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Road chronique américaine – 1 – Autour des mythes

USA 2015 Béta Truck

C'est à ne pas le croire : Trouver un accès wi-fi le long des routes américaines relève de l'exploit ! La connexion du jour, inattendue, est poussive ; je n'enverrai donc pas de photos avec ce premier papier. Pour le deuxième, eh ben, ce sera selon… 

[dropcap]C’est[/dropcap] une navigation. Une navigation terrestre. Une barque sur roues pour flots asphaltés. « Tu vas en bouffer comme jamais, de l’asphalte ! ». Il avait annoncé la couleur – grise – de notre rêve américain. « Il », mon comparse Robert, ami de bientôt quarante ans, c’est dire notre jeunesse. Le « rêve » en question : un mélange de non-dit et d’affirmations plus ou moins péremptoires sur l’« Amérique ». Lui, l’Américain au sens premier usurpé par ses dominants ; lui le Québécois résistant à l’anglophonie impériale, lui dans la lignée de son compatriote cinéaste Denis Arcand prédisant le Déclin de l’Empire américain. Lui, dont j’aurai l’occasion de reparler ici, évidemment. Notre propos d’aujourd’hui apparaît d’une simplicité trop évidente pour ne pas receler du profond mystère. Cette Amérique-là s’est fondée sur des mythes : qu’en est-il ? Quelles réalités ces mythes ont-ils générées ? Qu’en est-il encore de nos jours ?

C’est donc une chronique de « road movie » qui commence ainsi, une road chronique. Ce matin – il a pris le premier quart – Robert est à la barre tandis que je mémorialise notre périple tout en roulant. Il commente aussi, en ex-homme de radio qui ne craint pas la métaphore de choc ; d’un geste ample de la main droite, il lance : « C’est plein de troupeaux de hamburgers ! » Nous naviguons, plein sud, au fin fond de la Virginie, direction Nashville, Tennessee.

Nous venons de passer notre première nuit ensemble… J’en entends ricaner. Tout comme hier matin, au petit matin, au passage de la frontière de La Colle où un ensemble bunkerisé au possible, à très haute technologie paranoïde, affiche en son fronton triomphal et en lettres gigantesques : « UNITED STATES OF AMERICA ». Des chicanes impressionnantes, des caméras par dizaines, un interrogatoire, un deuxième, prise d’empreintes des dix doigts, photo (contrôles déjà subis ici-même il y a cinq ans…).

L’adresse de votre hôtel aux Etats-Unis ?

– Nous sommes en camping-car ; nous avons deux couchettes, explique Robert.

– Ah oui, rétorque le flic goguenard avec un clin d’œil vers son voisin qui se marre aussi. Nous n’irons pas vérifier, ce n’est pas notre job !

Deux mecs ensemble, ben oui, des homos quoi, sinon des gays. On se marre. Ça tombe bien, se marrer fait partie de notre philosophie active. Se marrer sérieusement, avec attention, application, science.

Montréal fascine bien des « maudits Français ». C’est l’Amérique en VF, la clé d’entrée dans le fameux rêve – en prime avec le cousinage affectif. La veille au soir, déjà, on s’est marré à manger du crabe d’Alaska, spécialement ses pattes de presque un demi-mètre. Les pêcher, là-bas, c’est exercer l’un des métiers les plus dangereux du monde tant la mer y est assassine. Mais on s’est marré quand même à célébrer l’amitié de Stéphanie, Québécoise, et Fabrice, qui a désormais davantage vécu au Canada qu’à Saint-Brieuc où il est né. Ils nous accueillent avec une coupe de vin mousseux… à l’érable qui, je l’affirme sans détour, est excellent. Découverte aussi que ces fromages locaux : le Kénogami (vaches du lac Saint-Jean) et le Ramoneur (chèvres). C’est un couple de gastronomes professionnels ; écolos dans l’âme aussi : ils vont faire construire une maison autonome en énergie. En quoi ils sont représentatifs de la mouvance vers l’autonomie énergétique, et cela au pays où l’électricité coule à flots par les mânes triomphantes d’Hydro-Québec – Robert ne semble jamais éteindre les lampes chez lui ! (Scandaleux). Du coup, ils peinent à trouver des installateurs compétents en panneaux solaires, en chauffage alternatif. En prime, ils viennent de subir un des hivers les plus rudes : moins 35°C ! Le printemps en est en retard et le sol, encore gelé à 7 pieds de profondeur (plus de deux mètres !) retarde le début des travaux de leur maison. Dehors, aux confins de la ville, des monticules de neige boueuse, sale, dégagée des rues à la pelleteuse, attendent leur dégel. Je dis « monticules », non, ce sont de véritables collines !

Donc, libérés d’un coup de tampon, à nous l’Amérique ! À commencer par l’escale breakfast à Rouse’s Point, un rade à haute immersion : choix entre Mc Donald, Dunkin Donet et Truck Stop, le « routier sympa » que nous retenons pour ses œufs au bacon, ses toasts, son café lavasse. La traversée sera dure, on peut le redouter. Pour atténuer le choc, comme on s’injecterait un vaccin, mon camarade a dégainé son sens de l’à-propos toujours surprenant chez lui : remonté dans notre vaisseau, il envoie derechef le disque Cool Water, Sons of the Pioneers (Fils des pionniers). Plongée directe dans ce mythe, en sa version audio la plus léchée, la plus clichetonneuse aussi : « Cow Boy Dream », « Red River Valley », « Riders of the Sky ». On y est !

Comment, quoi, pourquoi encore et encore écrire sur l’Amérique ? Pourquoi même cette épopée ? (Je dirais désormais l’Amérique par commodité, s’agissant des seuls Etats-Unis). « Tout » n’a-t-il pas été dit et redit sur cette nation, ses peuples, ses outrances, ses « miracles », ses … ?

Ben non ! Comme si aligner les sept notes de la gamme mettait fin à la musique. C’est son commencement. Nous recommençons l’Amérique par nos yeux, oreilles et tous sens déployés, y compris le sens critique.

– Pas vrai Robert ?

– Surtout le sens critique ! tout autant que la fascination pour les différences. Les découvrir, en effet, me fascine plus que prétendre les dénoncer.

En voisin continental, en journaliste aguerri, Robert connaît les Etats-Unis. Cette nouvelle navigation à deux – deux canaux d’observation –, c’est donc bien pour revisiter lesdits mythes, ce qui ne saurait faire l’économie d’un questionnement sur ses propres acquis, ses croyances mêmes…

(À suivre)

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

5 réflexions sur “Road chronique américaine – <span class="numbers">1</span> – Autour des mythes

  • Jacques Rossollin

    J’ai ado­ré les « trou­peaux de hamburgers » !!!
    Mais pas que…
    As-tu trans­mis ma bise à Robert ?
    Bonne conti­nua­tion, je vous embrasse
    Papet Jac

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  • God Bless You !!!! ( haha­ha )… Un « rode­tri­pe­con » qui pro­met d’être joyeux sinon gay (re-haha­ha) !

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  • Ben dis donc, déjà en Virginie en si peu de temps, c’est pas un cam­ping-car mais une fusée… vous y allez pour battre des records de vitesse ?

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  • Ouah ! la bonne idée et grand mer­ci de faire partager !!
    J’attends la suite avec impatience…
    Bonne route les jeunes 🙂

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  • J’aimerai connaitre le nom des bonnes radios écou­tées, (pas sim­ple­ment enten­dues pour l’am­biance longue route).
    Bonjour à tous les deux !

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