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« Je suis Charlie ». Non, Dieu n’est pas grand *

Des milliers de citoyens ont manifesté hier leur solidarité avec les douze victimes de l’affreux carnage de ce 7 janvier à Charlie Hebdo, jour noir pour la France, la démocratie, la liberté d’expression, l’humanité digne de ce nom. Que ces meurtres affreux aient été perpétrés au nom d’Allah mérite pour le moins de s’interroger sur la grandeur de ce dieu et de ses "serviteurs". D’où ces quelques remarques et réflexions pour tenter d’éclairer nos lanternes vacillantes…

Dernier Charb. Prémonitoire…
Dernier Charb. Prémonitoire…

Inutile de prendre des gants : cet attentat est signé. Il l’est d’abord par sa cible : un journal libre et libertaire, iconoclaste jusqu’à la provocation, irréligieux sinon anti-religieux. Un journal qui s’en prenait tout spécialement aux intégristes musulmans et avait transgressé (du point de vue de l’islam) l’interdit de la représentation imagée de Mahomet. Signé, cet attentat l’est aussi clairement par les proférations verbales de ses auteurs rapportées par des témoins proches, confirmées par les déclarations du procureur de la République.

Le caractère religieux de ces actes est donc indéniable, quelles que soient les dénégations des représentants officiels des trois monothéismes et de leurs variantes. Ceux-ci s’emploient dans le même empressement et la même unanimité à se désolidariser des auteurs de l’odieux attentat qu’ils n’hésitent pas à qualifier de « barbares ». Dont acte. Comment pourrait-il en être autrement ?

Mais les clergés – je souligne : les appareils religieux, pas les croyants – ont une évidente urgence à se dédouaner de leurs responsabilités historiques en matière de barbaries passées, qui ne sont pas que lointaines dans l’Histoire. Les guerres de religion en France valaient bien, dans leur genre, celles des schismes musulmans actuels. Les horreurs d’Al Quaïda, d’Aqmi, de l’« État islamique » n’ont rien à envier à la « sainte inquisition ». Autres lieux, autres temps, mêmes mœurs sur l’air de l’intolérance obscurantiste, la sauvagerie sadique, la torture des plus faibles, femmes et enfants, jusqu’aux pires perversions sexuelles.

J’entendais dans le poste ce matin Axel Kahn, éminent spécialiste de la bio-éthique, affirmer qu’il ne voyait pas en quoi les dérives meurtrières des islamistes, tout comme celles de tel fanatique juif impliquaient leurs religions respectives. Vraiment ? Et d’ajouter, en substance : je voudrais prouver qu’on tue autant au nom de Dieu que de pas Dieu. Oui, dit de cette manière. Il en va autrement si on étend cette notion de Dieu à celle de croyance qui, dès lors, permet de ranger sous une même bannière les « religions » du nazisme et du stalinisme. Observons leurs rites, leurs credos, leurs prêtres, temples – et leur satanées obsessions anti-vie, et leurs « mains noires enfoncées dans le ventre des hommes » (Panaït Istrati, retour d’URSS). Et j'étendrais volontiers la liste à la religion du football !

 charlie
Dessin de Wolinski

Maints observateurs, anthropologues et autres, affirment que l’être humain serait « par essence » un être croyant. J’ai tendance à le penser aussi. Tout en en déduisant la nécessité, dans un processus d’évolution, d’œuvrer contre soi-même, au besoin, à s’alléger du poids desdites croyances, de s’élever autant que possible, comme « un enfant jouant au bord de la mer » pour reprendre cette expression d’un Newton (qui était déiste). Rien d’original en cela, s’agissant de prolonger – mais ce n’est pas si simple – ce profond mouvement engagé au XVIIIe siècle et que, précisément on a dénommé Lumières, par opposition à l’obscurantisme dominant jusque là toute la planète – à l’exception notable de l’Antiquité grecque et romaine avec leurs admirables philosophes et penseurs.

