HistoireMédiasPolitiqueSexualité

La revue Sexpol ressuscitée en DVD !

L’association Mouvement International pour une Écologie Libidinale (M.I.E.L.) vient de numériser la revue Sexpol, sexualité/politique et met ainsi à disposition l’ensemble des 39 numéros parus de 1975 à 1980, cela dans la forme originale. C’est un travail aussi considérable qu’utile, d’autant plus que, trente ans après sa disparition, Sexpol était devenue introuvable, sinon sur le marché « noir » de quelques profiteurs…

L’association MIEL explique ainsi sa démarche : « L’objectif est d’une part la conservation d’un patrimoine culturel : une revue de langue française inscrite dans l’histoire des aspirations à la liberté sexuelle et politique, qui ont marqué les années 1970.

« Il s’agit d’autre part de rendre accessible aujourd’hui des textes toujours d’actualité. En effet depuis les années 1970 la situation politico-sexuelle en France (et ailleurs) n’a guère évolué positivement. Pire, elle a même régressé sur bien des aspects, tandis que le type de discours sur la sexualité qui caractérisait Sexpol a totalement disparu du paysage médiatique. »

[dropcap]Fondateur[/dropcap] et directeur de Sexpol, je me réjouis de cette initiative due à Jocelyn Patinel, animateur du MIEL, association militante non lucrative qui ainsi, à sa manière, a repris le flambeau d’une lutte incessante pour l’épanouissement du genre humain – en quoi il reste bien du travail…

J’espère aussi que cette collection ressuscitée en numérique pourra toucher d’anciens lecteurs – la revue a tiré jusqu’à 20 000 exemplaires – ainsi que les membres de l’équipe, une vingtaine, aujourd’hui éparpillés, perdus de vue, ou même disparus.

Le DVD est mis en vente à prix coûtant de la numérisation (plus de 2 000 pages), de la duplication et des frais de port, soit 16 euros avec jaquette couleur et boîtier rigide ou 11 euros sans.

Tous les détails et le bon de commande à partir de cette page :

http://www.ecologielibidinale.org/fr/miel-revuesexpol-fr.htm

Une parcelle d’Histoire

« Sexpol » donc,  comme sexualité et politique. Questionnez la toile et ce blog, à commencer, et vous en apprendrez déjà pas mal sur cette revue et sa quarantaine de numéros parus de 1975 à 80. Une aventure à sa façon : celle d’une (s)exploration dans le monde des vivants, entamée par un certain Wilhelm Reich (1897-1957), médecin, psychanalyste, freudien déviant, marxiste puis dissident en communisme, scientifique un peu scientiste, juif et mécréant, inclassable et étiqueté « fou », finalement mort dans un pénitencier étatsunien. Raccourci abusif pour cerner un vrai grand personnage, y compris jusque dans ses enferrements et contradictions, dans ses engagements, ses « folies » : son entière humanité.

Assez oublié depuis ce siècle amnésiant, Reich revient (de loin) comme les vagues de fond. Michel Onfray lui a offert la tribune de son université populaire de Caen et prépare, semble-t-il, un ouvrage sur ce « freudiste hérétique ». Signe des temps, ou signe avant-coureur d’une « résurrection » de celui qui mit les pieds dans pas mal de gamelles peu ragoûtantes. Reich, en effet, fut parmi les tout premiers des psychologues à placer la question sociale dans l’origine du mal être de l’humanité, ce qui en soi, ne pouvait que constituer un casus belli avec Freud et les salons bourgeois de la Vienne des années 20. Tandis que la question sexuelle, comme l’avers de la médaille, non séparable, primordiale, se trouvait prise à bras le corps – à prendre au pied de la lettre ! et incluant tout le corps social, corps souffrant s’il en est et s’il en était alors dans ces années fatidiques d’empestement nazi. Terrifiante peste à laquelle répondait en quasi symétrie le choléra du stalinisme, l’une et l’autre qui allèrent jusqu’à passer ensemble un pacte, avant de s’affronter à la mort comme un même monstre à deux têtes. Reich eut très tôt pressenti cette similitude des extrêmes, non pas dans leurs origines et dimensions tant historiques que sociologiques, mais dans leur essence même, celle de la « totalité totalisante », ce totalitarisme à base d’idéal divinisé et de pureté diabolisée.

Reich creuse la question : comment se peut-il que l’homme (il aimait à son propos parler d’ « animal humain », ce qui n’est pas anodin) se laisse à ce point entraîner vers sa propre déchéance et, dans un même élan mortifère, aller jusqu’à sa perte ? Toute l’œuvre écrite de Reich tournera autour de ce « mystère », depuis Les Hommes dans l’État, jusqu’à Écoute, petit homme ! en passant par le fondamental Psychologie de masse du fascisme.

Il n’en fallait pas plus pour se trouver rejeté, détesté, dénigré et, diront certains, assassiné. Pour le moins, les fascistes et des psychanalystes le dénoncèrent comme « communiste et agent de Moscou », les communistes comme « contre-révolutionnaire agent de la bourgeoisie » et tout le monde ou presque se devait de suspecter ce pourfendeur des religions et de la morale répressive, ce précurseur de la « révolution sexuelle ».

À l’image d’un Épicure quelque deux millénaires avant, Reich fut l’objet victimaire de visions réductrices et même de contresens quant à sa pensée, son action et son œuvre. En raison particulière du fait qu’elles portaient sur la sexualité et la désaliénation politique. Et que, comme pour l’épicurisme, le « reichisme » ne pouvait correspondre à la dépravation libidineuse. Tous deux, en fait, se posaient en questionneurs de la morale politique et, plus généralement, en précurseurs d’un art de vivre reliant l’unique et le collectif, l’individu et la cité, dans l’harmonie positive des plaisirs comme des valeurs morales.

C’est à ce prix – celui des contresens – que Reich connut une certaine gloire avec le mouvement de Mai 68. C’est dans les restes des barricades déblayées qu’une bande de jeunes utopistes, bardés de leurs espérances, rassemblèrent les pépites laissées par les fulgurances reichiennes. Ainsi naquit Sexpol comme une revue anti-dogmatique. C’était début 75, dans ces années désabusées imprégnées des De Gaulle-Pompidou-Giscard, qui menèrent au sacre de Mitterrand en même temps qu’à la fin d’une « expérience ». Concomitance à décrypter, certes. On y trouvera matière, sans nulle doute, dans cette collection numérisée, dans ce CVD et sa modeste et réelle parcelle d’Histoire.

Gérard Ponthieu

> > > Voir aussi : Il y a 30 ans, la revue Sexpol mariait sexualité et politique

Partager

9 réflexions sur “La revue Sexpol ressuscitée en DVD !