal – délivrez-nous du Mal… – mais pas l’islam, né au VIIe siècle en Arabie. Le mot lui-même signifie « la soumission et la sujétion aux ordres de Dieu ». Une injonction qui n’a jamais varié, qui semble, jusqu’à preuve du contraire, ne pouvoir jamais évoluer. Ceci explique cela, dans une série d’actes terroristes relevant d’une boucle infernale. Comment en sortir ? alors que les politiques successives, depuis des décennies, n’ont cessé de briller par leur inaction culpabilisée.

[dropcap]J’écoute[/dropcap] Kamel Daoud, l’écrivain algérien, cette intelligence fulgurante… France Culture, ce samedi matin, lendemain du drame abominable de Conflans-Sainte-Honorine. Décapiter un enseignant, passeur de savoir et de liberté, se double d’une atrocité à la fois absolue et symbolique, geste ignoble, indigne de l’humanité et pourtant pratiqué par un humain.

Daoud sait de quoi il retourne : les islamistes d’Algérie lui ont volé dix années de sa vie, qui auraient pu être les plus belles. Les égorgements, les décapitations furent l’« ordinaire » de la décennie noire qui a jeté son pays et son peuple dans le pire chaos, brisant des vies, les jetant dans des flots de sang et de désespoir. Ce que nous dit Daoud aujourd’hui, ce qu’il ne cesse de nous dire dans ses chroniques et autres interventions, porte la légitimité du témoin, celui qui n’à pas déserté son pays. En Algérie, souligne-t-il, si l’islamisme a été vaincu militairement, il est vainqueur dans le pays où il domine désormais sur la majorité des esprits. Ce qui se passe là-bas, nous touche ici en raison de l’histoire, certes, et aussi de nos réalités et de la sinistre actualité, à l’heure du procès des attentats de 2015 à Paris et précisément de celui qui a ravagé la rédaction de Charlie Hebdo.

Comme en Algérie, insiste encore Daoud, les islamistes s’en prennent directement à la liberté de pensée et donc, spécialement, aux journalistes et aux enseignants – plus encore aux enseignants puisqu’ils forment les citoyens de demain. Tout comme ce qui vient de se passer à Conflans où un professeur d’histoire, affrontant la réalité de sa classe, en partie imprégnée de l’idéologie islamiste – celle-là même qui gagne l’Algérie tout comme « les quartiers » des villes françaises – se fait fort de tenir son rôle, sa mission républicaine et donc laïque, en le payant de sa vie. « Mais qu’allait-il donc ainsi tenter le diable ?! » objectent déjà les alliés objectifs de ce fascisme religieux exigeant la soumission totale – totalitaire – à ses croyances mortifères. Daoud encore, ce matin même à la radio : « Vos compromissions sont nos défaites » – il parlait au nom des Algériens dont il est et partage le quotidien soumis – c’est bien le mot – à cette islamisation qu’en France même, en principe, pays-rempart contre les intégrismes [ref]On se l’auto-serine assez: « Pays des droits de l’homme, des Lumières… », etc.[/ref], nous laissons s’installer depuis quelque quarante ans.[ref]Je me réfère ici à ce livre salutaire sur la question: L’Histoire de l’islamisation française - Quarante ans de soumission (Ed. L’Artilleur)[/ref] Et aujourd’hui cependant, il se trouve des islamo-gauchistes entonnant l’air de la culpabilité coloniale et de la repentance, prêchant sur le mode angélique « compréhension » et bienveillance compassionnelle, expliquant les pires abominations, comme des excès somme toute pardonnables.