S’alléger de ses croyances, à mon sens, ne signifie pas prétendre s’en défaire totalement – d’autant qu’il en est d’utiles, quand elles aident à vivre ou a survivre face à l’adversité et à la désespérance, ou quand elles sont nécessaires à la communauté humaine pour lui assurer, lui cimenter sa cohésion, comme en ce moment par exemple où des valeurs sacrées se trouvent piétinées. Le sacré, au sens laïque, étant ce qui est devenu non négociable pour une société ; ainsi pour les Français, la Fraternité, l’Égalité, la Liberté. Je les mets exprès dans cet ordre inverse à l’officiel, par urgence et priorité. J’y ajoute bien sûr la Laïcité, quatrième pilier de notre « chose publique », la res publica, dont on découvre les si fortes vertus en ce moment d’ébranlement des valeurs morales. Car c’est bien cette Laïcité qui nous permet jusqu’à maintenant, depuis 1905 avec la séparation des églises et de l’État, et non sans difficultés périodiques, de maintenir les Lumières allumées, dont précisément celles de la presse, libre jusqu’à la satire, la parodie, la caricature, l’irrévérence – bref, ce nécessaire contre-pouvoir, ce vaccin contre l’obscur.

Voilà sans doute ce que la tragédie du 7 janvier 2015 aura réveillé dans les consciences parfois ramollies de notre vieux pays, consciences ramollies peut-être, mais donc pas vraiment éteintes. Et là, je songe au vieil Hugo, allez savoir pourquoi : « Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens, / Mais dans l'œil du vieillard on voit de la lumière. » [Booz endormi] Je dois songer au tuilage nécessaire des générations : Cabu, Honoré, Wolinski, les septuas bien entamés, & Charb, Tignous, jeunes quadras.

Qu’est-ce qui constitue un ciment pour nos société plus ou moins éclairées, parfois assombries ? Un liant commun qui permette un consensus, lequel étant souvent passager, puis fluctuant, avant de se déliter.

Hier, aujourd’hui, c’est le « Je suis Charlie » – comme il y eut avec des fortunes diverses « Nous sommes tous des juifs allemands » ou « Nous sommes tous des Américains »… Une situation, un drame, un mot derrière lesquels chacun se reconnaît, ou croit se reconnaître sous des valeurs communes. En fait, sous ces généralisations abusives, chacun garde ses croyances, à l’occasion renforcées, venant réchauffer ses certitudes dans la ferveur de la masse, la communion – la messe. Ce frisson d’église qu’on peut connaître dans les manifs, où notre utopie semble à portée de banderoles et de slogans, de catéchismes.

charlie hebdo
Dessin de Wolinski

Qu’y a-t-il donc derrière chaque petite pancarte « Je suis Charlie » ? Pour reprendre une formule célèbre (le bouquin de Badiou sur Sarkozy ) « De quoi Charlie est-il le nom ? » Quelles intentions sous tendues derrière l’indignation, sous la sincérité apparente. Entre l’anti-Arabe de base, le sioniste déguisé, l’allumé(e) de la Manif pour tous, le gauchiste de service, les politiciens en quête de blason à redorer, des lecteurs de Houellebecq et Zemmour, paumés comme eux, enfin la Le Pen et sa guillotine, on trouvera cinquante autres nuances de grisâtre et autres matières à renforcer son système de valeurs.

Une de ces nuances cependant mérite qu’on s’y arrête ; c’est celle de l’islamophobie, sans doute parmi les plus répandues car elle répond :

– D’une part directement à l’actualité nourrie et entretenue, de fait par les événements, de Charlie à Mehra, du Mali au Pakistan, de la Libye à l’Indonésie en passant par la Somalie, le Yémen, la Syrie, l’Irak, l’Iran, Israël, la Palestine, le Liban, jusqu’à l’Afghanistan et j’en passe. Il y a là tout un arc géo-politique (ne pas oublier l’islamisme chinois !) qui s’est amalgamé à partir du pétrole saoudien et persique, pour s’étendre telle une pollution planétaire doublée de pétro-dollars et appelant à un surcroît de bigoterie coranique destinée à racheter, en apparence, la richesse coupable.

