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Michel Onfray, l’athéologue prêchi-prêcha


[dropcap]Par[/dropcap] ces temps d’obscurantisme effréné, un Michel Onfray vaut bien une messe. Et même davantage. Il m’a eu agacé parfois, le bonhomme. Pas tant sur le fond que sur la forme. Ce qui revient quand même à écorner le fond. Je veux parler de sa « musique », qualifiée ainsi dans l’article que lui consacre Le Monde 2 [02/04/05] : « Les phrases s’envolent. Les mots bourdonnent. Grondent. Se bousculent. C’est du rap métaphysique. Du slam philosophique. Du funk phénoménologique. De la soul ontologique. »

Bien dit, je trouve pour appuyer mes réserves qui, finalement, atteignent le propos par la bande. Pourquoi nous asséner des pensées sous cette forme haletante ? Pour nous empêcher de respirer, c'est-à-dire de prendre le temps de penser aussi, nous, librement, au rythme d’une pensée qui s’élabore, et à laquelle on collabore : travailler avec, avec l’émetteur qui s’assure que « ça suit », avant que d’adhérer en « collant » (c’est bien le mot) à l’idée et, pour cela, faire usage des artifices de bonimenteurs ? Ça lui est parfois reproché, ce jeu de séduction. A juste titre, je trouve.

J’exprime des réserves de ce type à d’autres formes d’expression [ne vous gênez pas, au besoin, pour me retourner le compliment…], comme dans certains films. Je pense aux récents films documentaires comme ceux de Michael Moore ou, plus récemment, au film « The Corporation » (USA, 2004). C’est une charge contre l’Entreprise considérée comme modèle fascisant. Ça part d’un angle pour le moins intéressant : « Si l'entreprise a légalement les mêmes droits qu'un individu, pourquoi se conduit-elle de façon si peu humaine ? » La question est assez pertinente pour n’avoir pas besoin de renforts douteux, à savoir une écriture proprement assommante, et même, je le dis : fascisante. Une écriture de clips publicitaires qui, par définition et nécessité, nie le libre arbitre – nie carrément le destinataire en tant que récepteur pensant, capable de jugement que, d’ailleurs, il ne demande qu’à forger. Dénoncer Nike avec les armes de Nike, non !

J’ai éprouvé un semblable tournis à entendre les conférences de Michel Onfray [retransmises par France Culture] dans lesquelles il paraît noyer son argumentation dans l’ivresse de ses [bons ? pas toujours…] mots. De ce point d’ouïe, Onfray c’est l’anti-Debray.

Revenons à ses propos sur la presse en les replaçant dans l’ensemble de l’interview du Monde 2. On peut d’ailleurs s’y référer directement sur l'extrait ci-dessus. On y voit que les journalistes – à psychanalyser, selon lui –, l’ont salement attaqué par une accusation de nazisme à peine déguisée ; ou bien le taxent d’extrême-droite ou de « maître à penser des raéliens ».

N’ayant pas lu[ref]Je l'ai lu depuis, avec intérêt, et à mon rythme. Ah le papier ! – Note du 31/8/17[/ref] son Traité d’athéologie, je n’en dirai rien. Sinon que cette « parole athée dans le concert de chants grégoriens », comme dit son auteur, ne peut évidemment que déranger l’ordre dominant des religions.

Et, au fait, quant à « psychanalyser le métier de journaliste », alors oui – et comment ! Mais après vous, je vous en prie…

commentaires de 2005

Donadello Claude08/08/2008 10:58

Michel Onfray ? Evidemment, les supports médiatiques sont aussi ses moyens publicitaires... Mais, si on l'écoute bien, il en dit des "conneries". Par exemple, piètre connaisseur des textes bibliques auxquels il fait si souvent référence, il donne souvent l'impression d'être un rédacteur du "Sélection du Reader's Digest France Culture". Je respecte la pensée d'un athée qui ne fait pas commerce d'athéisme, mais j'émets des réserves sur le sérieux d'une pensée agglutinante, faite de bric et de broc : un peu de Kant, un soupçon de Feuerbach, mâtinée de Darwin... Bien sûr, je comprends la cause de sa foi en un Non-Dieu, lui, enfant victime du clergé complice du capitalisme, mais il me semble qu’il ne devrait pas s’attarder sur le doigt qui montre l’étoile.

bernat-winter30/01/2006 12:41

L'hédonisme de Michel Onfray pourrait prendre place entre le tour de France comme épopée et le cerveau d'Einstein dans Mythologies de Roland Barthes. Il est toujours inutile d'opposer aux signes de l'autre (Onfray) nos propres signes. L'enquête devra être subversive: mettre à nu, démonter, montrer quelques tours de fabrique. La question pourrait être, depuis le texte même : Onfray, ça marche comment ?
Quelques questions: c'est quoi une "administration platonicienne", comment ça marche "l'aura du vouloir hédoniste", comment peut-on "émasculer la philosophie"? Il semblerait que le matérialisme hédoniste ne puisse se passer des contes pour enfants.