Pour reprendre encore les propos de Kamel Daoud, « l’islamisme ne naît pas en un seul jour »; il prospère sur le terreau qui le nourrit, par absence de fermeté, ainsi que nos politiciens l’ont pratiqué, précisément, dès 1989 à Creil, avec l’« affaire » des trois collégiennes voilées débouchant sur un compromis, finalement rejeté par les parents des fillettes au nom, déjà, d’un prétendu racisme. Car SOS racisme et son « Touche pas à mon pote ! » avait ensemencé sur ce terreau dès 1984, avec l’onction de la gauche mitterrandienne et de son machiavélique stratège devenu président.[ref]Pour Mitterrand à la conquête du pouvoir présidentiel, il s’était agi de contrecarrer la droite en propulsant le Front national dans le jeu électoral.[/ref] L’affaire en question, cependant, était loin d’atteindre la dimension tragique de celle de Conflans ; par soumissions successives et abandons des fondamentaux de la laïcité, elle n’en était pas moins porteuse des dérives actuelles.[ref]Dans un appel à défendre les enseignants, Elisabeth Badinter, Alain Finkielkraut et Régis Debray avaient alors dénoncé un « Munich de l’école républicaine ». Ils avaient vu juste. Tandis que Mitterrand s’en amusait : « Moi, je les trouve charmantes, ces petites, avec leur foulard ! »[/ref]

C’est aussi le débat de fond sur l’assimilation des populations immigrées qui se voyait squeezé, ou du moins transposé vers sa version « de gauche », celle de l’intégration par le multiculturalisme, revisitation du « melting pot », notion désormais à la mode[ref]C’est le cas de le dire si on se réfère au slogan publicitaire « United Colors of Benetton »…[/ref] et survalorisant les multiples formes du métissage. Tout se valant dans le relatif, il n’y aurait désormais plus d’universel, sinon dans le bizness et le tout-marchandise. Ou alors dans le Livre unique et le fascisme islamiste.

En 1985, l’année de sa mort, le grand historien Fernand Braudel ose s’inquiéter, dans L’Identité de la France, du « rôle grandissant, et à plus d’un titre angoissant, de l’immigration étrangère dans l’équilibre présent, et plus encore à venir de la population française ». Une situation que la France n’a, selon lui, jamais connue : « Pour la première fois, sur un plan national, l’immigration pose à la France une sorte de problème “colonial”, cette fois planté à l’intérieur d’elle-même. Avec des incidences politiques qui tendent à occulter la complexité de phénomènes de rejet – réciproque – qu’on ne peut nier, autant qu’on les déplore. »

Ainsi, de compromis en aveuglement, de déni de la réalité en compromissions, la « classe politique » a-t-elle permis la pénétration progressive de l’islamisme sur le territoire national. Est-ce irréversible, comme on peut le craindre ? « Je suis contre la négociation indirecte avec l’islamisme, insiste Kamel Daoud. Il doit être combattu, refoulé, repoussé. On ne doit pas céder au nom de la culpabilité, ou de la volonté de comprendre les autres, etc. Si vous cédez, nous sommes foutus ! » Et d’en appeler à une laïcité ferme, tout spécialement à l’école, car « ils veulent les générations futures ; nous, ils ne peuvent pas nous convertir, par contre ils veulent nos enfants. Si on perd sur l’école, on perd tout le reste. […] Il n’y a pas pire que de s’attaquer à un professeur, c’est un refus de la filiation, de la transmission. […] L’islamisme est un projet politique qui vise le pouvoir total : sur vos corps, votre sexualité, votre culture, votre histoire. » Tel est bien le sens profond du geste barbare de Conflans, que l’auteur aura assorti d’un twitt explicite, accompagné d’une photo de la victime : « […] A Macron, le dirigeant des infidèles, j’ai exécuté un de tes chiens de l’enfer qui a osé rabaisser Muhammad ».

Alors, comment faire s’il n’est déjà pas trop tard ? La question n’est pas tant d’arrêter des terroristes que de démanteler une machine de guerre. Comment ? Pour Kamel Daoud, il y a lieu de « dissocier l’islamisme du communautarisme, séparer l’islam de l’islamisme. Car personne n’est propriétaire d’une religion. [D’autre part] il faut revenir sur la question de la mémoire coloniale parce qu’elle sert de fond de commerce à ceux-là même qui veulent recruter sur la base de la douleur transmise par cette mémoire. Ce sont des rentiers de la mémoire. Il y a une rente du post-colonial, utilisée autant par des intellectuels que par les djihadistes qui parlent de croisades et de contré-croisades, et veulent punir l’Occident comme agresseur. »