– D’autre part, cette islamophobie présente un autre avantage non négligeable : en désignant les affreux islamistes, elle délivre un blanc seing aux parties présentables des monothéismes. Une opération de blanchiment, en quelque sorte, concernant tout le vaste champ des opiacées légalisées à l'intention des Peuples… Ce qu’une belle astuce graphique exprime ainsi, alléluia ! :
photo

Coexist-ence pacifique ?
Coexist-ence pacifique ?

Peut-être comprendra-t-on mieux ainsi la hâte appliquée à faire apparaître les terroristes islamistes comme des « loups solitaires », des anomalies dans le flot normal des bonnes religions bien solidaires. Une religion étant une secte qui a réussi – un peu comme le garage de Steve Jobs est devenu la multinationale d’Apple… si je puis me permettre cet anachronisme –, elle se radicalise en devenant monopolistique, avant d’éclater en diverses concessions à la douce modestie retrouvée. Etc. Ainsi s’autoproclament le bon christianisme, le bon judaïsme, le bon islam…

Opération de passe-passe avec retour vers l’obscur où se complaisent les marchands d’illusion, les spéculateurs de l’au-delà et, au bout du compte, les fous de Dieu et autres hallucinés des arrière-mondes pour qui une insulte contre leur foi est une infraction plus grave que l’assassinat de douze êtres humains.

charlie
Philippe Geluck

Mais pourquoi cette violence meurtrière ? Autre et vaste sujet que je ne saurais épuiser ici (avant d’épuiser le lecteur !). On reviendrait nécessairement au principe d’Égalité, bafoué partout dans le monde et comme coagulé en un point focal appelé Palestine où la sagesse et la raison – les lumières pour tout dire – viennent se fracasser contre le mur noir des mythologies nourries d’antiques superstitions.

Répudiés, torturés, assassinés pour rien, les Galilée, Giordano Bruno, Chevalier de la Barre ? Pour que des siècles et des années plus tard rejaillisse le spectre du totalitarisme théocratique ? Le dernier mot, provisoire, à Bertrand Russell, Pourquoi je ne suis pas chrétien,1927 : « Un monde humain nécessite le savoir, la bonté et le courage; il ne nécessite nullement le culte et le regret des temps abolis, ni l'enchaînement de la libre intelligence à des paroles proférées il y a des siècles par des ignorants. »

–––

* Dieu n’est pas grand. Comment la religion empoisonne tout. Christopher Hitchens, éd. Belfond, 2009. Traduit de l’américain par Ana Nessun. Extrait : "Si vous considérez pourquoi vous avez choisi une (forme de) religion parmi toutes celles qui existent, en éliminant toutes les autres, alors vous comprendrez peut-être pourquoi moi, je les ai toutes éliminées."

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

7 réflexions sur “<span class="dquo">«</span> Je suis Charlie ». Non, Dieu n’est pas grand *

  • Joël

    Le jour­nal Le Monde révèle que la police ayant fouillé l’ap­par­te­ment d’un sus­pect, la police a consta­té que « au milieu d’i­mages por­no­gra­phiques, voi­sinent des ouvrages tels que Déviances et inco­hé­rences chez les prê­cheurs de la déca­dence ». Il s’a­vère donc que le Prophète est très por­té sur la chose. L’enquête pro­gresse, réjouis­sons-en nous.

    Mais une incer­ti­tude per­siste au sein de l’is­lam modé­ré, quant à savoir si le port du maillot deux pièces doit être obli­ga­toire ou non dans la lit­té­ra­ture coranique.

    Charb, Cabu, Wolinsky, Tignous, Honoré, les amis… vous nous avez bien fait mar­rer. Que votre irré­vé­rence per­dure bien au delà votre révé­rence à la vie. On vous aime. Et çà, c’est à la vie à la mort.