sylvie delvaux31/08/2005 01:

M. Onfray arrive à déconcerter, par sa manière de les présenter, ceux qui trouvent de l'intérêt à ses idées. Trop empressé de les convaincre, alors qu'il en appelle à penser librement...
Mais tout n'est pas là. En tant que philosophe il n'interroge pourtant pas l'essentiel. Pourquoi et ce depuis toujours l'humanité entière a besoin de croire en un Dieu ? Simplement parce que rien ne peut la consoler d'être mortelle. Et parce que rien ne peut consoler un individu de ne compter aux yeux de ses semblables que pour ce à quoi il peut leur servir. Sans parler du désespoir dans la souffrance et le malheur, là où personne ne peut vous aider...L'idée de Dieu est-elle la béquille psychologique inventée comme appui, faute de mieux, par la Nature pour nous aider à y faire face ?
Vaste sujet...Je ne suis pas croyante, mais je comprends ceux qui croient. Quant aux violences de toutes sortes commises au nom d'une religion, je ne peux qu'approuver qu'elles doivent être démasquées et blâmées.

Gérard Ponthieu18/08/2005 16:14

>> dionysos : en fait, bien d'accord avec vous. Je saisirai l'occasion de revenir sur ce principe manichéen que vous évoquez. gp

dionysos08/08/2005 22:

Je suis bien d'accord Onfray fait partie comme Deleuze et consors de ces penseurs (je trouve le terme philosophe un peu pompeux a mon gout) libertaire , qui font voyager le lecteur souvent profane dans un monde méconnu : La philosophie,et plus particulièrement les penseurs Nietszchien. Alors,peu importe qu'on en dise du bien ou du mal(principe manichéen grotesque!)on aime bien Onfray et on en redemande!

Gérard Ponthieu31/05/2005 15:50

OK : je me suis trompé déjà en me faisant mal comprendre. Je ne les connais pas assez pour avoir un avis légitime et sur Onfray et sur sa pensée; j'interrogeais la forme de ses interventions orales (radio) qui, en elle-même, constitue une part de son message. D'où mes questions : pourquoi ce ton si haletant, qui peut être vécu comme une agression, en tout cas un empêchement de penser sa pensée à un rythme de montagnard plutôt que de sprinter ?
Mais j'avoue que c'est léger, juste une interrogation. Merci de ton alerte, la deuxième : ça devient sérieux ! Cordial salut.

Julien31/05/2005 15:11

Cher Ponthieu,

Je crois sincèrement que tu te trompes quant à Onfray et son oeuvre.

Il fait partie d'une minorité de penseurs français (Deleuzes, Foucault, Lyotard, Bourdieu, entre autres) qui remettent radicalement en question notre modèle socio-économique, source de misères et de frustrations.

J'étaye dans cette optique le point de vue de Onfray selon lequel les journalistes, en tant que chiens de gardes du système, se renient et par conséquent ne peuvent échapper à ce qualificatif de minables, même s'il est toujours impropre de généraliser. Je te renvoie pour cela aux livres de Bourdieu (Sur la télévision) et de S. Halimi (Les nouveaux chiens de garde) afin que tu te fasses une meilleure idée de la chose.

Cordialement

gérard ponthieu19/05/2005 22:

En effet, bonne idée. Mais, en fait, je ne trouve pas sa critique déplacée; la flèche me semble même bien décochée, à juste titre je crois. Certes, il faudrait aller plus loin. Allez, je m'y colle dès que…
Et merci !

Yannick19/05/2005 20:

Pour ma part j'ai trouvé ses conférences intéressantes pour au moins deux raisons :
- il propose une autre histoire de la philosophie que celle qui est traditionnellement enseignée
- de manière générale il incite ses auditeurs à remettre en question les évidences, à raisonner par eux-mêmes, à aller eux-mêmes vers les textes des philosophes.
En ces temps où les Français lisent de moins en moins et se gavent de télévision, c'est déjà pas si mal.
Son attaque contre les journalistes français est évidemment excessive. Pourquoi ne lui écrivez-vous pas pour lui demander de la commenter ? Il suffit d'aller sur son site pour lui écrire.

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

8 réflexions sur “Michel Onfray, l’athéologue prêchi-prêcha

  • Je te suis presque pas à pas dans tes réac­tions à la ryth­mique de la parole Onfray. De ce côté-ci de la grande mare, au Québec, son lan­gage et sa pen­sée syn­co­pés nous sont fami­liers. Nous sommes tout près du jazz, juste un peu au Nord de ces échos en contre-rythmes.