Daoud voudrait-il, sans les nommer, parler des Plénel et Mélenchon, qui s’apprêtent à jouer les pleureuses en appelant à manifester dimanche après avoir jeté de l’huile sur le feu de l’islamophobie réduite à un racisme, empêchant ainsi toute critique de l’islam ?[ref]Le chef de la France insoumise s’est joint à la Marche contre l’islamophobie de novembre 2019, aux côtés des Indigènes de la République et autre « décoloniaux ». Parmi les signataires de l’appel à manifester : David Cormand, Yannick Jadot (EELV), François Ruffin, Fabien Roussel (PCF), Philippe Martinez (CGT), Benoît Hamon (Génération-s).[/ref]

L’islamisme, donc, cet autre virus contre lequel l’espoir d’un vaccin semble bien lointain. Pas plus à Conflans ce 16 octobre que fin septembre devant les anciens locaux de Charlie Hebdo on ne saurait se prémunir contre le fanatisme assassin pratiqué au nom d’une religion aussi réfractaire à un quelconque aggiornamento. On sait aussi, par l’Histoire enseignée, justement, que les guerres de religion déchaînées au XVIe siècle dans notre pays, et même au delà, auront duré des décennies, et qu’une véritable tolérance religieuse ne commencera à poindre qu’avec les philosophes des Lumières, au XVIIIe siècle… Entre temps, combien de martyrs auront péri lors de supplices, tel le chevalier de la Barre, mort… par décapitation, entre autres supplices, à Abbeville le 1er juillet 1766 pour blasphème et sacrilège.

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

8 réflexions sur “Conflans. L’islamisme, cet autre virus

  • VILLION

    Le mot « Islam » signi­fie « sou­mis­sion et sujé­tion aux ordres de Dieu » et il parait qu’il exis­te­rait un « islam modé­ré » ?… Faudrait vrai­ment qu’un jour on m’explique !

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  • Gian

    Contrairement à Kamel D., et à moins que j’ai mal com­pris, je ne dis­so­cie pas islam et isla­misme. Le pre­mier n’est que la forme latente du second, et la grande majo­ri­té musul­mane, si elle ne déca­pite pas, et ne dénonce d’ailleurs pas les déca­pi­ta­tions, est atten­tiste, en attente de l’op­por­tu­ni­té qui lui per­met­tra de réa­li­ser les pré­ceptes du Coran aux­quels elle doit adhé­rer par pres­sion de confor­misme communautaire.
    Cela dit, com­ment contrer la pro­phé­tie de Houellebecq, si l’on consi­dère qu’elle n’est pas dési­rable ? En 2037, voire 2032, les musul­mans seront majo­ri­taires. Seule une vaste rémi­gra­tion peut entre­temps inver­ser le cours des choses démo­gra­phiques. Est-elle iné­luc­ta­ble­ment consé­cu­tive d’une guerre civile ?
    L’attentisme-oppor­tu­nisme-taq­qiya musul­man a pour symé­trique la pas­si­vi­té-déni-illu­sion non-musul­man. L’indifférence réci­proque d’hier a cepen­dant cédé la place à un début de face-à-face.
    Quelqu’un a‑t-il une solu­tion autre que la rési­gna­tion à la fata­li­té (Inch Allah, en arabe) ?

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  • Maurice ARMAND

    Une fois de plus je regrette l’hys­té­rie média­tique, à laquelle vous par­ti­ci­pez, qui ne peut qu’en­cou­ra­ger ces actes imbé­ciles en leur don­nant une ampleur déme­su­rée, et en les jus­ti­fiant sur le plan de l’ef­fi­ca­ci­té d’un point de vue terroriste.
    N’entrons pas dans la spi­rale de vio­lence, encou­ra­gée par la caisse de réson­nance des com­men­taires inépui­sables et bien pen­sants, et la sur­en­chère légis­la­tive répres­sive et liber­ti­cide qui s’ensuit.
    Plutôt que la fas­ci­na­tion mor­bide, un peu de modé­ra­tion, voire de mépris, nui­raient à ces dés­équi­li­brés qui ne sont mal­heu­reu­se­ment que les déchets ultimes de notre civi­li­sa­tion post-coloniale.

