Porno-misère, autre genre télévisuel
Comme des millions d'autres, je me branche chaque soir ou presque sur le journal télé, celui de France 2. Ailleurs, ça doit être pareil, toutes chaînes confondues, dans un système commun où le spectacle domine. Donc, on étend un regard voyeur sur la scène mondiale – enfin, de cette partie superficielle du monde relié au système technique médiatique. Le réseau tisse sa toile en étendant son emprise à finalité marchande ; c’est pourquoi il n’y travaille qu’en surface, ou à la crête des aspérités, surtout pas en profondeur.
Donc, hier soir, comme les autres soirs, « mon » JT présentait « sa » séquence « émotions ». Aujourd’hui, rayon pauvreté, voici Fabienne, jeune mère célibataire, caissière à 800 euros par mois, qui ne peut plus payer sa facture d’électricité. Larmes le long de la joue.
La veille, rayon « illettrisme », ces travailleurs en fait quasi analphabètes, se retrouvant en apprentissage basique, avec des mécaniques intellectuelles grippées, appelant des efforts douloureux. Cet homme est montré de près, la caméra scrute, travaille à la loupe, de son œil de rapace. Le visage se prête si bien à l’exploration, l’homme est un peu rustre, c’est un prolo « brut de décoffrage » ; pour un peu on irait avec l’endoscope, fouiller jusque dans ses tripes. Il résiste, l’homme autopsié par la caméra, il veut faire bonne figure, sourit, croit dominer le rictus. Il parle de son fiston, qu’après il pourra même aider à ses devoirs. Et soudain éclate en sanglots. Et la caméra qui insiste, le poursuit, le traque.
La Crise a ouvert tout grand le champ de la misère à ces terroristes modernes, l’œil de rapace rivé au viseur, mitraillant en silence, ne lâchant pas la proie, qu’ils tétanisent, qu’ils médusent parfois d’un regard obscène de cyclope.
Tels sont ces pornographes adeptes du gros plan, montrant des nez, des yeux, des rides comme on exhibe des bites et des chattes.
Qui isolent la partie du tout afin d’en extraire la larme intime, la perle lumineuse du monde en dérive et en spectacle.
Qui nous transforment en voyeurs, culpabilisés ou jouisseurs secrets de nos privilèges, compatissants jusqu’à la séquence suivante – une vedette, un sportif – qui fera aussitôt oublier celle-ci.
Et avant-hier, encore, c’était cet ouvrier agricole meurtri par sept années en prison sous l’accusation mensongère de viol. Pleurs rentrés.
Et ce soir, de quelles larmes la fameuse « séquence émotions » nourrira-t-elle l’interminable feuilleton de cette litanie télé/visuelle – vue à distance, de loin, hors contexte, si peu politique ?
Enfants-martyrs, ou enfants-soldats ; Noël du « sdf » ; mamie sans famille à l’hospice… La réserve sociale des démunis, des laissés pour compte est inépuisable. Elle peut même, au besoin, se grossir de la détresse animale. Attention cependant à bien en « gérer les richesses » télé/géniques. Cette économie-là aussi est délicate. Rien ne serait plus contre-productif qu’un abus dans ce domaine ; comme dans tout autre – celui du luxe, par exemple, son pendant symétrique. Ainsi, en fait-on des kilos, c’est le cas de le dire, avec un Depardieu pseudo-exilé, visant à soustraire au fisc du pays qui l’a fait roi – des riches et des cons – 1,4% de son immense fortune. Minable, va ! Oui, mais il nous emmerde, le minable, du haut de sa Tour d'Argent comme nous le montre si bien Faber et son dessin ci-contre.
L’essentiel étant, tout de même, que les injustices restent assez supportables pour qu’on supporte l’Injustice.
Tu as raison Gérard ; ce sont aussi les mêmes qui coupent systématiquement la parole aux gens qu’ils interrogent, surtout quand ceux-ci pourraient avoir des choses intéressantes à dire, peut-être par peur qu’ils remontent trop le niveau du JT …
Le plus inquiétant, peut-être, ne serait-ce pas le grand nombre de ceux qui ont permis à cette catégorie de films d’enregistrer de grands succès et d’allouer ainsi des fortunes … toujours aux mêmes icônes malgré leurs trivialités flagrantes.
Catharsis de masse ?
La quantité cannibalise souvent la qualité.
Sait-on,en masse, donner autant de suffrages à de belles choses ‑mêmes petites, mêmes difficiles à trouver- ?