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    • Ben oui !-) En fait, l’ar­ticle en ques­tion date de 2005… C’est par erreur qu’il est remon­té à la sur­face ; il n’a pas tant vieilli que nous, mais j’en pré­pare une réac­tua­li­sa­tion plus argu­men­tée : à la fois sur sa « musique », son talent d’im­pro­vi­sa­teur… et les risques encou­rus de déra­page non contrô­lés. (lui aussi… 😉

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  • graille bernadette

    C’est vrai, il y a depuis quelques temps une musique « Onfray » un peu trop enva­his­sante sur les ondes.
    Pourquoi nous lais­sons nous « embal­ler » par cet homme ?
    Il est beau,son regard acé­ré et lumi­neux nous fait croire qu’il va enfin nous sor­tir du mys­tère de notre pauvre condi­tion de pous­sière dans le cosmos…
    Alors on l’é­coute l’o­reille ten­due essayant de pro­fi­ter de cette manne intel­lec­tuelle qui nous ren­dra moins idiots.
    mais ce flot de mots part sou­vent dans tous les sens et on est vite noyés.
    Athée, il l’est et le revendique…Comment ne pas ¨être d’ac­cord quand on voit tout le mal que cela a entrainé.
    Mais quand il essaie d’ap­pro­fon­dir, il se trompe sur le chris­tia­nisme notamment.
    Par contre quand je lis » Cosmos » ou »
    Le recours aux forêts « j’aime ce qu’il écrit
    une phi­lo­so­phie per­son­nelle de la nature, res­sai­sir les intui­tions fon­da­trices du temps, de la vie, renoue avec l’i­déal paÏen d’une sagesse humaine en har­mo­nie avec le monde.
    Pourquoi parle- t‑il- trop sou­vent, trop et trop vite.

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  • Frank Lovisolo

    Je me suis abon­né en juin, par curio­si­té, à son site http://​miche​lon​fray​.com/ Il y a beau­coup d’informations et de confé­rences (avec beau­coup d’in­vi­tés). C’est acces­sible en ligne pour 4€ par mois… Que l’on soit d’ac­cord ou pas avec lui sur la forme, le fond et autres géo­gra­phies on est bien obli­gé de recon­naître qu’il a la volon­té de par­ta­ger sa recherche. Je m’in­ter­roge sur­tout sur sa bou­li­mie de tra­vail, comme s’il s’é­tait retran­ché der­rière cette muraille pour fuir une dou­leur intense.

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    • Même posi­tion pour moi. Je pense que, en gros, il en fait trop, et bien moins qu’il ne dit ; notam­ment sur ses lec­tures, qu’il est for­cé­ment ame­né à sur­vo­ler. Je compte abor­der tout ça « dès que », en y appor­tant des pré­ci­sions, pas seule­ment des impressions.

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  • Gian

    Je pense que sa logor­rhée, sa diar­rhée ver­bale, témoigne de son inquié­tude, voire son anxié­té tant il est obsé­dé par son besoin impé­ra­tif de convaincre : j’en sais quelque chose, je fais pareil quand je suis dans une situa­tion de confron­ta­tion face à ceux que j’es­time oppo­si­tion­nels. C’est une tac­tique – incons­ciente – de sub­mer­sion, noyer l’autre pour le désem­pa­rer, et aus­si mon­trer à l’en­tou­rage, à l’au­di­toire, qu’on a une réserve de muni­tions inépui­sable. Cela dit, je l’aime bien.

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  • Sophie Chambon

    Très inté­res­sée par la remon­tée de cet article déjà ancien mais rien n’a chan­gé : il déchaîne tou­jours des réac­tions très vives etj édul­core. Je me suis heur­tée par deux fois à des réac­tions vio­lentes quand je disais sim­ple­ment que je com­pre­nais mieux l’ap­proche phi­lo­so­phique en l’écoutant.
    Cet été, j’ai sui­vi plu­sieurs « cos­mos » sur France culture et ce que je trouve ennuyeux, outre ce « slam » entê­tan­tet para­ly­sant pour des néo­phytes, c est cette volon­té de régler ses comptes.…avec l ins­ti­tu­tion et ses repré­sen­tants issus des grandes écoles. Je par­tage en par­tie cette opi­nion mais pour­quoi tant de colère ? Cela ne le sert pas.
    Par contre quand il a expli­qué son par­cours d ensei­gnant en tech­nique j ai sai­si bien mieux cette façon de débattre des profs de philo,de répondre du tac au tac, d assé­ner avec brio pour s’im­po­ser face à un audi­toire bien peu inté­res­sé. IL RACONTAIT com­ment il menait ses cours ou plu­tôt ses non cours.…et je pense qu” il devait bien les accro­cher ses jeunes.

    Je reste donc per­plexe mais sou­vent séduite. Bien d” accord avec beau­coup des commentaires.…celui mesu­ré et très juste de Sylvie.

    Encore bra­vo Gérard pour ton blog.

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