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    • Gerard Ponthieu

      Je ne vous rejoins pas ici, Maurice. « Hystérie » ? Ou indi­gna­tion – certes incan­ta­toire (bou­gies et fleurs, en rituel impuis­sant et sans doute un peu magique, voire mys­tique). Votre objec­tion ten­drait à jus­ti­fier le « pas de vague » qui, jus­te­ment, explique aus­si la sur­en­chère des dji­ha­distes, qui ne sont pas « que » dés­équi­li­brés ! Non, leur « folie » se trouve bien ali­men­tée par les prêches osten­sibles des cou­rants isla­mistes ; ce ne sont pas des « iso­lés » comme on vou­drait encore le pré­tendre afin de mini­mi­ser la res­pon­sa­bi­li­té de l’ensemble de l’islam, dont les « modé­rés » et leurs rares imams peu prompts à dénon­cer leurs « déséquilibrés ».
      Pour ma part, j’ai fait l’effort, dans mon article, de remon­ter aux causes de ce ter­ro­risme plu­tôt que de m’en tenir à ses effets actuels et aux lamen­ta­tions habituelles.

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  • Rien à redire. Tout à gar­der. Agir comme on le peut, avec toute la force de parole et d’é­du­ca­tion que l’on peut déployer. Et être ferme, autre­ment plus effi­cace, sur la ques­tion de l’im­mi­gra­tion doit on voit bien – depuis des années – qu’elle est liée au ter­ro­risme ram­pant et bar­bare. Sacré défi pour le pays des Lumières. À rele­ver pour évi­ter les ténèbres.

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  • Orion

    Merci pour cette ana­lyse qui apporte plus de volon­té de com­prendre une situa­tion en effet ancienne. Il fau­dra bien s’attaquer à la racine de ce mal qui désta­bi­lise notre pays en l’exposant à des affron­te­ments pro­bables, si l’on en croit l’important cli­vage dû à une immi­gra­tion musul­mane incon­trô­lée au point d’être deve­nue incon­trô­lable. Ce qui remonte aux poli­tiques inco­hé­rentes autant qu’irresponsables de Giscard et Chirac, en par­ti­cu­lier avec la loi sur le regrou­pe­ment fami­lial qui a amor­cé la pompe migratoire.

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  • Panouille

    Pas d’ac­cord, tu t’en doutes, avec ton papier, digne de « Valeurs Actuelles »… Laisse donc à l’ex­trême-droite des expres­sions comme « isla­mo-gau­chistes » et à Bruckner l’in­dif­fé­rence à la mémoire coloniale…

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    • Mon cher pote (ce n’est pas ça qui nous fâche­rait), ne pêche­rais-tu pas par idéo­lo­gie, cette fos­si­li­sa­tion de la pen­sée cri­tique (pléo­nasme) ? C’est bien la gauche, dans sa débine, qui a lais­sé à l’ex­trême-droite le champ de la réflexion (même si la fina­li­té de celle-ci ne sau­rait nous trom­per) sur cette ques­tion fon­da­men­tale, puisque por­tant sur deux mondes, sinon deux civi­li­sa­tions ren­dues incom­pa­tibles par les bar­rières de la religion.
      Sur cette atti­tude enfer­mée de la gauche, par delà l’ef­fet idéo­lo­gique, je vois aus­si un empê­che­ment que j’ai sou­vent l’oc­ca­sion de déplo­rer, à savoir la peur à gauche de paraître à droite. À cet égard, je ne m’of­fusque pas que tu m’é­ti­quettes « Valeurs actuelles », dans la mesure où il leur arrive d’ex­pri­mer des idées justes, et que je m’ef­force de recon­naitre comme telles. Ma déso­la­tion n’en est que plus grande : celle d’un homme de gauche consta­tant que son « camp » a per­du la boule…

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