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La Montagne pourrait accoucher d’une… L’Yonne (républicaine)

Voilà un « beau petit canard » en passe de se faire bouffer. Selon les implacables lois du darwinisme financier, L’Yonne républicaine, quotidien d’Auxerre, va sans doute tomber dans l’escarcelle auvergnate de La Montagne et son groupe. « Économies d’échelle » et autre sainte-Synergie auront eu raison de la dernière coopérative ouvrière de la presse française. Dernière indépendante en tout cas, puisque la Scop du Courrier picard (Amiens) est depuis longtemps tombée dans les mailles du Crédit agricole. Ainsi va le partage hexagonal de la presse française bientôt réduite à quatre ou cinq zones propriétaires (voir ci-dessous la carte publiée par Le Monde en 2006, déjà largement dépassée !). On en fait davantage (dans les médias !) sur les menaces concernant la faune et la flore. Ici, il ne s’agit « que » de la bio-diversité journalistique, juste un pan de ce qu’on appelle encore la démocratie.

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© Le Monde

Le spectacle, une fois de plus, fausse les perceptions. Et tourne ce show-biz qui emballe les gogos dans de terribles questionnements : TF1 va donc rouler en Ferrari (ah ah !) plutôt qu’en char PPDA, est-ce grave docteur ? J’entendais une journaliste sur France inter demander ingénument au même Poivre si son départ menacerait l’indépendance de TF1… Et l’intéressé, sans ciller et grand seigneur : « J’espère que non ! ». Ben non alors !

L’Yonne républicaine, donc. Dans les 40.000 exemplaires diffusés sur son département. Imprimerie, locaux en propriété coopérative, selon l’utopie du XIXe siècle, toujours vivante, sinon vivace. Mais.

Mais – on en revient toujours là – l’orchestre a fini par vieillir. Parlons plutôt de fanfare – j’aime bien les fanfares, à la racine du jazz –, comme une rémanence anarchiste. En cela désuète et condamnée, en tant que tâche dans la modernité triomphante (de quel triomphe au fait ?). Bref, philharmonique ou fanfare, la question du chef finit toujours par surgir. Ça défrise les convictions utopiennes, c’est ainsi. Dans une Scop – un homme, une voix – on choisit un président. Ça donne ce que ça donne, comme en musique. Et à Auxerre, ça a donné pas mal de couacs.

A commencer par le plus retentissant : l’achat il y a trois ans d’une rotative neuve-pimpante… à Singapour. Ben oui, plus mieux-moins cher. Ici, je passe le relais à un journaliste maison, qui raconte : « On aurait voulu couler l’YR on ne s’y serait pas mieux pris. […] La roto est montée depuis peu, mais par connectée et il reste des travaux que nous ne pouvons pas financer. Il faut imaginer le coût de cette immobilisation. On a mis la charrue devant les bœufs ; c’est-à-dire qu’on a acheté sans avoir programmé le financement de manière précise. Nos fonds propres y sont passés puis, prêts relais bancaires aidant, les frais financiers nous plombent dans un contexte général dégradé (baisse des ventes, mais moins forte qu’ailleurs dans la PQR, et tassement de la pub. Sans cela l’exploitation du journal est en gros à l’équilibre. Nos actifs sont évalués à 18 millions d’euros. La Montagne Centre Presse va donc faire une bonne affaire surtout qu’elle va pouvoir profiter de la baisse des charges suite à l’exécution du Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) portant sur 25 personnes, qu’actuellement le journal ne peut pas financer. »

L’affaire va se décider dans les semaines qui viennent selon cette alternative : « Ou bien on vend et l’emploi est garanti par les dirigeants de La Montagne, ou bien on dépose le bilan et Hersant, le groupe Ebra, etc. nous attendent à la barre. »

Problème de « chef d’orchestre », certes, mais aussi d’instrumentistes, ainsi que le déplore notre musicien informateur : « Force est de constater que notre équipe journalistique s’est considérablement affaiblie au fil des ans. Des bons sont partis et on a fait de la « déprécarisation » […] Ce qui ne garantit ni la compétence ni la capacité d’adaptation.
« Sauf à réinvestir dans l’humain et le professionnalisme, je ne vois pas comment les choses pourraient changer. Par ailleurs, La Montagne mettra la priorité – comme tous les patrons – sur la création d’un centre de profit en rentabilisant au maximum la rotative flambant neuve, quasiment, (qui nous a coûté 10 millions d’euros) par des tours machines. Ça devrait cracher du cash… C’est ce que nous voulions. Mais ce ne sera pas nous qui empocherons les bénéfs. » Et les lecteurs moins encore, qui devront s’accomoder du moins-disant journalistique.

De même qu’on ne saurait faire meilleure école avec moins d’enseignants, on n’imagine pas une information de qualité avec moins de journalistes. Mais certains le prétendent.

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