Alors faut-il voir ainsi :… « plus de cœur aux rochers, moins de bêtises aux bêtes » (VH)
Ça me plaît d’autant que tu cites le grand Hugo, vu que je me suis replongé dans Les Misérables, que je découvre en fait comme un grand livre politique, et littéraire aussi ! Autrement dit un grand bouquin actuel comme je ne crois pas qu’il en paraisse beaucoup par les temps qui courent – ou alors qu’on les signale mieux (ceci pouvant expliquer cela : je veux dire que le spectacle médiatique, tout comme les spectateurs médiatisés, sont peu enclins à valoriser les démarches des profondeurs). Hugo fut autrement populaire qu’un Depardieu, lequel aura toutefois tenu le rôle de Jean Valjean dans la version télé de Josée Dayan – et Christian Clavier en Thénardier. On aura donc tout affronté en matière de décadence spectaculaire…
Pour en revenir à VH, comme tu dis, nos dirigeants seraient bien aimables 😉 et inspirés de relire sa définition du socialisme. Je tâcherai de dénicher ça et de le resservir un de ces jours ici.
-Aujourd’hui, le grand thème, c’était « tous ces gens qui pourraient « bénéficier » des minima sociaux et qui ne font pas valoir leurs droits ». je ne parle pas de France 2, je l’ai entendu dans le poste.
‑Depardieu, je le hais, pas seulement parcequ’il m’a chipé Carole Bouquet, mais parce qu’il a été au cinéma un Cyrano merdique et irrespectueux et que tout le monde encense. Voir et entendre Daniel Sorano et mourir…
A cambo les bains, dans la maison d’Edmond Rostand, une salle est consacrée à Cyrano, eh bien la pièce maîtresse de l’exposition est une affiche grand format de ce film vulgaire de vulgarisation…C’est à vomir !
La dernière réplique, « Mon panache » dans la bouche de Depardieu-le-Belge, m’enfin !
Est-ce que, justement, Carole Bouquet ne sauve pas un tout petit bout de ce gros lard de Depardieu ?
La réponse vient avant la question : parce que l’option « répondre » n’est pas proposée après l’intervention de Vincent çi-dessous.
Il est possible que Carole Bouquet l’ait mordu pour en emporter un petit morceau. Je me refuse catégoriquement à préciser quel morceau (tout petit) elle a pu emporter…Après, les bas morceaux c’est pas ce qui manque chez lui me semble-t-il.
Non, elle ne sauve rien : elle s’est sauvée après s’être perdue…
Bravo Gérard pour ton coup de gueule, que je partage entièrement.
Comment une télévision publique est elle tombée aussi bas dans l’échelle de l’ignominie ?
Il serait intéressant d’analyser le processus de paupérisation de l’espace télévisuel français en quelques décennies, et de l’envoyer à ses journalistes, dans l’hypothèse où ils sont restés malgré tout des êtres pensants.
Du pain, des jeux et des larmes. Dès le mois de novembre, les médias nous font chialer entre 2 pubs de foie gras. Il y a de l’obscénité et en effet une forme de pornographie à planter micros et caméras dans le gosier des pauvres. Pour un peu, on balancerait un euro dans la gueule d’un malheureux pour se faire du bien. Voici venu le temps du télétcon. Mais derrière quoi ils courent les mecs ? La misère est encore plus belle sous la neige.
Ben quoi, y a pas que le téléthon, y a toujours la télécon
Perso j’appelle ça la « télmoche ». Tellement moche que j’ai complétement arrété les JT depuis plusieurs années. Cela a été dur, mais avec de la volonté on y arrive… Maintenant je lis les nouvelles sur le réseau. Elles y sont un peu moins cons qu’à la télmoche (écriture oblige), et surtout elles se complaisent beaucoup moins dans le porno. Même si elles s’y adonnent volontiers aussi : dans le « rayon pauvreté » je lisais hier le cas de cette mère de 33a qui se prostitue (en cachette du mari) pour payer à son enfant autiste un traitement validé par je ne sais quel organisme public mais que la SS refuse de financer… Info ou intox ?
Quoiqu’il en soit, ça ne changera pas, au contraire.
Quels que soient la radio ou la télé, les journaleux, quand il y a une grève, par exemple, parlent de « difficultés » sinon de « pagaille », d” »otages », de « perturbations » et d’autres termes du même tonneau, et non de « sursaut vital pour ne plus agoniser dans une société devenue mortifère » : pourquoi, Docteur ?