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  • Jour 2, les presses et com­men­taires s’emballent…/…
    le pire à venir.
    Contre une mau­vaise odeur déga­gée en ce siècle. Tant de réponses dérapent. Tant de non-dits res­tent cloî­trés. (Absolument rien à voir avec le fond de votre post)

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  • la pie

    Oui toutes les reli­gions sont dan­ge­reuses. Moi qui suis femme je n’en connais pas qui nous laisse le droit d’ÊTRE dans notre inté­gra­li­té. Nous sommes servantes,ombres, utérus,discrètes,modestes et j’en passe .
    Même si cer­taines pré­tendent être libres et le hurlent avec ou sans voile sur la tête, elles sont SERVANTES.
    Je suis tou­jours sur­prise par l’é­cho que ren­contre toutes les fadaises, tous les contes pour enfants dis­til­lés par toutes les reli­gions. L’humain serait-il un ani­mal crédule ?
    Doutons mes amis ! Doutons pour ne pas bêler der­rière le berger.
    Je ne suis pas Charlie, je me suis abon­née à Charlie heb­do depuis ce matin, abon­née à la liberté

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  • Gian

    Le jour où j’ai apos­ta­sié, je me suis sen­ti libre pour la pre­mière fois de ma vie.

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  • Nanard

    Pour répondre à « la pie », une petite réflexion.
    L’être humain à besoin de croyance car il n’y a aucune preuve de l’exis­tence de Dieu. Certains croient dans une reli­gion, d’autre dans une sorte d’être suprême, et d’autres dans l’athéisme.
    Pour moi l’in­té­grisme est d’af­fir­mer (pas de croire à titre per­son­nel) qu’une croyance serait supé­rieure à une autre. Donc à ce titre les inté­gristes peuvent aus­si se trou­ver chez les athées. 

    L’essentiel : je suis Charlie

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  • Bernard

    Merci Gérard pour ce texte qui réveille mon « anti­clé­ri­ca­lisme » en voie d’a­dou­cis­se­ment. Rassure toi je ne vais pas aller assas­si­ner des curés, des imams ou des rabins.

    Mais ça a fait remon­ter de mon incons­cient, des sou­ve­nirs de mon enfance, quand je fré­quen­tais l’é­glise (famille oblige). Je me sou­viens que l’on enton­nait à la messe du dimanche : « Entend du haut du ciel, ce cri de la patrie, catho­lique et fran­çais tou­jours ». Il y avait aus­si « Dieu de clé­mence, Dieu pro­tec­teur, sau­vez sau­vez la France au nom du Sacré Coeur » (je mets encore des majus­cules à Dieu, l’empreinte est pro­fonde alors que je n’ai jamais eu le sen­ti­ment de la moindre par­celle de foi en une reli­gion quelconque). 

    Et un cer­tain Philippe Pétain pré­si­dait aux des­ti­nées de la France et peut-être même avait-il déjà été mis fin à son règne (mais l’é­glise fran­çaise n’en avait pas encore fait le deuil).

    A quelques kilo­mètres de là, Franco et l’é­glise espa­gnole signaient un de ces épi­sodes où, au non du catho­li­cisme, cer­tains de ces croyants s’é­criaient « viva la muerte ». 

    Aussi les accents natio­na­listes, dra­peaux tri­co­lores et chants de la Marseillaise, me laissent inquiet et sans voix pour l’entonner.

    On pour­rait aus­si regar­der com­ment le natio­na­lisme de l’ETA que l’on a pu consi­dé­rer comme une forme légi­time de résis­tance à la dic­ta­ture sous Franco, a dégé­né­ré, après l’ins­tau­ra­tion de la démo­cra­tie en Espagne, en bande armée (encore faut-il ana­ly­ser la res­pon­sa­bi­li­té de l’Etat espa­gnol dans ce processus).

    Mais je ne vais pas m’en­ga­ger plus avant dans ce sujet.

    Dieu n’est pas grand mais la répu­blique ne l’a pas tou­jours été.

    Amitiés
    Bernard

    PS : alors que tout le monde vole au secours de Charlie (ce dont je me réjouis ayant été un lec­teur fervent de Charlie dans les années avant Val et l’ex­pul­sion de Siné), j’es­père que cet élan va per­mettre de ren­for­cer le plu­ra­lisme de la presse.

    J’étais Charlie mais je suis aus­si « Le Ravi », men­suel sati­rique Marseillais qui a besoin de notre soli­da­ri­té pour pas­ser l’hiver. 

    Sans oublier la situa­tion finan­cière cri­tique de la Marseillaise, de l’Humanité .…..

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